Quand Johnny Hallyday et Jean-Belmondo évoquaient Jean-Luc Godard dans Première
Première

Les acteurs de Détective et d'A bout de souffle ont tous les deux parlé avec émotion du cinéaste, qui vient de disparaître.

Le réalisateur Jean-Luc Godard, monstre sacré du cinéma, est mort à l'âge de 91 ans. Deux de ses comédiens phares, eux aussi disparus, avaient rendu hommage à son talent au cours d'interviews carrière : Jean-Paul Belmondo et Johnny Hallyday. Le premier était au coeur de son énorme succès de 1960, A bout de souffle, mais aussi Pierrot le Fou (1965), Une femme est une femme (1961) et le court-métrage Charlotte et son Jules (1961 aussi) - des classiques à revoir sur Première Max. Ils auraient dû refaire équipe à la fin des années 1970 pour tourner un film sur Jacques Mesrine, mais ce projet a fini par causer un clash entre les deux artistes. Le projet de Godard, intitulé Frère Jacques, consiste à filmer Belmondo face caméra en train de lire le livre de Mesrine… C’est le clash. "Je crois que Belmondo a encore plus peur de moi que de Mesrine", balance Godard dans Le Matin de Paris. Réponse de l’acteur, terrible : "Décidément, celui que j’ai vu et qui se fait appeler Godard, avec ses mensonges et petits trucages, n’a rien à voir avec l’auteur d’A bout de souffle, de Pierrot le Fou ou de Bande à part. Le Godard des années 1960 est mort à jamais…"

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Malgré cette violente dispute, en 1995, au cours d'une interview fleuve accordée à notre magazine, Bébel n'avait que des mots gentils pour le cinéaste, qu'il saluait notamment pour son goût de la liberté : "Les tournages, avec Carné par exemple, c’était encore très structuré. A l’époque, il y avait beaucoup de contraintes techniques. Moi, comme je venais du théâtre, je parlais trop fort, je dépassais des lumières… Je trouvais le cinéma très emmerdant. C’est avec Godard que j’ai eu la révélation. Là, liberté totale. Sa manière de tourner était assez extravagante. Comme c’était pas en son direct, il soufflait le texte. Le premier jour d’A bout de souffle, il m’a dit, avec son accent suisse et son ton traînant : « Tu entres dans cette cabine téléphonique, et puis tu téléphones. » J’entre dans la cabine, et voilà. Il m’a dit : « Bon, ça va. On retournera demain, j’ai plus d’idées. » Un jour, Jean Seberg s’était maquillée et lui n’aimait pas ça. Il m’a alors dit : « Dis-lui qu’elle est moche avec son maquillage. » Pour moi, habitué à la rigueur du théâtre, c’était fabuleux ! Je rentrais chez moi le soir, je disais à ma femme : « C’est formidable ! C’est un fou ! » J’étais persuadé que ça ne sortirait jamais. On était totalement décontracté : on prenait ça pour un truc d’amateur, un amusement.

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Quand je suis arrivé en Italie, les journalistes m’appelaient : « Il Brutto. » J’étais tout fier : il brutto, la brute… On m’a expliqué que ça voulait dire « le laid » ! Chez nous, il y avait Jean Marais, Georges Marchal, Henri Vidal… que des beaux mecs ! (…) René Clair avait dit : « Oui, il est très bien… Mais il a une sale gueule ! Il ne peut pas faire de cinéma. » (…) La révolution d’A bout de souffle, c’est aussi que le jeune premier n’est pas le « beau » ! (…) A partir d’A bout de souffle, ça a vraiment été comme dans les contes de fée. Le téléphone a sonné du matin au soir. Je pensais que ça n’allait pas durer. Alors, j’ai accepté beaucoup de films. Ça a été un rêve : tout à coup, je me suis retrouvé dans les bras de Sophia Loren, de Gina Lollobrigida et de Claudia Cardinale ! C’était les années 60, la « dolce vita »… "

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Une autre star française populaire racontait la façon particulière de travailler de Jean-Luc Godard dans nos pages, cette fois en 2002 : Johnny Hallyday gardait d'excellents souvenirs de Détective, sorti en 1985. "J’ai vraiment commencé à faire du cinéma à partir de Détective. J’avais accompagné Nathalie [Baye], qui tournait Notre Histoire, de Blier, près de Genève, à son déjeuner le dimanche avec Godard pour parler de son prochain film. Je l’accompagne. Pendant le repas, Godard ne me regarde pas une seconde, ne me dit pas un mot. Trois semaines se passent. Le téléphone sonne [il imite Godard]: “Bonjour, Johnny Hallyday, c’est Jean-Luc Godard. Euh, je suis en train de préparer un film avec Claude Brasseur et Nathalie Baye, je voudrais que vous fassiez, euh... le rôle dans le film... avec eux... pour moi.” Il me donne rendez-vous dans un resto et commande deux soles vapeur sans me demander mon avis. Encore une fois, il ne m’adresse pas la parole. À la fin de la sole, il me dit: “C’est bon, hein?” Moi: “Oui, c’est pas mal.” Lui: “Bon, alors, on commence dans quinze jours.” Je n’avais rien lu, il n’y avait pas de scénario ! Godard nous donnait trois tartines de pages à apprendre dix minutes avant de jouer. Le tournage devait durer six semaines et je devais enchaîner tout de suite après avec un spectacle au Zénith, mis en scène, entre autres, par Claire Denis, qui était assistante. J’étais très inquiet parce que, tous les jours, pendant quatre semaines, on était convoqué à midi pour tourner. Jean-Luc arrivait, et disait: “Vous avez vu ce temps, les enfants? C’est infilmable. Bon, ben, on va laisser tomber alors. À demain.” Finalement, on a mis le film en boîte en deux semaines. Claude Brasseur, qui habitait à une heure de Paris, avait même fini par prendre une chambre à l’hôtel Concorde- Saint-Lazare où on tournait ! Je me suis bien entendu avec Godard. En revanche, il a dit des choses très désagréables à Claude Brasseur devant toute l’équipe. Après le tournage, alors que je devais chanter à Lausanne, près de chez lui, Jean-Luc m’appelle pour me dire qu’il veut me montrer un truc. Là, je découvre un endroit aussi triste que le bonhomme. Il faisait lui-même son montage à domicile. Je m’assois et il me montre Détective avant tout le monde. Je lui dis: “C’est un beau film que tu as fait là. Tu viens me voir ce soir en concert ?” Il me répond: “Oh non, il y a bien trop de lumières.” [Rire.] Il faut vous dire que pendant le tournage, il avait enfermé à clef le matériel de Bruno Nuytten, le chef op, en prétextant que du moment qu’il voyait ses pieds, il n’avait pas besoin de lumière... Après Détective, Pialat n’a plus voulu de moi pour Police. Il était vexé parce que j’avais fait le film de Jean-Luc, qui parlait aussi de la police... Il a coupé les ponts."

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