La guerre du Vietnam vue par le prisme des soldats afro- américains. Des longueurs dommageables mais un plaisir gourmand et communicatif de cinéma.
C’est un de ces projets au long cours qui peuplent l’histoire du cinéma américain. En 2013, Danny Bilson et Paul DeMeo, le tandem à l’origine de Rockeeter, développe The Last tour, un scénario dans lequel quatre vétérans de la guerre du Vietnam retournent sur place afin de retrouver et rapatrier les restes de leur chef d’unité mais aussi de localiser la caisse d’or qu’ils avaient dû abandonner en l’enterrant au cœur de la jungle. Aux commandes, on devait retrouver Oliver Stone qui aurait donc replongé dans l’enfer vietnamien quinze ans après la fin de sa trilogie Platoon- Né un 4 juillet- Entre ciel et terre. Mais, d’abord intéressé, le réalisateur ne donne plus de nouvelles et ce projet manque donc de rester lettre morte jusqu’à ce que son producteur contacte Spike Lee, après avoir lu un article où ce dernier raconte sa passion pour Le Trésor de la Sierra Madre (comme il l’a raconté dans l’interview qu’il nous a accordée dans notre numéro 508).
Bonne pioche car, non content d’accepter la proposition, Spike Lee va la revisiter, la faire sienne avec son complice d’écriture de BlacKkKlansman, Kevin Willmott. L’inscrire pleinement dans sa filmographie qui raconte depuis plus de 30 ans la tragique histoire des Noirs aux Etats- Unis. Que ce soit l’histoire en train de se faire (Do the right thing…) ou les événements du passé qu’il ambitionne de remettre au goût du jour, dans un devoir de mémoire. Dans le scénario original, il n’y avait qu’un soldat noir dans la bande de vétérans. Et en décidant qu’ils le seraient tous, Spike Lee développe donc un point de vue inédit sur la guerre du Vietnam. Un point de vue 100% afro- américain, comme il avait pu le développer en 2008 pour la seconde guerre mondiale avec Miracle à Santa- Anna.
Le cinéma de Spike Lee repose sur deux piliers : divertir et éduquer. Et peu se montrent aussi à l’aise que lui dans le respect de ce fragile équilibre qu’il construit comme un dialogue constant. Da 5 Bloods est bien l’héritier de ce cinéma d’aventures des années 30- 40 qu’il adore. Il y a de l’action, des rebondissements, de l’humour, des héros charismatiques reliés par une camaraderie qui n’empêche pas de franches engueulades… Il y a des bons et des méchants, des personnages qu’on adore tour à tour aimer, redouter ou détester. Mais, en ouvrant et en clôturant Da 5 Bloods par des images d’archives de Muhammad Ali et Martin Luther King – deux des plus fervents opposants à la guerre du Vietnam – Spike Lee envoie un message symbolique très clair. L’action ne sera ici jamais déconnectée de la réflexion, en mêlant dialogues mettant en valeur des personnages méconnus de l’histoire des Etats- Unis (Crispus Attucks, la première personne morte pour l’Amérique lors du massacre de Boston orchestré par les Anglais en 1770 et qui… était noir), clins d’œil à l’histoire de la décolonisation du Vietnam (le choix d’avoir rajouté par rapport au scénario initial deux personnages français incarnés par Mélanie Thierry et Jean Reno, en écho à la guerre d’Indochine) et images d’archives
Ce patchwork domine d’ailleurs le cinéma de Spike Lee depuis quelques films. Comme le moyen le plus vivant de transmettre – par leurs codes – à la jeune génération afro- américaine ce qui constitue pleinement qui elle est. Mais aussi dans un geste joyeux, coloré, enthousiaste. Et de l’enthousiasme, il y en a à revendre dans Da 5 Bloods. Dans la mise en scène vibrante, en mouvement mais jamais vainement agitée de Spike Lee. Et dans sa gourmandise contagieuse d’avoir réuni une bande de comédiens qu’il admire et qui sont rarement abonnés aux têtes d’affiche sur grand écran (Delroy Lindo, Norm Lewis, Isiah Whitlock Jr., Clarke Peters…)
Mais ce plaisir a ses limites. Comme incapable de les interrompre, plus spectateur que réalisateur, Spike Lee laisse traîner les scènes toujours un petit peu trop. Il a toujours revendiqué et obtenu le final cut. Mais là il manque indéniablement le geste fort d’un producteur capable de le convaincre de coupes franches. Avec 30 voire 45 minutes en moins, le récit aurait gagné en densité sans rien perdre – bien au contraire - de ses autres qualités. Est-ce le syndrome Netflix de la toute- puissance des auteurs installés ? On a connu exactement le même souci de durée boursouflée avec The Irishman de Scorsese… Plaisir égoïste évident et assumé, Da 5 Bloods vaut cependant la découverte. Pour le plaisir des yeux, on l’a dit mais aussi des oreilles. Car une fois encore, le score de Terence Blanchard, le compositeur attitré de Spike Lee, est une merveille.
Da 5 Bloods, le 12 juin sur Netflix.
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