-
« Le cinéma est une allégorie de nos vies, et nos vies sont elles-mêmes du cinéma », nous dit Laetitia Carton dans l’entretien qu’elle nous a accordé. C’est exactement le sentiment qui nous habitait quand on a découvert Le Grand Bal à Cannes. Tout à coup, des préoccupations qui semblaient à l’opposé des nôtres – quoi de plus éloigné du glamour de la Croisette que les danses traditionnelles ? – devenaient des métaphores actives de nos expériences festivalières – la quête de l’air du temps, l’addiction à l’extase, la ritualité et l’épuisement. En le revoyant au calme, on ne peut qu’admirer sa capacité d’infiltration, qui élève ce documentaire sur Le Grand Bal de l’Europe (un festival de danse qui se tient à Gennetines depuis presque trente ans) à l’état de grand film populaire à portée universelle. Une charge sensorielle, poétique et philosophique (la voix off de l’auteure, fil rouge nouant le personnel au collectif, la passion à la pensée) qui invente des manières inédites de filmer les corps en mouvement, portée par une caméra fluide et apparemment invisible, aussi à l’aise au cœur de l’action que dans les zones transitoires où les langues se délient et les impensés se dévoilent. Le rapport intime que Laetitia Carton entretient avec le bal lui permet d’en faire matière à cinéma, et son cinéma fait à son tour entrer le bal dans nos vies. Ces gens qui tournent du point du jour au bout de la nuit, c’est nous, cinéphiles de toutes confessions, toujours à la recherche d’émotions fortes et d’élévation spirituelle. On peut faire nôtre cette autre certitude de la réalisatrice : « il existe un autre monde et il est déjà contenu dans celui-ci. »