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Plaidoyer dénonçant les horreurs d'une mondialisation absurde, Le Cauchemar de Darwin est un documentaire édifiant et nécessaire. Il démonte les ressorts d'un fonctionnement économique destructeur et donne à voir ses conséquences humaines, point aveugle de ce drame en cours.
- Vous avez aimé ou détesté le cauchemar de Darwin ? Discutez en sur le forum de FluCela pourrait commencer comme une jolie légende contée par un vieux sage africain. Il était une fois, dans les années soixante, un homme blanc qui tenta une expérience : verser un poisson, la perche du Nil, dans le lac Victoria. Pour voir. Sans aucune idée de sa capacité d'adaptation à ce nouvel environnement. Aujourd'hui, celui-ci a éliminé les autres espèces, mange ses propres enfants et a profondément modifié l'équilibre d'un lac qui menace de s'asphyxier. Après un documentaire bardé de prix (Loin du Rwanda), Hubert Sauper revient dans cette région meurtrie des Grands Lacs qu'il connaît bien. En Tanzanie, à Mwanza, ville où l'on commercialise ce fameux poisson, sa caméra cerne les différentes facettes de la réalité économique et humaine consécutive à cette « expérience ».Une ombre glisse longuement sur l'eau avant de rejoindre, au centre du cadre, l'avion qui en est à l'origine. L'ouverture donne le ton en montrant d'emblée la face cachée de cet oiseau de mauvais augure. Pile et face, Noirs et Blancs, pour un jeu qui n'a rien de hasardeux, mais se révèle, par petites touches, le fruit d'une mécanique implacable.Insécurité propice
En effet, les larges filets sans arêtes et au faible prix de revient (grâce à la main d'oeuvre sous-payée), provenant de la perche du Nil, sont parfaitement adaptés aux marchés occidentaux ou japonais. L'Union européenne a rapidement compris l'intérêt de subventionner et développer ce type de commerce. L'usine locale, étonnamment moderne pour la région, tourne donc à plein régime. Des avions d'Europe de l'Est - les moins chers - viennent chercher le produit de la pêche à destination de l'UE. A l'aller, ils livrent soit une aide alimentaire, puisque le pays qui nourrit l'Europe meurt de faim (sic), soit... des armes. Ce commerce, reconnu à mots couverts mais pas vraiment démontré, profite aux pays riches et entretient le climat d'insécurité propice à maintenir sous l'eau la tête d'un pays qui n'en finit plus de se noyer.Amer constat, pas vraiment neuf, qui s'incarne grâce aux nombreuses paroles recueillies par un réalisateur qui semble avoir gagné la confiance de chacun. Une vérité crue, insoutenable, se dévoile peu à peu. Elle présente l'immense mérite de donner un visage humain à une tragédie que l'on préfère ignorer. Ici, on fait connaissance avec des hommes simples : ils ont quitté leurs terres et leurs cultures, donc le moyen d'obtenir des denrées, au profit de la pêche ou du conditionnement du fameux poisson. Là, on apprécie la gouaille du vieux gardien de l'usine, ancien combattant, malin et charmeur, conscient que sa plus grande richesse est son travail. Puis, il y a le charme d'Eliza, prostituée au destin tragique, joliment filmée sur un fond noir qui la rend presque évanescente : elle rêve de reprendre des études mais, pour survivre, elle doit coucher avec les pilotes étrangers. Hubert Sauper sait s'attarder sur les visages ou leurs silences. Il prend son temps, grâce à un montage apaisé, et installe un rythme qui nous permet d'appréhender la dimension humaine du drame. Ces moments sont précieux car ils montrent, comme rarement, des êtres blessés jusque dans leurs rêves.Toute l'économie locale, toute la vie, gravite donc autour de la commercialisation du produit de cette pêche miraculeuse. Curieux paradoxe que cette entreprise qui prospère sur une catastrophe écologique alors qu'à ses portes, des enfants se battent pour un bol de riz ou sniffent de la colle avant de s'endormir à même le trottoir. Et, puisque rien ne se perd, c'est en faisant fondre l'emballage destiné... au poisson qu'ils obtiennent cette colle. Ainsi, les restes, c'est-à-dire les arrêtes, déposés dans une sorte de décharge à ciel ouvert infestée d'asticots, servent-ils à nourrir une partie de la population.A force, cette accumulation nauséabonde suscite le malaise et réussit à toucher le spectateur au plus profond. Ce n'est pas très agréable mais sûrement nécessaire. Car il y a un fossé entre le fait d'avoir plus ou moins conscience d'une situation (exploitation du Nord par le Sud, nouveau colonialisme basé sur le capital) et celui d'en ressentir les effets sur des êtres en chair et en os (...mais ici, plutôt en os). D'autant plus que les Européens sont clairement montrés comme les principaux responsables de cette situation.Juste pour la caméra ?
On regrette alors qu'un unique point de vue soit proposé. Il aurait pu être intéressant d'entendre un discours, argumenté, essayer de défendre ce qui semble indéfendable. Hélas, Hubert Sauper se contente d'une représentation caricaturale des "méchants", à travers une réunion ou un colloque, forcément cynique et ridicule à la suite de ce qu'il vient de montrer. On peut aussi s'interroger sur la passivité de la caméra lorsqu'elle enregistre une séquence forte, dont elle se nourrit et dont elle a besoin, pour étayer son discours. Sans doute y a-t-il en effet quelque chose d'indécent à attendre de voir les enfants s'écrouler après avoir sniffé leur colle. "Juste pour la caméra", peut-on penser au vu de l'angle choisi. Il est vrai que cette scène n'a pas besoin de témoins pour faire partie du quotidien, mais elle est gênante, au même titre que la bagarre "organisée" autour du bol de riz. Plus la part de mise en scène est importante, plus le réalisateur semble s'éloigner du réel et, à son tour, utiliser cette misère. Peut-être faut-il aller aussi loin pour choquer et, donc, susciter des réactions. Peut-être...Pourtant, c'est un fantastique travail de fond qui a été effectué. On devine la patience nécessaire pour recueillir ces témoignages. On apprécie la discrétion de l'homme et l'empathie dont il fait preuve pour obtenir des paroles justes et émouvantes par leur simplicité. Le capitalisme, sous cette forme, est à l'Afrique ce que la perche du Nil est au lac Victoria : son espoir et sa mort en un seul et même mouvement. Le grand cycle de la vie en somme... mais pour quelle Évolution ?Le Cauchemar de Darwin
Un film de Hubert Sauper
France/Autriche/Belgique, 2004- 1h47
Sortie en France : 2 mars 2005[Illustrations : Le Cauchemar de Darwin. Photos © Ad Vitam]
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