Le compositeur césarisé pour La Nuit venue signe la sublime BO ambient et électro des Olympiades, dont il nous raconte le processus de création
Que représentait le cinéma de Jacques Audiard avant de travailler avec lui ?
Rone : Depuis longtemps, quand on me demandait en interview avec qui je rêverais travailler, je citais spontanément le nom de Jacques Audiard. C’est vraiment un de mes réalisateurs préférés depuis le premier film que j’avais vu de lui : De battre mon cœur s’est arrêté. Je me souviens encore de la sensation que j’ai ressentie en sortant de cette projection. J’avais l’impression d’avoir vu quelque chose de totalement nouveau dans le cinéma français. Un film très noir dont j’avais adoré la musique d’Alexandre Desplat. Et mon enthousiasme ne s’est jamais démenti, surtout lorsque j’ai découvert plus tard Un prophète. J’avais devant moi le Scorsese français ! J’avais la sensation d’un cinéma physique qui vous prend aux tripes, quelque chose de très sensuel dans l’image, un travail de dingue sur le son. Je vis une expérience sensorielle et pas seulement cérébrale devant chacun de ses films.
Et vient donc le jour où le rêve devient réalité…
Je suis en train de mixer un album à Paris quand je reçois un coup de fil où on me dit que Jacques aimerait me rencontrer pour la musique de son nouveau film. Tout est allé très vite. Il m’a montré Les Olympiades dès le lendemain et je me suis donc retrouvé dans une salle à côté de lui. Le film était déjà monté, même s’il y a eu évidemment de nombreux changements ensuite. Et je me prends une claque. C’est un Audiard qui prend une forme inédite en abordant de nouvelles thématiques en s’emparant d’une génération qui n’est pas la sienne. Ce dernier point est bluffant. Il parle incroyablement bien de la jeunesse française. Et la fraîcheur du film colle bien à la jeunesse éternelle d’Audiard ! Jacques m’emmène ensuite dans sa salle de montage juste à côté et on se parle 4 bonnes heures de ce qu’il imagine pour la musique. Il y a une vraie urgence car il a la volonté de le présenter au comité de sélection de Cannes
Qu’est- ce- que vous percevez de ses attentes ?
En fait, sur le montage que j’ai vu, il avait posé des musiques de Schubert. Du coup, j’ai vraiment cru qu’il y avait maldonne ! (rires) Mais il m’a rassuré en me disant de tout oublier. Et j’ai compris qu’il avait à la fois envie d’être surpris et d’une certaine modernité qui colle à ses personnages. Il m’avait contacté car il avait aimé ma BO de La Nuit venue et aussi le spectacle Room with a view que j’ai fait avec les danseurs du Ballet National de Marseille.
C’est quelqu’un qui connaît la musique…
Oui, sa culture musicale est assez incroyable
LES OLYMPIADES: AUDIARD SE REINVENTE DANS UN FILM GENERATIONNEL [CRITIQUE]Comment commencez- vous alors à travailler ?
En sortant du rendez- vous, il y avait quand même une forme de test. Il m’a demandé de choisir 3 scènes de mon choix et de lui envoyer dans 3 jours 3 propositions de musique. J’ai bossé comme un taré avec la trouille de passer à côté d’un truc de dingue. Et je me souviendrai toute ma vie de son retour : un mail avec juste écrit « Amazing ! ». Puis il m’a appelé en me disant un truc qui m’a à la fois fait super plaisir et terrorisé : il réalisait que la musique devait être plus présente et passer de 25 à 45 minutes. Le tout avec seulement un mois pour le créer. C’est le mois où j’ai le plus bossé de ma vie ! Et j’ai suivi la même méthode que pour La Nuit venue, inspirée de celle de mon idole Miles Davis qui avait composé la musique d’Ascenseur pour l’échafaud devant le film. J’ai donc investi dans un grand écran, j’ai récupéré le montage, je lançais le film en boucle et je composais dessus. Et j’enregistrais dès qu’il se passait quelque chose d’intéressant. Puis je l’envoyais à Jacques qui réagissait. Je ne peux composer qu’en regardant les images, d’avoir un rapport charnel avec elle. J’avais Jacques 3 ou 4 fois au téléphone par jour. Il m’a poussé sur des territoires que je n’expérimente habituellement jamais. La BO est assez riche au final avec des morceaux très épurés et d’autres où il m’a poussé dans des extrêmes, dans la saturation des sons comme cette scène de montée de MDMA
Comment avez- vous vécu la projection du film en compétition à Cannes ?
Comme un choc ! Voir à la fin du film Tilda Swinton secouer la tête en rythme sur la musique du générique restera une image inoubliable pour moi. Et tout au long de cette projection, j’ai éprouvé la même sensation que dans certains concerts.
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