Toutes les critiques de De L'Histoire Ancienne

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    La pâleur, serait ce qui qualifie le mieux De l'histoire ancienne, le film d'Orso Miret. Mais une pâleur qui flamboie. Une pâleur impressionnante, participant aussi bien du retrait mortuaire que de la sur-présence maladive.- Lire l'entretien exclusif avec Orso Miret - Lire aussi la chronique du film Le Silence d'Orso Miret (2004)La folie qui emmène le personnage de Guy (Yann Goven) progresse sur son visage et défait ses traits jusqu'à l'effacement. Telle est la pâleur de cette histoire penchée sur la disparition d'un père héros de la Résistance, méditant à la fois sur le souvenir et sur l'héritage dont les vivants sont en charge devant les morts. On écoute Danielle (Brigitte Catillon) parler de l'hypocrisie de sa vie conjugale, et quand on entre un instant chez elle, reçu par son mari, on découvre un intérieur entièrement blanc. Telle est la pâleur dans le film des décors anonymes d'appartements, de boutiques, de rues, où l'action passe sans plus jamais réussir à trouver des attaches solides. On se rassure à la corpulence de Fabien (Olivier Gourmet), à ses mouvements, son travail, et on perçoit un terrible vacillement, comme une colonne d'air au centre de sa personne. Telle est la pâleur des personnages qu'un doute tenace retient toujours ailleurs, où qu'ils soient.Réunis par la mort de leur père et le soin à donner à leur mère, les trois enfants adultes, semblent pris au sort de l'âme slave des romans de Dostoïevski. La maison brûle et Raskolnikov, fuyant les flammes, est soudain arrêté par une question. Une question qu'il ne formule pas mais qui le cloue sur place : "Il y a quelque chose de plus important que cela, les flammes, la maison qui s'écroule. Et je ne peux pas sortir, reprendre ma course, avant d'avoir trouvé cette chose". Il n'est plus rien en eux qui ne glisse, ni qui ne soit tenu immobile. Guy, Fabien et Danièle sont suspendus, stupides devant cet arrêt du temps que produit, dans leurs vies, la mort d'un père dont chacun se sent, à la fois redevable d'un exemple d'engagement et de force, et coupable d'une absence finale. Seul le personnage de la mère (Martine Audrin), est écrasé par l'événement. Elle perd la mémoire et, physiquement elle s'écroule. Les enfants, eux, sont traversés par une secousse qui les laisse, droits sur leurs jambes, dans une sorte d'obligation à contempler, comme pour la première fois, le monde avec leurs propres yeux. La mort du père amorce pour chacun d'eux un changement de point de vue radical sur leur existence. Ainsi, De l'histoire ancienne montre le mouvement partagé d'une rupture qui prend forme, chez trois personnes différentes, de trois façons différentes. Une expérience aiguë de communication où les deux faces possible/impossible de la relation qu'on voudrait toujours plus accomplie, à soi-même, au monde, aux autres, se rejoignent parfaitement. Un éclat crépusculaire émane de ce film dont la durée pourrait être, pour les personnages, l'équivalent du voyage au pays des morts que fait l'antique initié égyptien, avant de revenir parmi les vivants. Car les fils se dénouent finalement, comme la montée du délire de Guy le laissait prévoir. Chacun se perd, chacun pour soi, de toute son intensité, avant de se retrouver sur une route nouvelle.Orso Miret pousse très loin, dans ce premier long-métrage, l'expérience d'une narration elliptique. Cela lui permet, en éliminant les scènes de transition qui dilueraient son propos, de maintenir la suite des plans à un fort niveau de tension dramatique, et de construire ses personnages d'une façon étonnante. Guy, par exemple, dont on ne voit jamais les déplacements, trouve dans cette ubiquité cinématographique une présence à la fois légère, inquiétante et douce. Quant à nous, spectateurs, nous sommes invités à un patient travail de décryptage du sensible qui affleure à la surface des images, des temps, des sons du film. Invités à l'investir, pour le comprendre, de la charge des histoires de citoyen et d'enfant que nous sommes.De l'histoire ancienne Un film de Orso Miret Avec Yann Goven, Olivier Gourmet, Brigitte Catillon France - 2000 - 1h 59mn Date de sortie : 21 Février 2001