Laure de Clermont-Tonnerre a vécu tout à la fois une épopée riche en obstacles et un conte de fées avec son premier long métrage, Nevada, qui a conquis Robert Redford et Sundance. Récit de cette aventure au long cours.
France 3 vous propose de passer la soirée dans les grands espaces américains. A 21h10, la chaîne programme 3h10 pour Yuma, avec Russell Crowe et Christian Bale, puis à 23h25, elle proposera, pour la première fois en clair, Nevada, de Laure de Clermont-Tonnerre. A sa sortie au cinéma, en juin 2019, Première s'était penché sur la fabrication de ce film très réussi porté par Matthias Schoenaerts.
1. EN QUITTANT PARIS POUR NEW YORK
C’est en France que Laure de Clermont-Tonnerre a fait ses premiers pas au cinéma. D’abord comme comédienne avec Ma sœur chinoise face à Bashung en 1994, avant de tenir des petits rôles chez Besson ou Schnabel. Puis, le temps d’un film (Girafada), comme productrice, le métier de son père Antoine (La Révolution française). Mais c’est de l’autre côté de l’Atlantique que tout a vraiment démarré pour elle. À New York, où elle s’installe pour quelques mois à 22 ans et qui sera, en 2012, le cadre de son premier court, Atlantic Avenue, explorant la sexualité d’une adolescente atteinte de la maladie des os de verre.
2. EN EXPORTANT UNE IDÉE FRANÇAISE
Son deuxième court métrage sera, lui, d’inspiration française. « J’ai découvert dans un article le portrait d’une femme qui faisait de la thérapie par les animaux en prison, à Strasbourg, explique la cinéaste. Très vite, j’y ai vu un sujet de film. Au départ, imaginer ces prisonniers avec dans les bras des chinchillas ou des petits lapins m’inspire plutôt une comédie. Mais au contact d’une thérapeute, j’ai changé mon fusil d’épaule en découvrant combien cette méthode provoquait des choses puissamment émotionnelles. » Cela donne naissance en 2014 à Rabbit qu’elle décide de tourner à New York « pour retrouver mon équipe d’Atlantic Avenue ». Dans la foulée, elle fait la connaissance de Kathleen O’Meara, responsable du département psychologie/psychiatrie des prisons californiennes, qui devient son guide pour son projet de long métrage. La première à lui parler de thérapie par les chevaux puis à lui ouvrir les portes des prisons où ces programmes sont mis en œuvre et à lui permettre de filmer des prisonniers qui en bénéficient. L’histoire de Nevada – un homme violent qui surmonte son passé grâce au dressage de chevaux sauvages – naît de cette rencontre.
3. AVEC UN PROJET MADE IN SUNDANCE
Nevada nécessitera quatre ans de recherche. Mais après que Rabbit a été sélectionné au festival de Sundance, Laure de Clermont-Tonnerre décide de postuler au Screenwriter’s Lab du Sundance Institute. Son script fait partie des douze retenus parmi des candidatures venues du monde entier. Pendant cinq jours, elle enchaîne des exercices théoriques dispensés par Joan Tewkesbury, la scénariste de Nashville, et des échanges pratiques sur son scénario avec divers intervenants. Et ce travail paie : elle décroche le Sundance Institute/NHK Award, comme Benh Zeitlin pour Les Bêtes du sud sauvage avant elle. Elle décide alors de rester dans le giron de Sundance, postule au Director’s Lab et fait partie des huit sélectionnés. « Pendant un mois, on nous permet de tourner cinq scènes de notre scénario en nous adjoignant des acteurs, des techniciens et des réalisateurs pour nous apporter leur expérience. » Scott Frank, le producteur de Minority Report, Caleb Deschanel, le chef op de L’Étalon noir, John Lee Hancock, le scénariste d’Un monde parfait, James Mangold et Ed Harris se penchent ainsi sur le berceau de Nevada. Sa présence dans cette short list lui permet aussi de trouver des producteurs : les Français de Légende (La Môme) et les Américains de Focus (Le Secret de Brokeback Mountain).
4. GRÂCE À UN ANGE GARDIEN NOMMÉ REDFORD
Nevada a bénéficié en amont d’un autre soutien essentiel : Robert Redford. « À mon arrivée au Screenwriter’s Lab, il m’a prise à part en m’expliquant que mon scénario lui parlait car il était familier de ce programme de réhabilitation par les mustangs. » Il lui propose de devenir le producteur exécutif de son film à l’issue du Director’s Lab. Une étape qui laisse un souvenir inoubliable à la réalisatrice. « Parmi mes scènes, je voulais évidemment en faire une avec des chevaux. Mais les responsables du programme m’ont répondu que c’était impossible car trop risqué. J’ai insisté et Redford a mêlé sa voix à la mienne, expliquant qu’on pouvait tourner dans son ranch. Une fois. Deux fois. Dix fois. Sans succès. Jusqu’à ce qu’on nous accorde enfin une autorisation pour 30 minutes. Là, Redford nous a embarqués, mon chef op et moi dans sa voiture. C’était un moment inouï. » L’aide de Robert Redford se poursuivra tout au long de cette aventure de cinq ans. Comme lorsqu’il appelle Connie Britton (Friday Night Lights) pour qu’elle reprenne le rôle qu’a dû abandonner Susan Sarandon, ou encore durant le montage où sa voix comptera face à Focus.
5. EN AYANT UNE VOLONTÉ DE FER Tourner aux USA quand on est une Frenchie débutante passe par une succession de bras de fer. « Au Director’s Lab, après ce forcing pour ma scène avec les chevaux, on m’a dit : “Tu as fait ce qu’il fallait. Tu t’es battue et tu ne devras jamais cesser de le faire.” » Elle suit ce conseil lorsqu’une succession d’obstacles se met sur sa route pour l’empêcher de tourner dans cette prison du Nevada qui lui a inspiré son scénario. Pour des raisons de financement puis de sortie de prison d’O. J. Simpson qui mobilise tout le personnel pénitentiaire de la région. « J’ai alors découvert qu’un de mes amis connaissait le directeur qui a accepté que je pose ma caméra dans cette prison et a même fait revenir d’anciens gardiens pour jouer leurs propres rôles. Je ne voulais rien lâcher sur cette authenticité. » Cette quête a pris deux ans pour 23 jours de tournage, avant une présentation enthousiaste au festival de Sundance en 2019. Cet excellent accueil lui a déjà valu de réaliser le pilote et deux épisodes de la série The Act avec Patricia Arquette. Installée à Los Angeles, elle sait donc que son deuxième film sera américain. « Mais j’ai envie que ce soit un scénario personnel. » En l’occurrence, l’adaptation d’Independence du dramaturge américain Lee Blessing qu’elle a déjà monté au théâtre.
Note de la rédaction : depuis la publication de cet article, la réalisatrice a effectivement tourné des épisodes de la série The Act, mais aussi de Mrs America, avec Cate Blanchett, ou d'American Crime Story : Impeachment.
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