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Si vous vous posiez des questions sur la vitalité du cinéma d’animation brésilien, Le Garçon et le monde devrait achever de vous convaincre. Oui, le Brésil est le nouvel El Dorado du dessin animé. L’année dernière, Rio 2096 avait remporté le grand prix et cette année, le film d'Ale Abreu pourrait bien rafler quelques globes à Annecy. A en juger par le tonnerre d’applaudissements qui a suivi la projection en tout cas, c’est l’un des chouchous du public .Le Garçon et le monde se résume simplement : un enfant voit son père partir au travail et décide de le suivre. Perdu dans un monde trop grand pour lui, il poursuit son périple qui le mènera aux confins d’univers étranges où il croisera des animaux machines, embarquera sur un paquebot pour un aller-retour aux US, avant de voir des militaires réprimer des manifestations. L’histoire d’un décillement, d’une naissance (au monde et aux autres). Simple. Fascinant. Le Garçon et le monde est en fait un drôle d’ovni animé. Sur le plan de la narration d’abord. En suivant les aventures de ce petit bonhomme, le film réussit à mêler harmonieusement la critique radicale d’une société de consommation hyper répressive (le garçon suit le trajet du coton d’un pays du sud indéterminé aux US puis retour ; assiste à des grèves et à la répression de l’armée), la quête adolescente et l’histoire des sociétés latinos. Essai total sur l’injustice du monde, passant de scènes très dures à des moments plus doux ou chatoyants, le film est pourtant, d’abord, un gros morceau esthétique.  C’est la principale force du film : avec son dessin « à la manière » des enfants, avec ces personnages ronds, ces oiseaux multicolores et cette absence de dialogue (compréhensible), l’essai d’Abreu impose son audace et sa liberté qui entraînent, comme par essence, une poésie et une qualité de rythme qu’on ne se souvient pas avoir vu dans un dessin animé depuis très longtemps. Demandez-lui ses références (comme on réclame des papiers) et Abreu est catégorique. Peu d’animation, plutôt les peintres de la modernité archaïque : Miro ou Klee avant tout. Ah si : il y a quand même René Laloux et on voit très vite pourquoi : comme dans Les Maîtres du temps et La Planète sauvage, le film raconte le voyage d’un enfant dans un monde hostile et étrange ; comme chez Laloux aussi, Abreu, même lorsqu’il décrit des choses dures, cherche le rêve et la poésie, le mystère et le fantastique…  Et puis, en adoptant le regard que l’enfant pose sur le monde, Abreu décille sa vision de cinéaste et atteint une forme de lyrisme naïf, surréaliste, l’inverse de l’effectivisme de l’animation contemporaine (prend ça dans les dents Rio). Le cinéaste prend le temps de voir, de regarder pour mieux décrire le monde contemporain et l’essence de l’homme. On ne s’étonnera pas de retrouver certaines réminiscences tarkovskienne dans ce drôle de dessin animé (Le Garçon et le monde peut être vu comme une relecture de son court-métrage de fin d’étude Le rouleau compresseur et le violon) qui flirte avec la métaphysique. Parce que derrière sa simplicité et sa beauté immédiate, l’ambition du film est folle. Pendant la conférence de presse, Abreu expliquait que le projet était né d’un animadoc et de son écoute des protests songs des 70’s – ce qui se sent dans la manière dont il critique l’aliénation et l’utilisation très pop des symboles. Le Garçon et le monde est un film libre et peut-être plus, libertaire. Un film qui prouve que l’animation n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle casse les carcans et les règles industrielles.   Edouard SonderborgLe Garçon et le monde d'Alê Abreu était présenté en compétition au Festival d'Annecy. Il sortira dans les salles françaises le 8 octobre prochain.