- Fluctuat
Pas de projections de presse pour Eloge de l'amour de Jean-Luc Godard, mais la présence du cinéaste dans les journaux, et une interview remarquable pour l'Equipe du mercredi 9 mai où, à propos de sport, il nous parle de vérité.
"Même Tapie lorsqu'il perdait sur un stade de foot ne pouvait pas dire : J'ai gagné. Alors que dans d'autres domaines, même ministre, il pouvait dire n'importe quoi. La politique, le cinéma, la littérature mentent, pas le sport". C'est la vérité du corps qui intéresse Godard dans le sport. Même si : "A la télévision, Thomas Muster est un bûcheron, alors que de visu c'est un loup sauvage, efflanqué, un peu perdu", parce que "la télévision filme la vedette et sa gloire, pas l'homme et sa misère". La vérité contenue dans l'accomplissement d'une performance sportive transparaît à l'écran prouvant que, dans ce domaine au moins, sa loi reste plus forte que celles du spectacle.Dans Le petit soldat (1961), Bruno Forestier (Michel Subor) photographie Veronica Dreyer (Anna Karina) et dit : "La photographie c'est la vérité. Et le cinéma c'est 24 fois la vérité par seconde". D'un bout à l'autre de l'oeuvre donc, l'image reste le support rêvé d'une communication de la vérité des corps et du monde. Elle cherche à être "juste une image" du réel, non pas son "image juste", c'est-à-dire le spectacle maîtrisé de la vraisemblance qui viendrait pour nous parler du réel, en vérité. Godard n'a que faire de la vraisemblance, son regard, comme celui du "petit soldat" sur Véronica, est amoureux. L'amoureux, à moins d'être désespéré, exècre le simulacre, il veut la vérité de ce qu'il aime.Eloge de l'amour relate, pour plusieurs couples, quatre étapes essentielles de la relation : la rencontre, la passion physique, la séparation et les retrouvailles. Soient l'accord, le conflit et le dépassement du conflit entre deux parties. Soit encore, un point de vue politique sur l'expérience amoureuse. Les personnages sont interprétés par des "acteurs" importants du monde littéraire, et le déroulement des histoires est mis en relation avec une réflexion sur la Résistance. Godard, comme toujours, parle de la relation amoureuse et du monde contemporain à son film au moment où il le tourne. Dans A bout de souffle (1959), l'aventure amoureuse se construit en parallèle avec l'aventure du gangster en cavale. Dans Le petit soldat (1961), elle se construit en parallèle avec l'aventure terroriste des héros engagés dans la guerre d'Algérie. On pourrait, sans risque de forcer l'interprétation, égrener la liste complète de ses films et y retrouver à chaque fois cette trame qui associe l'amour comme principe constant de l'action, à des situations politiques et sociales dans le bouleversement desquelles il trouve sa forme et son actualité. Godard montre le passage de l'Histoire dans le temps immémorial des histoires d'amour. Si la rencontre est déterminante, son principe ne change pas au cours des âges. Il en va de l'amour chez le cinéaste comme dans cette définition que donne Lacan : "... le désir dans sa racine et dans son essence, c'est le désir de l'Autre, et c'est ici à proprement parler qu'est le ressort de la naissance de l'amour, si l'amour c'est ce qui se passe dans cet objet vers lequel nous tendons la main par notre propre désir, et qui, au moment où notre désir fait éclater son incendie, nous laisse apparaître un instant cette réponse, cette autre main qui se tend vers nous comme son désir." C'est l'universel désir de l'Autre et de sa réponse.Les variations de l'oeuvre ne sont pas liées à l'amour qui est une constante, mais à l'évolution du monde contemporain que les films accompagnent, de laquelle ils sont les témoins actifs. Sa trajectoire commence avec le couple Amour/Loi (A bout de souffle ; Le petit soldat...), puis le couple Amour/Commerce (Vivre sa vie ; Le mépris...), le couple Amour/Travail (Numéro deux ; Tout va bien ; Passion...) et enfin le couple Amour/Guerre (Forever Mozart ; Eloge de l'amour). Ce n'est donc pas un nouveau film de Godard que nous découvrirons ce mercredi 16 mai 2001, mais le dernier opus d'une histoire de l'amour à l'âge moderne, que le cinéaste élabore comme une réflexion politique sur la société, le regard, les images et la vérité.Eloge de l'amour
De Jean-Luc Godard.
Avec Bruno Putzulu, Cécile Camp, Jean Davy...
Date de sortie : 16 Mai 2001