Toutes les critiques de La saveur de la pastèque

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    ELLE, LUI, eux. Quelques êtres au bord du vide, assoiffés, divaguant. Au milieu, des tonnes de pastèques juteuses, autant de sources de désir, de plaisir. La Saveur de la pastèque s'expose comme un objet filmique non-identifié, étonnant de pornographie sonore et d'érotisme cru.
    - Lire l'interview de Tsaï Ming-liang, à l'occasion de sa "leçon de cinéma" au festival des 3 Continents 2005Taiwan. Grande sécheresse. Pénurie d'eau. Juteuse à souhait, la pastèque prend du galon... ELLE erre dans des couloirs ou des rues, à la recherche d'un peu d'eau. Elle stocke des bouteilles sans étiquettes dans son frigo. S'offre un moment d'intimité incongrue avec une pastèque, au frais, qu'elle regarde avec délectation, lèche avec amour. Plus tard, une pastèque sous le tee-shirt, elle fera mine d'enfanter subitement dans un escalier... LUI se baigne dans les citernes d'eau de pluie posées sur les toits. Escalade vers une détente étrangement tendue... Petit bout d'homme, il exhibe une virilité sourde dans des films pornos. Les tournages sont froids, techniques, sans grâce. Les corps réduits à leur dimension mécanique. Sa partenaire japonaise, par exemple, ne sait que couiner un plaisir qui n'existe pas - elle finira inconsciente comme une poupée de son dont on continue à user pour que le tournage puisse se boucler...Pantins, humains ?
    Hommes, femmes, cette femme, cet homme... Tous prennent la forme de pantins, qui déambulent, se croisent, se culbutent, mais ne se touchent pas. Solitaires ou réunis à l'intérieur de plans statiques, noyés dans une grande profondeur de champ qui les perd ou au contraire scrutés par un cadrage très ramassé, ils sont souvent filmés en plongée. Des fourmis ? Des êtres perdus, et qui ne se trouvent pas ? Leur humanité, en tout cas, se cherche. Les dialogues, d'ailleurs, sont quasi inexistants. Des interludes musicaux, colorés, loufoques ou sordides, surgissent à l'improviste. Ils jettent un regard oblique à la situation, renseignent elliptiquement sur la nature et les aspirations des personnages, avec un sens de la dérision et une drôlerie extravagante. De quoi apporter un peu d'air au film, sans qu'il gagne toutefois beaucoup en évidence.Chaleur, désir, pulsions, excitation... La sensualité est paradoxalement traitée avec une distance crue. Dans ce registre, c'est la métaphore alimentaire, omniprésente, qui prend toute la place : comme sur l'affiche, le sexe de la femme prend la forme d'une pastèque. Et la femme, au passage, est réduite à son sexe. Plus que les scènes de porno cliniques, industrielles, c'est la nourriture qui devient obscène. Dégoulinante, excessive, emplissante, dérangeante, elle intrigue toujours. Alors, question : Tsai Ming-liang, en poussant à l'extrême la femme-objet pour en faire un aliment, produit de consommation courante, flirte-t-il avec la misogynie ? Ce doute affleure sans arrêt durant le film, sans qu'on trouve véritablement le moyen de trancher. Le dernier quart d'heure le renforce, le plan final est son apogée. A chacun de juger, car le propos du réalisateur se creuse de multiples zones d'ombre et l'impression qui reste est en forme de point d'interrogation. Quasi muet mais minutieusement construit, semé de séquences chantées à la joie triste, diablement coloré mais cerné de décors froids, le film est riche en contrastes. Certains quitteront la salle, ennuyés, dégoûtés, désorientés. D'autres ne perdront pas une miette de ce film atypique qui ne joue pas la facilité, et a raflé trois prix au festival de Berlin cette année, dont l'Ours d'Argent de la meilleure contribution artistique. L'art a cela de précieux qu'il reste opaque parfois...La Saveur de la pastèque
    Un film de Tsai Ming-liang
    France/Taiwan, 2004
    Durée : 1h55
    Avec Lee Kang-sheng, Chen Shiang-chyi, Lu Yi-Ching...
    Sortie salles France : 30 novembre 2005
    (interdit aux moins de 16 ans)[Illustrations : La Saveur de la pastèque. Photos © Pan Européenne Edition]
    Sur Flu :
    - Lire l'interview de Tsaï Ming-liang, à l'occasion de sa "leçon de cinéma" au festival des 3 Continents 2005
    - Lire la chronique de The Hole (Tsai Ming-liang, 1998)
    - Lire la chronique de Et là-bas, quelle heure est-il ? (Tsai Ming-liang, 2001)
    - Lire la chronique de Goodbye, Dragon Inn (Tsai Ming-liang, 2003)Sur le web :
    - Consultez salles et séances sur le site Allocine.fr