De Grace
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"Franchement, ce fut un crève-cœur", expliquent à Première le réalisateur Vincent Maël Cardona et le co-créateur Baptiste Fillon, révèlant que les séquences sur les docks ont été tournées à Anvers.

Arte dévoile ce jeudi soir sa grande série noire De Grâce, qui raconte un drame familial au sein de la communauté des dockers du Havre, confrontés à la pression toujours plus grande des trafiquants de drogue. Maxime Crupaux et Baptiste Fillon ont imaginé cette histoire forte en gueule, boostée par son décor plus grand que nature, admirablement filmé par Vincent Maël Cardona (le réalisateur des Magnétiques). Sauf qu'ils n'ont pas réellement eu accès au port du Havre, et ont été contraints de filmer des docks en Belgique. Pour Première, ils racontent ce "crève-coeur".

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PREMIÈRE : D'où vous est venue l'idée de faire une série des dockers ?
BAPTISTE FILLON : En fait, on voulait d'abord faire une série sur Le Havre. C'est vaste... Mais rapidement, on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose autour du port. On était initialement focalisé sur les remorqueurs, qui sortent du port, qui vont à la mer etc. Et puis on a cherché une profession avec ses codes, à faire découvrir aux spectateurs. Les dockers, ça nous a paru une évidence ! C'est une corporation fermée, une communauté avec des conditions de travail difficiles, et qui était parfaite pour consolider le drama familial qu'on était en train d'imaginer.

Comment avez-vous nourri votre narration sur ce monde des dockers ?
BAPTISTE FILLON : Se renseigner sur ce monde n'est pas chose facile. Mon père était marin, l'oncle de ma mère est docker, donc c'est un univers qui ne m'est pas totalement étranger. Mais quand vous allez frapper à la porte du foyer du syndicat pour poser des question, elle reste close. C'est une forme d'aristocratie ouvrière, qui s'est refermée sur elle-même pour résister à l'air du temps. Au Havre, les dockers sont jalousés, mais ils sont aussi aimés. Ils sont aussi la fierté iconique du port et donc de la ville. C'est une position sociale assez complexe.
VINCENT MAËL CARDONA : Oui, parce que la société ouvrière qui a pris cher ces dernières années, mais eux ont encore du pouvoir. Ils pèsent dans le rapport de force et ça, ça fait peur à pas mal de monde. Du coup, ils représentent aussi une forme de fierté pour le monde ouvrier en général, partout en France.

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Le port, c'est sutout un décor d'une puissance cinématographique folle...
VINCENT MAËL CARDONA : C'est clair. Ce qu'on aime dans le polar, c'est sa dimension tragique, comme chez Scorsese, comme chez Coppola, comme chez James Gray. La tragédie grecque en filigrane. C'est l'homme face à des forces qui le dépassent. C'est l'homme broyé face à l'hubris, face à la démesure. Le port industriel du Havre représente exactement ça, visuellement : on a ce petit bonhomme, à côté d'un porte-conteneurs. Il y a quelque chose de très impressionnant physiquement. Pour nous, pour le cinéma, c'est d'une puissance d'évocation folle, c'est de l'or pour un réalisateur. On comprend tout de suite que l'homme se fait emporter par ce monde qu'il a construit. Il n'y a qu'à filmer un ouvrier à côté d'un porte-conteneurs pour le comprendre.

Vous avez pu tourner facilement dans le port du Havre ?
VINCENT MAËL CARDONA : Non, on n'a pas pu en fait. Parce que les dockers en ont marre qu'on associe le port du Havre à la Cocaïne et au trafic. Et on peut les comprendre. Donc ils ne voulaient pas participer à un tel projet, traitant de ce sujet. Sauf que nous ne sommes pas à l'origine de ce stéréotype qui existe déjà. Il existe, avec ou sans la série. Ce qu'on peut faire, à l'inverse, grâce au temps de la fiction, c'est créer des personnages de dockers en trois dimensions, donner à voir aux gens ce que c'est qu'un docker victime des trafics de drogue. Qu'on comprenne sa réalité.

Où avez-vous filmé du coup ?
VINCENT MAËL CARDONA : On a pu filmer où l'on voulait dans Le Havre, mais pas sur les docks ! Ce n'était pas possible. Du coup, on a été tourner ces séquences-là dans le port d'Anvers, en Belgique. C'est un port qui doit faire 5 fois la taille de celui du Havre. Là-bas, on a eu cette possibilité... Bien sûr que cela nous a chiffonné, parce qu'on est attaché au Havre, surtout Baptiste, qui est né là. On aurait adoré... Franchement, ce fut un crève-cœur de voir le port juste à côté, sa beauté... Après, des docks ressemblent à des docks. Il y a des portes-containers, des grues etc... Que ce soit à Anvers ou ailleurs dans le monde, c'est le même visuel.

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On sent qu'il y a pas mal de frustration...
BAPTISTE FILLON : Oui, une énorme frustration, parce que derrière ce port, dans le décor, il y a la Seine, le Pont de Normandie, l'église Saint-Joseph... Quand on écrit, on a toutes ces images en tête. Et puis on aurait voulu participer avec eux, montrer avec eux la complexité de leur vie. Parce que la pression des trafiquants sur les dockers existe réellement aujourd'hui. Il y a même eu, pendant qu'on tournait, une marche blanche à la mémoire d'un docker assassiné dans ce contexte-là... Peut-être que le sujet était trop sensible, au moment où l'on a fait la série.

Anvers ou Le Havre, comment est-ce qu'on filme un port industriel, en tant que réalisateur ?
VINCENT MAËL CARDONA : C'est très compliqué ! Mais c'est aussi un terrain de jeu incroyable. Ces parcs de conteneurs sont assez fascinants, visuellement. Il y a une image de Tetris, de Lego, qui sonne comme un énorme symbole de la mondialisation ! Le conteneur en lui-même est devenu une unité de mesure ! Filmer ça, c'est passionnant. Du coup, avec mon chef op', Brice Pancot, on s'est amusé au milieu des grues, des tracteurs, on a mis des caméras partout... A l'inverse, c'est un tournage très contraint, parce que cadenassé par les autorisations. Les vrais dockers déchargent en permanence. Le port ne se met pas en pause pendant qu'on filme ! Du coup, on ne peut tourner que dans des lieux et des créneaux très encadrés.

Olivier Gourmet De Grace
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Que dit la série sur le syndicalisme ?
BAPTISTE FILLON : Ça pose une belle question, autour de la résistance à ce qu'on vit, à un ordre du monde qui nous balaye. Un monde créé par les humains, mais qui nous dépasse. La bête est sortie de nos reins et elle est en train de nous dévorer. Comment on résiste ? Pourquoi on résiste ? Pour quelle société ? C'est ça qui nous a semblé fascinant chez les dockers ! C'est le caillou au milieu du ruisseau. Ils sont obligés de faire corps, pour résister au raz-de-marée. Pour faire un peu d'Histoire, il faut savoir que les acquis sociaux de 1936 viennent de là. Tout ça est né au Havre. Mon grand-père m'en parlait les larmes aux yeux. C'est un vrai bastion populaire de la lutte. Mais pour autant, ce n'est pas une série politique.

Finalement, si vous deviez résumer la série en un genre...
BAPTISTE FILLON : C'est une série noire avec une densité dramatique. Par forcément un polar brut. On est dans un mouvement, une quête de la vérité, quelque chose qui dépasse l'enquête. Il y a même une forme de mysticisme. Le titre invite à ça. On peut parler de polar mystique noir si vous voulez (rires) !

De Grâce, six épisodes à voir les jeudis 8 et 15 février sur Arte et déjà en intégralité sur Arte.tv.