La mini-série engagée contre les pesticides cancérigènes arrive ce soir. Rencontre avec son réalisateur, Jean-Xavier de Lestrade.
Réalisateur de documentaire oscarisé en 2002 pour Un Coupable Idéal, à qui l'on doit aussi la mini-série 3x Manon (en 2014), Jean-Xavier de Lestrade s’attaque ce soir, sur Arte, à un sujet brûlant : celui des lobbies et des multinationales de l'agrochimie. Jeux d’influence fait écho, de manière froide et réaliste, aux questions de société qui se posent avec insistance, depuis des années, autour des pesticides cancérigènes. Une œuvre dans l'air du temps, pointilleuse et engagée, comme nous le confie son réalisateur.
Alix Poisson : "Je n’ai pas pu rencontrer de lobbyistes pour préparer la série"Le sujet porté par Jeux d'influence est particulièrement brûlant en ce moment. Vous parlez dans la série de « Limithrol » mais c'est « Glyphosate » qu'il faut entendre, non ?
Jean-Xavier de Lestrade : Oui, même si, avec Antoine Lacomblez, on a commencé à écrire le scénario il y a 5 ans ! Et à cette époque, on parlait beaucoup moins de « Glyphosate ». C'était surtout dans les milieux restreints et concernés. Mais en même temps, on savait bien déjà que certaines molécules utilisées pouvaient être toxiques, impactant la santé des utilisateurs en premier lieu, et aussi des consommateurs au bout de la chaîne. Pas mal d'études montraient déjà l'aspect cancérogène de ces substances. Du coup, aujourd'hui, si on remplace (dans la série) le terme « Limithrol » par « Glyphosate », on n'a rien de faux...
Mais le « Limithrol », c'est une substance qui existe ?
Non, non, pas du tout. C'est juste que sur le plan juridique, il a fallu faire très attention... Quand on filmait, on était en plein dans l'affaire du « Glyphosate » et on a été tenté de changer « Limithrol » en « Glyphosate ». Mais non, ce n'était pas possible, par rapport à Monsanto. On aurait pu avoir de vrais ennuis juridiques.
Est-ce que vous avez eu des pressions ? Peur d'un retour de bâton juridique de la part des industriels ou autre ?
Pas vraiment... Parce qu'à force d'étudier les lobbies, je commence à comprendre comment ils fonctionnent. Ils s'attaquent rarement aux choses en amont. Ils vont certainement préférer attendre la diffusion de la série et voir si cela provoque quelque chose, dans l'opinion, comme une prise de conscience. Et si tel était le cas, alors je ne serais pas surpris de voir apparaître dans quelques revues des articles cherchant à complètement discréditer la série, listant les erreurs, parlant de caricature, de clichés fictionnels qui n'ont rien à voir avec la réalité... Si pression il y a, elle viendra plus tard.
La relation entre le député Delpierre et son attaché parlementaire est l'une des grandes réussites de la série. Comment est-ce que vous l'avez pensé ? C'est fidèle à la réalité ?
Dans notre série, il y a un rapport filial entre le député et son attaché, parce qu'il y a une histoire derrière et c'était intéressant d'un point de vue romanesque. Après, dans la réalité, les rapports entre député et attaché sont beaucoup plus normés que cela. Ce sont des jeunes qui sortent de Science-Po. Ils vont travailler pour un député pendant 3 ou 4 ans et c'est rare qu'il y ait une relation aussi proche. Mais il n'empêche, on a fait valider le scénario par un ou deux attachés parlementaires et cette relation ne les choquait pas du tout.
Est ce qu'au-delà d'une interdiction, « inscrire quelque chose dans les mentalités, c'est comme ça qu'on avance », comme c'est dit dans la série ? C'est le message que vous vouliez faire passer ?
C'est toujours la même question en politique. Est-ce qu'on est plus efficace, à l'extérieur du système, en critiquant et en étant libre de sa parole, ou à l'intérieur ? La proposition que l'on fait à Delpierre, à la fin, c'est un peu l'expérience vécue par Nicolas Hulot, d'une certaine manière. C'est à dire rentrer dans le système pour faire passer des choses, concrètement, petit à petit... Ou alors ce n'est qu'un leurre et il vaut mieux rester à l'extérieur, secouer les consciences, avec des associations etc...
Jeux d'influence, sur Arte – 6 épisodes – Diffusion les jeudis 12, 19 et 26 juin 2019.
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