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La commission de classification des films a recommandé la semaine dernière que Love, le "grand porno sentimental" de Gaspar Noé, sorte en salles avec une interdiction aux moins de 16 ans. Mais un communiqué de Wild Bunch nous apprenait ce matin que le ministère de la culture avait demandé à la commission du CNC de revoir sa copie en espérant obtenir une classification plus sévère – c’est-à-dire une interdiction aux moins de 18 ans.>>> Love risque d'être interdit aux moins de 18 ans "Alors que la commission de classification des œuvres cinématographiques du CNC, avait recommandé, la semaine dernière, une interdiction aux [moins] de 16 ans pour le film LOVE de Gaspar Noé, nous apprenons, avec consternation, que la ministre de la culture et de la communication a demandé à ce que le film repasse en commission, avec l'espoir d’une classification plus sévère", indique le communiqué.Promouvoir fait la loi"Si la commission avait recommandé une interdiction aux moins de 18 ans dès le départ, aucun souci, on se serait pliés à la décision" nous confie Vincent Maraval, le patron de Wild Bunch, producteur et distributeur du film. "Nous sommes légalistes, bien sûr. Mais c’est grave d’anticiper les réactions d’une association d’extrême-droite qui pratique le terrorisme moral" s’indigne-t-il. L’association en question est Promouvoir, une assoce réactionnaire qui a pour objet "la promotion des valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale", et s’est fait une spécialité d’attaquer les visas délivrés par le ministère sur avis du CNC à des œuvres qu’elle juge contraires aux bonnes mœurs en saisissant la justice. Le précédent SawIl se trouve que parfois ça marche : il y a quelques semaines, le Conseil d’Etat retirait son visa à Saw 3D suite à une action en justice de l’association réactionnaire qui s’était plaint que le dernier épisode de la saga de torture-porn n’ait été interdit qu’aux moins de 16 ans. Jugeant sur le fond, la plus haute instance administrative a estimé que le visa accordé au film par le ministère de la culture, qui avait suivi l’avis de la commission de classification comme il le fait toujours, était contraire à la loi, plus précisément à l’article 227-24 du Code pénal. Qui stipule :Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.La commission de classification des œuvres cinématographiques du CNC, composée en majorité de professionnels du cinéma, est reconnue pour sa bienveillance envers les œuvres et sa volonté de protéger la création artistique. Ses avis sont donc généralement plus laxistes que la loi mais tant que personne ne saisit la justice, ça passe. Aujourd’hui ça ne passe plus car l’association Promouvoir, qui saisit systématiquement la justice, a conduit le Conseil d’Etat à rappeler la loi. Et à inciter le ministère de la culture à la faire appliquer.>>> Saw 3D : explications et conséquences de l'annulation de son visa Recul moralPour Maraval, il s’agit de la part du gouvernement de "choix moraux consternants", qui vont "aseptiser la création" et qui représentent "un recul moral total", "d’autant plus gênant de la part d’un gouvernement socialiste". Il fustige par ailleurs l’attitude "hypocrite" de la ministre qui, au lieu de prendre la décision de ne pas suivre l’avis de la commission, demande à celle-ci de changer d’avis. Il appelle par ailleurs Fleur Pellerin "à se positionner sur Internet", qui permet aux mineurs de trouver tout le contenu porno qu’ils veulent. En réalité, la ministre est coincée par la décision du Conseil d’Etat sur l’affaire Saw et sa demande faite à la commission de revoir sa copie (fait rarissime) en est sans doute la conséquence : on sait maintenant qu’une interdiction aux moins de 16 ans sera attaquée en justice par Promouvoir et que la justice ne pourra que lui donner raison - s’il est établi que le film de Gaspar Noé est pornographique. Fleur Pellerin est donc dans la position très inconfortable d’une ministre de gauche dont on dira qu’elle s’est fait dicter sa conduite par une association réactionnaire d’extrême droite, quand bien même elle ne fait qu’appliquer la loi. Le ministère, dont nous attendons toujours la réaction, a intérêt à bien roder sa communication.Porno or not porno ?La seule question reste finalement de savoir si Love doit être considéré comme une œuvre pornographique, qui se définit essentiellement par la présence de scènes de sexe non simulé. Il va donc falloir que Noé et Wild Bunch répondent à cette question sur laquelle le flou avait jusqu’ici été entretenu, et que Vincent Maraval entretient toujours quand nous lui posons la question : "Je ne sais pas si le sexe est simulé dans Love. On ne demande pas à un cinéaste comment il a fait pleuré son actrice, je n’ai pas demandé à Gaspar comment il fabriquait ses scènes". Il n'était visiblement pas dans ce secret de fabrication quand il a tourné ses scènes à lui - rappelons que le patron de Wild Bunch fait une apparition dans le film.>>> Love : Gaspar Noé tente le grand film sentimental pornoEn attendant le deuxième avis de la commission de classification, la sortie de Love de Gaspar Noé est toujours prévue pour le 15 juillet prochain.Vanina Arrighi de Casanova