Rencontre avec la cinéaste franco- marocaine pour son premier long intriguant et envoûtant dans lequel le Maroc se retrouve soudain au cœur de mystérieux événements surnaturels
Qu’est ce qui vous a donné le goût du cinéma ?
Sofia Alaoui : Tout part de la Chine, où j’ai grandi entre mes 5 et 11 ans. Pendant toute cette période, j’ai eu la chance de voyager beaucoup sur tout le continent avec mes parents et de découvrir, outre la Chine, le Cambodge, la Mongolie… Soit d'autres façons de vivre mais aussi énormément de légendes, de mythologies. Ca stimule forcément l’imagination. Et l’enfant solitaire que j’étais a donc commencé très tôt à prendre une caméra pour m’approprier ces décors puis pour tourner des films les week- end avec des amis. En fait, je pense voulu faire du cinéma avant même de connaître exactement tout ce qui se cachait derrière le mot réalisateur. Je voulais juste faire des films. J’ai pensé un temps faire des études de cinéma en Chine car la Beijing Film Academy m'intéressait beaucoup. Mais comme entre temps, nous étions revenus habiter au Maroc, j’ai opté pour la France plus proche ( où elle va enchaîner l’ESEC, EICAR, les Gobelins- Ecole de l’Image, l’Atelier de scénario de la FEMIS…) et en parallèle, j’ai commencé à réaliser mes premiers courts métrages, deux fiction et deux documentaires car j’ai tout de suite aimé me confronter aux deux exercices. Puis je suis retournée habiter au Maroc où j’ai monté ma boîte de production avec laquelle j’ai pu donner naissance à Qu’importent si les bêtes meurent
Récompensé d’un Grand Prix à Sundance puis d’un César du court métrage, Qu’importe si les bêtes meurent mettait en scène un jeune berger et son père confrontés dans la montagne de l’Atlas à des phénomènes surnaturels. Et déjà l’étrange, le genre au cœur de votre premier long, Animalia, sont présents…
J'ai toujours été fascinée par l'invisible, le surnaturel dans ma vie personnelle et les questions que je me posais sont dans ce film. Comme spectatrice et comme réalisatrice, j’aime être transportée dans des univers qui me font voyager. Et aux films dits à sujet, je préfère toujours – et encore plus derrière la caméra – ceux où l’expérience de cinéma me permet de questionner la société. Mais je ne pensais pas pouvoir aller sur ce terrain- là pour un premier long métrage. Pour parler du Maroc, on m’a plutôt encouragée à faire un drame social réaliste. J’ai commencé à en écrire d’ailleurs mais sans parvenir à aller au bout. Pour parler de classes sociales, de féminisme, de patriarcat et de religion, j’avais besoin de passer par le prisme du genre. Et le succès de Qu’importe si les bêtes meurent m’a conforté dans l'idée que je pouvais faire le type de film que j'avais envie de faire. Sur ce film, j’ai rencontré les producteurs qui m'ont vraiment soutenu et qui aujourd'hui me soutiennent encore à chaque instant et c’est ici qu’Animalia a pu éclore.
Qu’est- ce- qui vous intéresse plus particulièrement dans la thématique de la religion que vous évoquez et que vous abordez dans Animalia par le prisme du mysticisme ?
Quand je suis revenu vivre au Maroc, j’ai été confrontée à cette société dogmatique où finalement les gens pratiquent souvent par peur ou par envie d'être récompensés de points parce pour accéder au paradis. Mais où se situe le mysticisme dans cette espèce de côté pratique ? On a l’impression que Dieu est un papa qui va te punir ou te récompenser. En étant marocaine, j’ai de fait une identité musulmane puisqu’il s’agit de la relation d’Etat Mais je n’ai jamais supporté de respecter les choses parce qu’il faut les respecter. J’ai besoin de comprendre. De questionner. De creuser le sujet.
Vous avez écrit Animalia seule ?
Oui mais avec des consultants et l'écriture. Je voulais proposer un voyage, offrir le plus de place et de poids à l’image. Ne pas surexpliquer les choses, laisser volontairement du flou pour que le spectateur s’en empare. Comme dans les films de réalisateurs que j’aime où tout n’est pas donné : Tarkovski, Buñuel, Bergman, Lanthimos, le cinéma très organique et mélancolique à la fois de Lars von Trier… Le choix des cadres compte ici plus que les mots avec évidemment un dosage à trouver entre les situations réalistes et le fantastique et ce jusqu’au montage. C’est la raison pour laquelle j’écris toujours de manière très visuelle. Ca me permet pouvoir communiquer de la manière la plus précise possible les idées abstraites que j’ai en tête à mon équipe - qui était la même que sur le court – et de me faire comprendre
Votre héroïne, cette jeune femme d’origine modeste mariée au fils d’une riche famille et plongée, seule, au cœur d’événements surnaturels de plus en plus inquiétants est brillamment incarnée par Oumaïma Barid. Comment avez- vous déniché cette perle rare ?
Je ne fais pas passer d’essais à proprement parler. Quand je rencontre des comédiens en audition, je ne leur demande jamais de jouer des scènes mais je leur pose des questions. J’ai besoin de connaître qui ils sont vraiment pour savoir si je vais avoir envie de passer tout ce temps de la préparation et du tournage avec eux. Et ce en sachant que, une fois ceux- ci choisis, je vais aussi me raconter, donner énormément de moi. C’est une relation de confiance. Au premier regard, Oumaïma peut apparaître très fragile. Mais dès nos premiers échanges, j’ai compris la force qu’elle avait en elle et qui épousait parfaitement ce que je recherchais pour son personnage. Elle vient d'une famille très conservatrice mais a toujours su qu'elle voulait être actrice. Et a donc d’elle- même décidé de quitter Agadir pour venir à Casablanca. Elle a une volonté d’acier qu’elle partage avec son personnage pour lequel j’ai voulu me jouer des stéréotypes de la femme rebelle. La rébellion ne signifie pas seulement gueuler, parler plus fort que les autres. Elle peut aussi passer par le silence.
Vous avez travaillé comment avec elle ?
Je me suis beaucoup dévoilée. Je lui ai parlé de qui je suis, de mon rapport à la vie, à ma famille. Je lui ai expliqué en détails pourquoi j’ai eu envie de faire ce film, ce que je voulais défendre à travers lui. Car elle allait vraiment incarner un personnage que j'ai écrit pour moi. A partir de là, je n’ai pas eu besoin de répéter, je lui ai fait entièrement confiance. Idem sur le plateau : je n’aime pas les mises en place, même si mon chef opérateur (Noé Bach, dont on a pu admirer le travail dans Amore mio, Les Amours d’Anaïs…) me déteste parfois ! (rires) Parce qu’il y a toujours quelque chose de l’ordre de la magie dans les premières prises et je veux que la caméra la capte. Et puis cela crée une écoute attentive de tout le monde sur le plateau afin d’atteindre ce que je recherche : être au plus près du réel.
Vous avez déjà une idée de l’après- Animalia ?
Oui, je travaille déjà sur mon deuxième long métrage qui sera produit par les mêmes producteurs et tourné là encore au Maroc. L’action se déroulera au sein d’un hôpital dans une ville menacée par des tempêtes de sable régulières. Ce sera un drame écologique et apocalyptique
Animalia. De Sofia Alaoui. Avec Oumaïma Barid, Mehdi Dehbi, Fouad Oughaou… Durée : 1h30. Sortie le 9 août 2023
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