Un carton d'audience, une presse dythirambique : P'tit Quinquin, la série de Bruno Dumont, est-elle vraiment si bien que ça ?
Des meurtres mystérieux, un duo de flics un peu débiles qui enquête, des flingues, des hélicos, des vaches mortes, des innocents et des coupables. Et des enfants qui regardent tout ça... P'tit Quinquin est un drôle d'OVNI dans le PAF. Réalisé par Bruno Dumont, cinéaste jusque là peu porté sur l'absurde et le décalage, la série est un carton public et critique. Alors que la deuxième partie arrive sur les écrans ce soir, on a cherché à savoir si notre Twin Peaks franchouillard était à la hauteur de sa réputation. C'est vraiment si bien que ça P'tit Quinquin ?
Oui, c'est une révolution. Quoiqu’on pense du film, cette série télé redéfinit le cinéma de Dumont. Depuis la deuxième partie de Flandres (le 16 mm glacé, sa partie guerre), Dumont semblait incapable de retrouver les hauteurs de 29 Palms ou de L’Humanité. Ce cinema surpuissant, constamment menacé par la violence et filmé avec des cadres au cordeau. Un trip mystique, une déviation par le biopic avec de la star… sa radicalité minimaliste semblait avoir un peu pâli. Cinéaste du malaise, de la violence et de la tension, Dumont avait perdu son mojo. Etrangement, c’est en allant sur le terrain de la comédie, en baignant son cinoche peuplé d’autistes et de gens du peuple aux fontaines d’Etaix et Tati qu’il retrouve grâce et puissance. Jamais ses films n’avaient paru aussi aboutis, aussi cohérents et aussi réussis que ce P’Tit Quinquin. D'ailleurs, son discours social hyper virulent, sa morale radicale (contre toute les formes d'institutions - état, religion, flics) est ici à son sommet.
C'est beau. Très beau. Les premiers plans de paysages ou de visages ch’tis la semaine dernière rappelait que Dumont est l’un des plus grands formalistes du moment. La puissante beauté de ses plans, leur force graphique, leur capacité à sidérer… Il suffit d’une scène belle comme une miniature hollandaise pour se rappeler que Dumont a une sorte d’évidence immédiate dans la façon de cadrer. Une supériorité. Une fermeté… Tous ses (grands) films redessinent l’écran comme il l’entend. Et de préférence de face (il affronte les paysages et ses personnages en vis-à-vis, contrairement aux Dardennes qui les filme de dos). C’est le cas de ce P’Tit Quinquin.
C'est un joli film sur l'enfance. Il l’a dit partout (à nous, mais aussi aux Inrocks et à Télérama) P’tit Quinquin est sa version nordiste du Club des 5 (on pourrait dire, une version picarde de Tom Sawyer aussi). Quand il regarde ses héros, quand il les montre faire l’école buissonnière, se castagner, draguer ou jouer aux auto-tamponneuses, Dumont atteint une forme de tendresse qu’on ne lui connaissait pas. Des enfants turbulents qui se construisent un monde hors de celui des adultes, des cadavres, une enquête qui part en vrille… et cette avidité de piger comment tourne ce foutu monde. Si Dumont s'amuse, il filme surtout les rondes enfantines avec un brio qu'on ne pouvait pas lui soupçonner. Toute cette histoire au fond, permet à P'Tit Quinquin de voir s’ouvrir devant lui et ses potes, une grande porte à l'imaginaire.
Non. Reste quand meme un problème moral. Comment Dumont regarde ses personnages ? Est-ce qu’il se moque de ses acteurs handicapés? sont-ils sujets d’empathie ou objets de moquerie ? Ou est-ce au fond le regard du spectateur qu’il met en question ? C’est l’un des fondement de son cinéma, ce qu'il a toujours fait. Interroger la place du spectateur, le mettre face à des choix qui l’obligent à questionner son intégrité. Mais comment comprendre ? Se degage parfois l’impression que Dumont réussit un Striptease fictionné en jouant sur des ressorts de manipulation qu'on a le droit de trouver retors. C’est beau, mais parfois malaisant… peut-être précisément ce que cherche Dumont au fond.Pierre Lunn
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