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5 heures du matin. A la sortie d’une boite, Victoria, jeune espagnole exilée à Berlin, croise quatre jeunes garçons éméchés. C’est le début d’une folle histoire qui va durer jusqu’à 7h14...Comme Birdman, mais en vrai. Depuis sa présentation au dernier festival de Berlin, on sait que Victoria est un plan séquence de deux heures quatorze minutes. DEUX HEURES ET QUATORZE MINUTES. Un long plan ininterrompu qui suit le trajet d’une jeune femme depuis sa sortie de boîte jusqu’à un braquage foireux. Dès l'introduction, une scène de clubbing suffocante, le film s’affirme comme un geste de virtuosité insensée et démonstrative. Comment mettre en scène une histoire sans l'artifice du montage ? Ce problème qui obsède les cinéastes depuis Hitchcock, Schipper le résoud en comprimant sa narration mouvementée - on passe d'un marivaudage Erasmus à un nouvel avatar des amants criminels - dans un tour de force sidérant.Il lui aura fallu 3 essais, 3 nuits de suite, pour réussir son plan, manifeste de cinéma. Schipper veut enregistrer le réel dans toute sa pureté, sans filtre ; ce qu’il recherche, c'est l'immersion et le réalisme. Paradoxalement c’est le moins intéressant, le moins viscéral, même si l'on reste scotché par l’élasticité du cadreur (qui rentre dans une bagnole, s’infiltre sur un dancefloor ou filme une fusillade en mode guerilla). On se rend vite compte que, entre effet de réel (le début) et accélération fictionnelle (la fin), le film hésite. Lévite. Et ce sont précisément les moments où Schipper réussit à s'extraire des contraintes pour emmener Victoria dans une direction sensualiste qu’il touche le spectateur ; dans un ascenseur, l’héroïne et ses copains discutent, leur voix s’atténuent progressivement et la musique décolle en même temps que les personnages ; deux scènes de boîte deviennent des vagabondages envapés sur des beats technos ; la sortie d’un hôtel fonctionne comme une libération solaire. C’est ce qui fait parfois penser à Noé (la perf’ hallucinée), à Tykwer (le portrait générationnel) ou à Kounen (les effets de transe) : Victoria est fascinant quand son dispositif devient film-trip. Quand l’arche monstrueux de l’héroïne, son trajet symbolique et l’idée de la compression du temps produisent des effets quasiment hallucinatoires. Du vrai cinéma.Gaël Golhen Victoria de Sebastian Schipper avec Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski sort le 1er juillet dans les salles.