Inside Llewyn Davis n’est pas un biopic conventionnel, les Coen se sont inspirés de la vie de Dave Van Ronk pour en faire quelque chose de très personnel. Comment avez-vous vécu l’expérience? Le peu que je connaissais de la folk, c’était Bob Dylan. J’ai donc lu les mémoires de Dave Van Ronk, dans lesquelles il exalte cette époque où les musiciens partageaient leurs chansons, et évoque à peine un voyage déprimant à Chicago où il passe une audition horrible. C’est là-dessus que les Coen se sont concentrés. La nostalgie de l'époque ne les intéresse pas, ils recherchent la vérité dans la part sombre des choses. Ils ont choisi de se concentrer sur la pire semaine de la vie de Llewyn Davis, pleine de noirceur et de désespoir, parce que c’est de là que vient la musique. Ca n'exclut pas l’humour, mais c'est de la comédie à la Buster Keaton : on rit devant son acharnement. Il peut lui arriver des milliers de choses, ça ne change rien, il continue. Et on rit parce qu’on s’identifie à toute cette merde qui lui arrive.
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Buster Keaton a été une influence ? Oui, parce que je n’arrêtais pas de me demander pourquoi c’était drôle. Je sentais que ce n’était pas seulement méchant, qu’on ne riait pas aux dépens du personnage. Il persévère et continue à s’abîmer en chemin, et le seul point de repère que j’ai trouvé, c’était Buster Keaton. Les pires choses peuvent lui arriver, son visage reste toujours impassible et il continue d’aller de l’avant. Je me suis inspiré de son jeu physique.
Vous vous sentez proche de Llewyn Davis ? Je n’aborde pas la vie de la même façon. Je suis plutôt sympathique a priori. Llewyn ne l’est pas. C’était une des principales difficultés : comment montrer que je suis amical et chaleureux sans sourire ni faire aucun effort pour me rendre aimable ? J’ai trouvé une solution : faire des blagues. Si vous riez, on peut s’entendre, sinon, tant pis, au revoir. C’est une posture risquée. Je me suis entraîné en allant à des fêtes où je parlais aux gens, mais sans jamais sourire. Ca peut mettre les gens mal à l’aise, ils se demandent si je suis en train de les juger ou si je suis un trou du cul. Llewyn est dans cette position délicate, qui rend plus vulnérable. Il ne porte pas de masque et ne joue pas la comédie sociale, il faut le prendre comme il est ou passer son chemin.
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Certains le voient comme un loser. Le considérer comme un loser serait adopter un point de vue carriériste, ce que Llewyn méprise. Il n’est pas de ces gens qui pensent qu’on a réussi parce qu’on gagne beaucoup d’argent. C’est de là que vient son problème : il veut faire connaître ses chansons et pense que ses disques devraient se vendre, mais il déteste l’idée de faire le show et ne veut faire aucun effort pour y arriver. Il y a beaucoup de gens comme lui, très doués, mais incapable de faire reconnaître leur talent. Mais c'est vrai que les Coen se sont intéressés non pas au génie Dylan qui monte sur la scène du Gaslight, connaît immédiatement le succès et change la folk à jamais, mais sur le type qui a fait sa première partie, en y mettant tout son cœur, avant de se faire éclipser. C’est moche, mais c’est la vie.
Avant d’être acteur, vous jouiez quel genre de musique ? J’ai beaucoup joué dans des groupes punk et hardcore, et plus tard de l’indie rock. Rien à voir avec la musique de ce film. Du coup je suis allé dans des coffee houses pour tester les chansons devant un public.
Quand ? Pendant la préparation puis pendant le tournage. Je jouais sans arrêt pendant mes jours de congés. Je me suis même produit au Gaslight et au Café Vivaldi. Avant l’audition, je travaillais sur un petit film sur lequel j’ai rencontré un vieux figurant. Entre les prises, il jouait de la guitare et je l’ai trouvé phénoménal. Je lui ai demandé s’il avait entendu parler de Dave Van Ronk parce que je préparais quelque chose sur lui, et il m’a répondu qu’il avait même joué avec Dave. Il habitait MacDougal Street, juste au-dessus du Gaslight. Il m’a invité chez lui, m’a fait écouter des disques et m’a appris à jouer le style Travis de Van Ronk. J’ai fait ses premières parties dans des clubs. Je lui dois beaucoup.
C’est vous qui avez demandé le rôle ? J’ai supplié qu’on me le donne ! J’ai entendu parler de leur projet et je me suis dit il faut absolument que je le fasse. Ce sont mes cinéastes préférés.
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