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 On se demandait la semaine dernière si la nouvelle héroïne Pixar était l’étendard rêvée des manifs LGBT.  La saison des gay pride étant terminé, il est temps de passer aux choses sérieuses. Et à ce que nous réserve vraiment le prochain Pixar. 13ème film sorti des usines d’Emeryville, Rebelle est le film des premières fois. Alors que le studio à la lampe a consciencieusement produit des longs suivant les aventures de duos masculins (le père et son fils dans Nemo; un scout et un vieillard dans La-haut; Woody et Buzz dans Toy Story; ou les monstres de Monstres & Cie) Pixar décrit ici la relation entre une mère et sa fille. Mieux : le studio opère un plongeon dans le temps en chevauchant les plaines écossaises du moyen-âge... Mais de quoi s’agit-il vraiment ? De quoi Rebelle est-il le nom ? On décrypte ici ce conte de fée pas comme les autres prévu pour le premier aout dans les salles françaises.  1/ Un film de princesse ?“Merida, l’impétueuse fille du roi Fergus et de la reine Elinor, a un problème… Elle est la seule fille au monde à ne pas vouloir devenir princesse ! Maniant l’arc comme personne, Merida refuse de se plier aux règles de la cour et défie une tradition millénaire sacrée aux yeux de tous et particulièrement de sa mère. Dans sa quête de liberté, Merida va involontairement voir se réaliser un vœu bien malheureux et précipiter le royaume dans le chaos. Sa détermination va lui être cruciale pour déjouer cette terrible malédiction.” Le pitch du nouveau Pixar est on ne peut plus clair. Il convoque tous les clichés du dessin animé de princesse et du conte de fée. On est en terrain ultra-balisé... sauf que vous êtes chez Pixar. Et comme nous le confiait le réalisateur  Mark Andrews, “ce qui nous intéressait, c’était justement que ce soit différent. Prendre les clichés du genre et les renverser... Un peu comme Brad (Bird) l’avait fait avec les superhéros dans Les Indestructibles ou Andrew (Stanton) avec la SF et Wall-E.”  Rebelle joue donc beaucoup avec ces clichés. La princesse n’est pas une sage et jolie jeune fille, mais une amazone affranchie. A la tapisserie, elle préfère le tir à l’arc et, coiffée de sa longue chevelure rousse indomptable (la couleur des sorcières), elle rejette violemment la Disney Way of Life et toutes les morales afférentes au genre. Contre le mariage, contre les traditions, contre sa mère, Merida est l’héroïne moderne d’un film résolument féminin. Les petites filles vont adorer. Les plus grandes aussi.2/ Un grand film sur l’Oedipe ?D’une certaine manière, Là-Haut avait donné le ton. Il n’est pas fréquent de croiser dans un film d’animation, encore plus grand public, la mort comme sujet central et un vieillard atrabilaire comme personnage principal. Le chef d’oeuvre de  Pete Docter avec ses premières minutes d’une tristesse étourdissante était la démonstration édifiante de l’anticonformisme qui habite Pixar. Le studio récidive cette année avec Rebelle. Parce que sous les kilts des prétendants, derrière le film de Princesse (un peu malmené donc) et les décors écossais, se cache un grand film sur la relation mère-fille. Le vrai sujet de Rebelle n’est pas de savoir si Merida vivra heureuse et aura beaucoup d’enfants. C’est plutôt son Oedipe, la manière dont elle va se construire, imposer sa liberté de penser et faire bouger les coutures... Ce que confirmait Katherine Sarafian la productrice : “Le film est né de l’imagination de Brenda (Chapman, co-réalisatrice NDLR) qui, en regardant sa gamine de 6 ans, s’interrogeait sur la relation mère-fille. Elle se demandait quelle ado son enfant allait devenir et surtout quelle mère elle allait être... C’est ça Rebelle”. Tout le film doit être lu à partir de cette idée originale assez audacieuse pour un film d'animation. D'ailleurs, en VF, c'est Berenice Bejo qui double Merida. En plus de lui donner une tonalité plus ados et revêche que l'accent écossais de Kelly McDonald en VO, Berenice fait le lien avec son rôle dans Meilleur Espoir Féminin, film thématiquement jumeau (si si) dans lequel elle incarnait la fille d'un coiffeur qui refusait de suivre la voie tracée par son père et refusait la médiocrie ambition de son père pour devenir actrice...     3/ Un manifeste d’indépendance vis-a-vis de Disney ?Le charme de Rebelle vient de son attachement à l’histoire de Pixar dans le giron Disney depuis 2006. Derrière les aspirations libertaires de Merida s’exprime la volonté farouche de ne jamais perdre son identité au sein d’une multinationale où tout est lisse” peut-on lire dans la critique Premiere du film. Dès les premières minutes, le film d’Andrews s’assoit clairement sur un monde de traditions : claniques, celtiques, mais surtout Disneyiennes. La morale est constamment explosée et foulée au pied par l’énergie et la rebellion de Merida. Mais le rapport au grand frère Disney est plus ambigu qu’il n’y parait. Si Rebelle s’affranchit des films de Princesses, il semble aussi rendre hommage constamment à la grande tradition du studio de l’Oncle Walt. La séquence du concours de tir à l’arc ne cache pas sa révérence au Robin des Bois. Le refus du mariage et des prétendants imposés rappelle l’attitude bravache de Yasmine dans Aladdin; tout comme la rencontre avec la sorcière - qu’on retrouve aussi dans La Petite sirène. Et si la deuxième partie du film vous rappelle le twist de La Belle et la bête, c’est normal. Au fond, plus qu’un affranchissement de Pixar par rapport à Disney (ce qui n’a plus beaucoup de sens puisque depuis 2006 c’est  John Lasseter qui gère les deux entités sur le plan créatif), Rebelle ressemble plutôt à un hommage aux grands Disney des 90’s, période de la Renaissance du studio (c'est l'époque des Oscars et des billets verts). Ce qui n’est pas un hasard : depuis quelques années, Disney s'est lancé dans une grande entreprise de réhabilitation de son histoire. Livre, politique d’édition DVD (les classiques 90’s Disney sont par exemple tous introduits par la team Pixar), documentaire (Waking Sleeping Beauty) sont récemment revenus sur cette période séminale qui semble être la boussole créative de Lasseter. Ce que pourrait laisser penser l'influence de films comme Aladdin, La Petite sirène, La Belle et la bête sur Rebelle4/ Le nouveau Pixar ?Oui : par son ambition narrative démesurée (un grand film d’aventure, un conte de fée renversé, une comédie déjantée) et surtout par sa volonté de repousser les limites techniques, Rebelle est un dessin animé pas comme les autres. Excepté le design des personnages - ronds, et en cela fidèles à la charte Pixar - jamais un long-métrage d’animation n’avait paru aussi... réel. De ce point de vue, le film de Mark Andrews dépasse l’entendement. Les plans aériens, les textures (des vêtements, des matières, des décors), les mouvements des cheveux, l’eau... le film brise tranquillement de nouvelles barrières technologiques et quasiment mentales. Si Rebelle s’imprime si fort sur nos rétines, ce n’est pas seulement qu’il est beau ou spectaculaire (c’est le cas), mais surtout parce que, pour la première fois, il ose l’ultime sacrilège : flouter définitivement le rapport entre le live et l’animation. De quoi rappeler la suprématie visuelle de Pixar. Impossible, du coup, de voir ce dessin animé sans penser à la manière dont John Lasseter définissait l’esprit Pixar fin 2010 : “Au fond, la philosophie du studio se résume à “prendre des risques””. Rebelle... jusqu’au bout.