Dans Loin des hommes, adaptation par David Oelhoffen d’une nouvelle d’Albert Camus (L’Hôte, publiée dans le recueil L’Exil et le Royaume), Viggo Mortensen joue un instituteur français d’origine espagnole qui vit en Algérie au moment où démarre la guerre. Pour ce film sur lequel il s’est aussi engagé en tant que coproducteur, le comédien joue pour la première fois en français, mais aussi en arabe. Il parle ici de sa collaboration avec Reda Kateb, de son attachement à Albert Camus et de sa vision du star-system.>> 15 choses que vous ne saviez peut-être pas sur Viggo Mortensen">>>> 15 choses que vous ne saviez peut-être pas sur Viggo MortensenVous dites souvent que le métier d’acteur permet d’apprendre continuellement et de rester en éveil. Qu’est-ce que Loin des hommes vous a appris ? Tant de choses. L’arabe, déjà. A mieux parler le français ensuite. Mais aussi l’Histoire de l’Algérie, l’Histoire de France, celle du XXème siècle. J’ai découvert les paysages de l’Algérie, les montagnes de l’Atlas, je me suis davantage familiarisé avec la pensée d’Albert Camus, écrivain et homme juste que j’admirais déjà avant le projet. L’idée était que mon personnage, Daru, soit un peu comme Camus et qu’il fasse l’effort de prendre des bonnes décisions chaque jour.Votre personnage est forcé à se positionner alors qu’il a toujours aimé naviguer entre différentes cultures. C’est aussi ça qui vous a attiré ?Oui, je crois que tout bon drame parle d’hommes ordinaires plongés dans des situations extraordinaires. Daru est un être compliqué, il est à lui seul un mélange de cultures et de langues, il vit en Algérie, dans la même région que Mohamed, le personnage de Reda Kateb, mais il a des parents andalous et sa langue maternelle était l’espagnol avant qu’il n’apprenne le français à l’école. Il a été soldat de la France Libre pendant la deuxième guerre mondiale puis il enseigne désormais à des enfants algériens. Camus a écrit dans Les Justes que « C’est tellement plus facile de mourir de ses contradictions que de les vivre ». Je suis totalement d’accord avec ça.Le réalisateur David Oelhoffen présente le film comme un western. Vous avez déjà tourné dans plusieurs films qui flirtent avec le genre, comme Appaloosa ou Jauja (qui sortira en France le 29 avril 2015, ndlr).Je n’aime pas beaucoup classer les films en genres mais on peut dire que le film de Lisandro Alonso, Jauja, est une sorte de western existentiel, oui. Loin des Hommes et Jauja ont en commun des décors de western et décrivent chacun à leur manière une situation coloniale où les Européens entrent dans un paysage déjà habité par d’autres populations en cherchant, jusqu’à un certain point, à imposer leur culture.Le duo que vous formez avec Reda Kateb occupe le coeur du film. Comment s’est passée cette collaboration ?Pour un tel projet, c’était très important d’avoir un bon comédien en face, quelqu’un avec qui on puisse communiquer par les gestes, par le regard. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec Reda car le courant est bien passé, et j’estime que le bon rapport humain entre les acteurs constitue la base d’une interprétation réussie. La façon dont mon personnage et le sien arrivent à réagir l’un à l’autre vient de notre entente sur le plateau.>> Reda Kateb : "Humainement, Loin des hommes m'a changé"">>>> Reda Kateb : "Humainement, Loin des hommes m'a changé"Daru aimerait s’extraire du tumulte du monde, mais il est contraint de prendre des décisions fortes. Est-ce que cette idée d’engagement anime aussi vos choix de comédiens ?J’aime établir des liens avec les gens, je préfère ça plutôt que d’être en conflit avec eux. Pour ça, il faut chercher à comprendre les autres, il faut du temps pour s’écouter, pour vivre ensemble, pour voyager et voir d’autres cultures. Pour Loin des hommes, j’ai relu tout ce que je connaissais déjà d’Albert Camus, mais j’ai aussi découvert sa correspondance avec René Char et j’ai lu ce qu’il avait écrit en tant que journaliste en Algérie avant la deuxième guerre mondiale. C’était très éclairant pour moi.On ne peut pas s’empêcher de voir un peu d’Aragorn dans votre personnage, de sa noblesse et sa lucidité, qui s’exercent là aussi dans des paysages naturels majestueux.Je comprends qu’on fasse des connexions entre mes films et ça ne me dérange pas. Les spectateurs penseront à Aragorn jusqu’à la fin de ma vie, parce que la trilogie de Peter Jackson était un phénomène culturel et cinématographique mondial. Ca m’a donné beaucoup d’opportunités, notamment celle de travailler avec David Cronenberg ou de jouer le Capitaine Alatriste. On a besoin d’un peu de chance dans la vie mais il faut bien ensuite gérer les opportunités qui arrivent.Vous éditez des poèmes et faites de la peinture. Est-ce que vous aimeriez désormais réaliser des films ?J’avais écrit un scénario il y a quinze ans, c’est un film que je voulais tourner au Danemark mais je n’ai pas trouvé l’argent nécessaire. J’en ai écrit un autre depuis, qui est lui aussi une sorte de western. On va voir comment ça évolue. Mais j’ai appris en travaillant avec David Oelhoffen que si on a vraiment envie de faire un film, on doit aller au bout et ne pas se poser mille questions. On trouvera toujours les moyens pour le réaliser si l’on y croit vraiment, et on doit prendre le temps de bien se préparer si l’on souhaite que le résultat soit à la hauteur. Et je pense qu’il faudrait que j’arrête le travail d’acteur pour trouver la concentration et l’énergie nécessaires.Quel regard portez-vous aujourd’hui sur Hollywood, auquel vous restez extérieur?Il y a toutes sortes de réalisateurs, de comédiens et d’histoires qui se tournent aux Etats-Unis, on n’y produit heureusement pas un seul genre de films. Hollywood c’est avant tout une idée, plus qu’un lieu. Il y a de grands réalisateurs aux Etats-Unis, mais aussi en France, en Espagne, partout. Moi je suis prêt à travailler avec un réalisateur quelle que soit la langue ou le pays d’origine du film, c’est vraiment le sujet qui m’importe et il faut que ce soit un film que je serais curieux de voir au cinéma.Vous êtes beaucoup sollicité par des grosses productions hollywoodiennes, pour jouer par exemple un méchant dans un film de super-héros ?Ca m’arrive oui. Mais quand je dis oui à un film indépendant et singulier comme Loin des hommes, ça prend du temps pour réunir les financements, l’équipe technique. La préparation de films comme Loin des hommes ou Jauja peut aller jusqu’à deux ou trois ans, et pendant ce temps j’ai reçu des propositions pour de gros films que j’ai préféré décliner. Car j’ai l’habitude de rester jusqu’à la fin d’un projet même si ça me fait perdre des opportunités. Je comprends bien qu’il y a des conséquences et qu’on risque de m’oublier si je ne fais pas un film à très gros budget au bout de quatre ou cinq ans. Mais je gagne beaucoup plus de choses que je n’en perds au final. Je sais par exemple que je pourrai revoir Loin des hommes dans vingt ans en sachant que c’est un bon film qui valait la peine d’être fait, et dont je peux être fier.>> Viggo Mortensen : "Si Le Seigneur des anneaux peut gagner 12 Oscars, je ne vois pas pourquoi Avatar ne remporterait pas celui du meilleur film"">>>> Viggo Mortensen : "Si Le Seigneur des anneaux peut gagner 12 Oscars, je ne vois pas pourquoi Avatar ne remporterait pas celui du meilleur film"Loin des hommes possède en effet un propos et une structure très universels, comme hors du temps.Oui, et j’espère que le film va plaire en France. C’est déjà une victoire que Loin des hommes ait pu être montré à Alger et à Marrakech. On a aussi vendu le film en Israël et à plusieurs pays arabes. Je crois que c’était la façon de penser de Camus, il est important de créer des liens pour que les gens essaient de se comprendre. Ce qu’on voit dans Loin des hommes peut faire penser à ce qui se passe actuellement en Syrie, ou bien à l’Egypte, au Liban, à l’Irak, à la situation entre Israël et la Palestine, ainsi qu’à l’Histoire de la France et de ses rapports avec l’Afrique et le Moyen-Orient. C’était essentiel de faire un film qui prend ainsi comme toile de fond la Guerre d’Algérie mais qui n’est pas une œuvre idéologique. Car le film traite avant tout des thèmes de l’amitié et de la compréhension et ce sera très intéressant pour moi de voir les réactions critiques et publiques dans les différents pays où le film sera projeté.Interview Damien LeblancViggo Mortensen, à propos de Loin des hommes : Loin des hommes de David Oelhoffen avec Viggo Mortensen, Reda Kateb et Djemel Barek sort le 14 janvier dans les salles
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