Première
par Vanina Arrighi de Casanova
Kechiche aime les mots et ses héros mettent souvent autant d’énergie à parler qu’à manger. Pourtant, dans La Vie d’Adèle, les mots ne sont plus que le bruit de fond d’une oeuvre physique, quasi sauvage, traversée par des émotions d’autant plus puissantes qu’elles sont souvent silencieuses. D’une histoire d’amour brûlante (et peu importe qu’elle soit homo ou hétéro) vécue avec l’intensité folle des premières fois. Une histoire d’amour surtout charnelle, mais pas seulement parce que les deux héroïnes baisent plus qu’elles ne parlent. Le choc est ailleurs. En collant l’objectif de sa caméra aux corps de ses actrices, le réalisateur de La Graine et le Mulet et de Vénus noire capte tout : la brûlure du désir ou du manque, le premier trouble, le moindre émoi... Tout ce qui secoue une passion
jusque dans ses plus infimes soubresauts. La rencontre entre Adèle et Emma donne littéralement le vertige, leur première rupture tord les tripes, le manque est suffocant. Ce réalisme constamment bouleversant, Kechiche l’atteint grâce à une économie de mots déconcertante, à la sincérité de ses actrices (stupéfi antes) et à une intelligence inouïe de la mise en scène. Dans une séquence de retrouvailles paroxystique, l’image se resserre sur Adèle et Emma, et plus rien d’autre n’existe. Quand Emma s’en va, un simple plan large replace la vie autour d’Adèle, qui vient d’éprouver – et le spectateur avec elle – la force exclusive du sentiment amoureux, celle qui peut abolir le temps et le reste du monde. Le choc est là : au terme de ses trois heures qui montrent en gros plan l’amour et la naissance d’une femme, grandie par l’épreuve. La Vie d’Adèle, on l’a aussi vécue.