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Youth sera diffusé ce soir sur Canal + à 20h55.

L'année 2015 marque le retour de Michael Caine. À 82 ans, l'acteur britannique est partout. On l'a vu dans Interstellar, il était roi des Kingsman au printemps et aujourd'hui, il est impérial dans Youth. Chez Sorrentino, il prête son élégance éternelle à Fred, un chef d'orchestre à la retraite qui tente de tromper la vieillesse dans un luxueux hôtel situé au pied des Alpes, avec son ami Mick (Keitel), réalisateur qui travaille sur le scénario de son dernier film. D’une classe suffocante, d’une subtilité extrême, Caine n’a pas été aussi touchant depuis des décennies et on comprend pourquoi on aime autant cet acteur hors du commun… Pour sa grâce inaltérable, mais aussi pour ce qu'il trimballe de mythologique.

C'est son secret. Regardez bien. On peut les compter sur les doigts d’une main. Sean Connery, un, made in Scotland. Albert Finney – à la rigueur – deux. Terence Stamp ? Hmmmm. OK, trois, pour vous faire plaisir. Et ? Basta. Dans la catégorie mythe britannique, les acteurs dignes de figurer sur la photo aux côtés de Caine, des stars qui définissent une époque (plusieurs époques), un cinéma (tout un cinéma), une génération (toutes les générations) : il n’y en a pas d’autre. Le swinging london, c’est lui. Ça commence au début des années 60, quand Caine, rival et faux frère de Sean Connery (voir leur film en duo L'Homme qui voulut être roi, dix ans après) lance les aventures de Harry Palmer après avoir tranquillement piqué la vedette à Stanley Baker dans Zulu. En un film (Ipcress - Danger immédiat, 1965), il devient « l’espion qui n’était pas Bond, » un agent secret working class qui porte des lunettes en écailles et un trench coat plutôt qu’un nœud pap’ et un costume sur mesure. Un espion donc – et un Dieu. En quelques perles 60’s, il s’impose en gouape astrale, à l’égal du 007 Connery, du jeune Delon ou du Newman « plus sauvage d’entre tous. » Ne serait-ce qu’au rayon de l’élégance, qui a toujours permis de faire la différence entre Anglais et Britanniques. Caine, c’est un naturel chiadé qui macule le costume nickel anglo-saxon de violence lad, une énergie punk prête à jaillir à n’importe quel moment. D’où ce mantra qu’il récite régulièrement :« sois comme le canard : calme en surface, mais barbotant comme un dingue en dessous. »

Il véhicule dans tous ses (grands) rôles de l’époque une certaine idée de la séduction, du cynisme et de la liberté. Ajoutez-y l’insubordination, la morgue, la lassitude clandestine et vous avez cette stature de prince noir. Qu’il soit playboy mélancolique et violent (Palmer ou, plus tard, Carter), dandy désabusé (Alfie qui élevait cette « obligation d’incertitude » à un sommet de distanciation), gangster cintré ou soldat fou, il fut l’Alpha et l’oméga du cool Britannia. Peut-être parce que dans les années soixante le cinéma anglais était le plus puissant, peut-être aussi parce qu’il était le meilleur de son époque, Caine est devenu un mythe donc, une icône. Pas une star (il va connaître les bides, la lose, la traversée du désert) mais quelque chose qui dépasse la célébrité, le succès, la réussite et les records. Une incarnation. Le Bryan Ferry du cinoche – avec cette inaltérable distance à l’égard du monde et des modes. Un Jack Nicholson moins wild. Une version brit de Marcello. L’incarnation de la psyché (avec ce que cela comporte de fantasmes) de tout un pays. A partir de la fin des années 70, ce seront les nanars, les Oscars et Woody Allen (dans Hannah et ses sœurs, 1986). Il devient l’ambassadeur britannique à Hollywood, et la boussole du cinéma made in UK. Celui qu’on regarde pour savoir non pas où on va, mais d’où l’on vient. La preuve : Nolan qui s’exile aux US s’en sert comme d’un totem en lui réservant un rôle dans tous ses films. Sachem du cool, objet transitionnel ou gourou, Caine lui sert de compas moral, comme s’il était sa garantie de ne pas totalement vendre son âme à Hollywood. Matthew Vaughn (quand même plus retors) a dû y penser en lui confiant le rôle de Arthur, le roi des Kingsmen. Sorrentino aussi : adepte des Casanova mélancoliques et vieillissants, des dandys rongés par l’angoisse de mourir, il lui offre ici un rôle sur-mesure. Pas vraiment ce que joue Toni Servillo dans ses films italiens (droopy protéiforme impassible et mélancolique), mais quelque chose de plus grave, de plus touchant. Il est Sorrentino, ou plutôt il est celui qu'il se fantasme. Il devient surtout une idée. Vieilli, mais toujours sublime, Caine atteint dans Youth le dépassement auquel les philosophies et le yoga visent désespérément, cet état rêvé de civilisation retombée, de dématérialisation chic et de grandiose résignation. La quintessence du cinéma de Sorrentino. Une certaine forme de beauté pure...

Gaël Golhen

Bande-annonce de Youth de Paolo Sorrentino avec Michael CaineHarvey KeitelRachel WeiszPaul Dano :


Article publié pour la première fois en septembre 2015.