Toutes les critiques de In girum imus nocte et consumimur igni

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Interdits de projection par leur auteur en 1984, les films de Guy Debord font aujourd'hui l'objet d'une distribution en salles par Carlotta et d'une édition DVD par Gaumont vidéo. Une semaine avant l'intégrale, le grand oeuvre In Girum imus nocte et consumimur igni, intitulé d'après un palindrome de Virgile, ouvre le bal.
    In Girum imus nocte et consumimur igni (« nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu ») : le palindrome latin exprime, par l'adéquation parfaite de la forme et du fond, l'expérience extatique d'une perte sans retour, et il désigne dans le film la situation de ceux qui refusent de se soumettre aux lois de la société qui les entoure. S'il y a un romantisme de In Girum... et de Debord qui s'attache aux repères de sa propre histoire pour traverser une époque, il n'y a pas de salut. Rien d'autre ne transcende ces parcours évoqués dans différentes villes d'Europe, ces rencontres, cette communauté éphémère qu'il nous décrit par bribes, que le parti pris de vivre dans l'instant ce qui a été choisi, en dehors de toute contingence liée au projet d'intégrer la hiérarchie sociale.Construit en trois parties, In Girum... est d'abord une attaque contre le spectateur contemporain à la réalisation comme à la projection du film. L'évasion qu'il vient chercher au cinéma, il ne la trouvera pas. Infantilisante, elle contribue à séparer le monde tel qu'il est vécu dans les « sociétés modernes de production » du monde d'une vie plus vraie, où se tiennent ceux qui refusent d'être « payés d'images » ou d'être animés par un rêve qui ne serait pas le leur. En lieu et place de l'évasion promise par l'industrie cinématographique, des photographies publicitaires filmées, soumises à l'observation excessive de la caméra, étalent sur l'écran un bonheur de pacotilles tandis que la voix mélancolique et douce de Debord égrène contre elles une suite ininterrompue d'injures assez raffinées pour les rendre toutes grotesques. Les images publicitaires se mettent ainsi à afficher ce que le commentaire appelle leur « mensonge » et la complaisance du spectateur à leur égard apparaît dans toute la dimension morbide d'une servitude volontaire.Non réconciliation poussée à l'extrême
    Puis vient l'évocation d'un autre temps, d'une autre ville : le Paris de l'immédiat après-guerre encore peuplé des descendants de la Révolution et de la Commune. C'est là que Debord situe une marginalité qui répondait à sa dérive, dans le chaos de laquelle résidait l'indépendance désirée. Aux différentes séries d'images, fixes ou animées, réalisées ou récupérées, que le montage assemble, s'ajoute à ce moment une série nouvelle où apparaît la société situationniste, dans les cafés, dans la nuit « prête à mettre le feu au monde pour qu'il ait plus d'éclat ». Ainsi, dans une société française occupée à consolider la réconciliation nationale, parallèlement à l'abandon de la perspective révolutionnaire par le parti communiste arrivé au gouvernement, le désir de révolution, la soif de rupture n'étaient pas morts, mais d'autant plus forts qu'ils se tenaient à l'écart. In Girum... souligne cette origine de la contestation qui allait refaire surface pendant les années 1960, et il démontre selon le théorème situationniste que la non réconciliation, poussée à l'extrême, fait de la marginalité une menace réelle pour l'ordre auquel elle échappe.Car Debord est pour la guerre et c'est d'elle qu'il parle quand il évoque la lutte du groupe contre l'ordre établi. Mais il pense que « la parole dite en son temps » est l'arme qui convient le mieux aux combattants les plus convaincus, les plus acquis à la cause révolutionnaire et aussi les plus exigeants quant à cette cause. La force chaotique de cette parole accessible à toutes les révoltes, indépendamment de leur force militaire, entraîne une guerre capable d'opérer par son exubérance une destruction plus complète que celle des bombes, qui ne bouleversent finalement un ordre que pour mieux le reconduire.Ainsi, le film réunit un discours construit, lu par son auteur, et des images parfois réalisées par lui - dont les images tournées à Venise -, mais le plus souvent trouvées « ready made » dans les poubelles des cinémathèques : Debord les choisit en raison du mépris où il tient toute image produite par la société qui veut, à travers elles, pouvoir se satisfaire d'elle-même. Il insiste également sur cette opposition entre la fausse force des bombes que l'on voit exploser dans les documentaires comme dans les fictions récupérées, et de la vraie force de la marge, de la pègre qui grandit dans l'illégalité, refusant toute autre loi que celle qu'elle s'est donnée à elle-même. Il insiste sur l'opposition entre les armes que l'on fournit aux hommes et qui finissent toujours par les asservir quel que soit le combat ou la cause de leur action, et la force des armes que dans sa révolte légitime contre l'ordre qui l'opprime, l'homme à lui-même se donne.In Girum imus nocte et consumimur igni
    Un film (noir et blanc) de Guy Debord
    France, 1978
    Durée : 1h35
    Sortie salles France : 12 octobre 2005[Illustrations : In Girum imus nocte et consumimur igni. Photos courtesy Guydebordcineaste.com]
    - Lire l'interview de Stéphanie Granel, monteuse d'In Girum...
    - Lire l'introduction à l'intégrale Debord en DVD
    - Rita en parlait déjà sur Ecrans, à l'occasion du FID Marseille 2005
    - Le site Guy Debord cinéaste (ressorties salles et publication DVD)
    - Consultez salles et séances sur le site Allociné.fr