Dans Vous ne désirez que moi de Claire Simon, le comédien incarne Yann Andréa, le dernier compagnon de Marguerite Duras qui livre ici les secrets de sa passion exclusive avec l’auteure de L’Amant.
Un face à face. Pas de champ, contre-champ. La caméra passe dans un même mouvement d’un visage à un autre, d’un corps à l’autre, privilégiant le plan-séquence. L’un parle, l’autre écoute. Lui et elle. Yann Andréa (Swann Arlaud) et Michèle Manceaux (Emmanuelle Devos). Il est le dernier compagnon de Marguerite Duras, beaucoup plus jeune que l’auteure de L’Amant et transi d’admiration pour ce monument de la littérature. Il lui a d’abord envoyé des lettres avant de faire partie de son intimité avec ce que cela suppose de débordements passionnés. Yann Andréa en avait gros sur le cœur, alors il a convié une amie journaliste, Michèle Manceaux, pour parler de cette relation. En posant des mots dessus, il voulait ainsi essayer de la comprendre. De ce face à face, ne sont restés que des enregistrements longtemps gardés secrets, puis un livre, Je voudrais parler de Duras, publié en 2016. Marguerite Duras était morte vingt ans plus tôt. Yann Andréa, lui, a disparu en 2014. Il y a aujourd’hui un film. Claire Simon (Les bureaux de Dieu, Gare du Nord, Le concours...) restitue ici ce dialogue qui prend l’allure de monologue. Emmanuelle Devos pose les questions, puis se tait. Swann Arlaud, répond, articule une pensée, donne vie à un texte d’une brûlante intimité. Le dispositif du film repose donc sur de longs plans-séquence où la parole occupe tout l’espace. Le travail de Swann Arlaud est impressionnant.
Quel rapport aviez-vous avec l’œuvre de Marguerite Duras avant de commencer à travailler sur ce film ?
Swann Arlaud : J’ai découvert ses romans vers l’âge de vingt ans. J’ai été marqué par son écriture, ses phrases courtes, ce rythme bien à elle et surtout cette sensualité qui parcours son œuvre. J’ai eu la chance de côtoyer Duras dans mon enfance, via mon père Bruno Nuytten (célèbre chef opérateur et cinéaste) qui a travaillé avec elle. J’ai ainsi des souvenirs de moments passés dans sa maison de Neauphle-le-Château. J’étais un enfant, je n’avais pas du tout conscience d’être devant un monument de la littérature. C’était une femme impressionnante avec une présence incroyable et puis cette voix, profonde. C’est peut-être pour ça que lorsque Claire [Simon] m’a parlé pour la première fois du projet, je n’étais pas sûr de vouloir le faire. Tout ça me paraissait assez proche de moi et en même temps le personnage de Yann Andréa était très éloigné. Elle m’a tout de suite rassuré. Elle ne cherchait pas un quelconque mimétisme. Il ne s’agit pas d’un biopic. Je me suis alors plongé dans le texte. Il m’a captivé.
Il y a une part d’impudeur dans les confessions de Yann Andréa. Il dit tout de cette intimité...
Je n’y vois pas de l’impudeur, mais une grande lucidité, une grande intelligence aussi. Tout ça est très étonnant de la part d’un jeune homme de trente ans. A la base, cet entretien n’avait pas vocation à être rendu public. Il le faisait avant tout pour lui pour comprendre ce qu’il vivait.
Le texte est parfois assez violent et propose une image peu flatteuse de Marguerite Duras. Cela vous a-t-il gêné ?
Nous n’avons pas cherché à trop analyser le texte, ni les caractères des personnages. Oui, c’est violent, il est clairement question de domination, d’emprise... Pour autant, il y a aussi une grande beauté qui émerge de tout ça. Chacun peut y trouver une part de sa propre histoire. La passion amoureuse a toujours une dimension destructrice, il y a des rapports de dominations. Il faut parvenir à les équilibrer, c’est tout l’enjeu. « Est-ce que tout est acceptable ici ? ». Sûrement pas, mais ça les regarde. C’est un film Metoo inversé avec un homme plus jeune, sous emprise, qui raconte son expérience. Si on rattache cette histoire à sa part romanesque, ça prend encore une autre dimension. Ce rapport passionné et passionnel se retrouve dans les textes de Duras. Elle a introduit cet homme et leur amour dans son œuvre. C’est atroce et grandiose à la fois.
Le film repose sur un dispositif très particulier. La caméra filme sans discontinuer...
Le premier jour de tournage, nous sommes arrivés sur le plateau et avons fait une prise de quarante-cinq minutes. Nous nous sommes rapidement retrouvés dans une temporalité très inhabituelle. L’équipe était très réduite, dix personnes pas plus. Nous faisions quatre prises par jour. J’ai pris un plaisir fou. La structure du film ne repose pas que sur le plan-séquence. Claire Simon répétait : « Lorsque nous écoutons une histoire, nous nous faisons forcément un film dans la tête. » Michèle Monceau se construit donc logiquement des images à partir de ce que lui raconte Yann Andréa. Les quelques flashbacks ou les dessins censés représenter leur sexualité, sont des images, une représentation, un fantasme.
Aviez-vous la possibilité de prendre des libertés avec le texte ?
Non, c’était du mot pour mot même les lapsus où Yann Andréa parle de lui au féminin... Tout était écrit noir sur blanc dans le livre publié à partir des enregistrements. Claire a juste procédé à quelques coupes mais ne s’est pas autorisée à modifier quoi que ce soit.
Ce tournage se rapprochait-il d’une expérience théâtrale ?
Le texte de Yann Andréa est très littéraire. Il a fallu que je passe du temps dessus. Le dispositif de la mise en scène avec sa caméra qui filme sans discontinuer me permettait de me laisser porter par le cheminement de cette pensée, de respecter le style, la syntaxe. Je pouvais ainsi respecter la manière dont il échafaude sa pensée. Nous avions conscience ici de réaliser une archive manquante. Contrairement au théâtre, nous étions ici plongés dans une grande intimité.
Où avez-vous tourné le film ?
Dans une maison qui appartient à un artiste-peintre située dans la région parisienne. Il y avait cette immense pièce sous les toits. Les responsables de la décoration se sont inspirées d’archives de la maison de Marguerite Duras pour aménager un espace. A la fenêtre, il y avait cette vue en hauteur, avec un panorama très ouvert. Au loin, on aperçoit la Seine. Ce n’était pas du tout comme ça chez Duras. Claire Simon me montrait la Seine et me disait : « C’est le Mékong ! »
Avez-vous également consulté les archives de ces confessions ?
Claire et moi avons refusé. Nous étions pourtant en contact avec la sœur de Yann Andréa qui était très heureux que ce film existe. Elle y voyait une façon de réhabiliter son frère. Elle avait les bandes et si nous avions voulu les consulter, il ne tenait qu’à nous de le faire. Encore une fois, notre volonté n’était pas de copier quelque chose d’existant mais de partir du texte et de la restituer avec le plus de sincérité possible.
Face à vous, il y a l’écoute d’Emmanuelle Devos...
Nous avons d’abord fait une lecture chez Claire. Cela a tout de suite était très fluide. Je ne connaissais pas Emmanuelle même si je l’admirai. J’étais d’autant plus honoré qu’elle accepte ce rôle-là. Un rôle avec très peu de texte. C’est très classe de sa part. Le texte est souvent un refuge pour un interprète, une branche sur laquelle il peut s’accrocher. Sans texte, c’est le vide. Emmanuelle devait être dans l’écoute. C’est ce qu’il y a de plus difficile à jouer.
Est-ce que la présence de la caméra qui vous observe en permanence était aussi un appui ?
Elle était particulièrement proche. Impossible de l’oublier. Claire cadre elle-même, la caméra devenait donc une oreille attentive et un regard. C’était très organique. Il m’arrivait de retarder le début d’une phrase pour attendre que la caméra arrive à ma hauteur.
La grande idée est de ne pas représenter Duras. Elle reste hors-champ...
... Il n’y a que les archives qui permettent de la voir et l’entendre. Elles viennent donner de la crédibilité à ce que dit Yann Andréa. Prenez, cet extrait du tournage d’Agatha et les lectures illimités et la façon autoritaire qu’à Duras de le diriger...
Vous ne désirez que moi. De Claire Simon d’après Je voudrais parler de Duras de Yann Andréa avec Michèle Manceaux (Pauvert/Fayard). Avec : Swann Arlaud, Emmanuelle Devos... Dulac Distribution. Durée : 1h35. Sortie le 9 Février.
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