Nous sommes en 2001, en pleine production de la dernière saison de X-Files. « Le tournage du jour se déroule dans une maison à Hancock Park. Je me promène dans les lieux entre deux prises, et je décide de jeter un oeil à la bibliothèque : et là, je vois les premières éditions de certains comics, comme The Shadow, posées comme ça. Je regarde de plus près les étagères, et elles sont remplies d'éditions originales de romans et de comics. Je me dis, "Mais à qui appartient cette maison ?". Et puis soudain un type apparait, errant dans la pièce, en robe de chambre. Je demande au réalisateur qui est ce type bizarre. "Oh, c'est le propriétaire de la maison. C'est le scénariste Shane Black." Quoi, c'est le mec qui écrit L'Arme Fatale ? Le scénariste le mieux payé d'Hollywood ? Mais qu'est ce qu'il fout à louer sa maison pour des tournages, et à demander si tout se déroule bien, habillé en robe de chambre ? ».Cette anecdote, rapportée par l'acteur W. Earl Brown, synthétise l'ampleur de la déchéance de l'ex-roi du blockbuster. Shane Black, l'homme qui hier vendait ses scripts pour 4 millions de dollars, traîne sans aucun but depuis 1997 dans sa "cave", tel un Hugh Hefner du pauvre, sujet au cauchemar de la page blanche, réduit à louer sa maison pour des tournages.La bibliothèque de Shane BlackBlack MicmacComment en est-il arrivé là ? Suite à la vente record du script de Au Revoir à Jamais et, surtout, au flop du film, Shane Black devient l'Antichrist d'Hollywood. L'humiliation suprême survient en 1998, quand les scénaristes Angelo Pizzo et Dale Launer soumettent la candidature de Black pour rejoindre la section scénaristes de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences (organisatrice des Oscars). Une acceptation aurait permis à Black de retrouver ses nombreux pairs votants, afin d'élire les meilleurs scénarios candidats à l'Oscar chaque année. Mais la réponse de l'Académie à Pizzo et Launer sonne comme une claque : « Vous pourrez soumettre de nouveau sa candidature lorsqu'il aura des références plus sérieuses ». Selon les règles de l'académie, pour être accepté, un candidat doit avoir à son crédit au moins deux films reflétant les standards de qualité des Oscars (ou deux films nominés). Ce qui n'est visiblement pas le cas de Shane Black.L'opinion qu'Hollywood a de ses talents de scénariste semble alors s'aligner sur la critique de son premier draft du Dernier Samaritain parue dans le Los Angeles Time lors de sa vente record de 1.75 millions de dollars : « Les personnages ne sont pas sympathiques, les deux héros sont aussi peu recommandables que les méchants qu'ils combattent dans ces 138 pages obscènes, criardes, puériles et trop réécrites. J'ai compté 40 personnes massacrées par toutes les méthodes concevables qu'un esprit malade et détraqué puisse inventer, et je ne parle pas des passages à tabac, des tortures, et de la pagaille générée par ces personnages sans aucune épaisseur. Ce scénario est une merde indécente truffée de clichés. C'est à cause de gens comme Black, qui rigolent en allant déposer leur chèque à la banque, que le crime est en augmentation de 69%. Tant que Warner et Geffen continueront de supporter des films de ce genre, ils se rendront eux aussi responsables de ces chiffres ».Black HoleSi la critique peut faire sourire quand on est au top, elle n'est pas reçue de la même manière quand on est au plus bas. Déjà mal à l'aise face au succès, Black est encore plus mal face à l'échec, qu'il continue à mettre sur le dos des modifications apportées à ses premiers drafts. « Si vous prenez les films qui ont rapporté le plus d'argent de l'histoire du cinéma, Les Dents de La Mer, Star Wars, ou Le Parrain, et que vous faites comme s'ils n'avaient jamais existé; si vous allez voir un studio et entrez dans le bureau des producteurs avec ces scénarios que personne n'aurait jamais lu; et si vous les posez sur la table... Et que vous leur demandez : "Qu'est ce que vous en pensez ?", ils vous répondront : "Nous voulons bien les acheter. Mais nous allons les réécrire". » déclare Black en 1999. « Le shooting script de n'importe quel blockbuster qui a rapporté 100 millions de dollars dans le passé serait modifié de fond en comble. Les exécutifs vont trouver dedans des choses susceptibles de choquer le public, ou limiter le potentiel commercial. Si un personnage commet une action peu héroïque, ils vont devenir nerveux. Si un personnage est gay, ils vont devenir nerveux. Soyons clair, poursuit-il, tout ce qu'il y a de bon dans un scénario aujourd'hui ne sera jamais tourné, à moins que le scénariste ait du crédit et du respect et un contrôle contractuel. Et puis il y a cette culture du jeunisme. J'en suis réduit à me demander si je dois mentir sur mon âge aux rendez-vous » .Fondu au noirC'est l'heure de la remise en question. En 2002, après des années d'errance, (ses fêtes, désormais réduites à Halloween chaque année, représentent son seul contact avec l'industrie), Black est recueilli par le réalisateur James Brooks (Broadcast News), seule personne désormais à lui témoigner encore du respect. Sans aucune arrière-pensée, Brook lui fourni un bureau et une machine à écrire dans sa propre boite de production, et tente de remettre le scénariste psychologiquement sur pied par la méthode du feu : écrire, écrire, et encore écrire. Dans un premier temps, Black renie son style et décide de se réinventer. Il tente, sans succès, de rédiger une comédie dans l'esprit des productions de James Brooks comme La guerre des Rose. Mais Brooks rejette ces tentatives les unes après les autres. « Je me tapais la tête contre les murs, tentant de rédiger une comédie romantique. Mais je n'étais pas fait pour ça ».Et puis à un déjeuner, Brooks le convainc d'abandonner, et d'embrasser son style, mais dans un contexte de film noir façon Chinatown plutôt que de film d'action. C'est le déclic créatif pour Black qui peut ainsi être fidèle à son style, mais dans un autre genre que celui méprisé par l'Académie. « Ce fut une l'illumination. Au lieu de faire un grand pas, je pouvais en faire un petit. Et écrire un film qui serait moitié James Brooks, et moitié Joel Silver ». C'est de cette discussion que naît le script de Kiss Kiss Bang Bang.Knock KnockNous sommes en 2003. Pour vendre son script, Black va frapper à la porte des producteurs exécutifs. Mais entre les années 90 et 2000, tout a changé. Une nouvelle vague de producteurs a investi Hollywood. Là où ses scénarios précédents arrêtaient l'activité de toute la ville dès leur mise en vente (son agent demandait au studios de répondre avant la fin de la journée, où leur offre ne serait pas considérée), on lui répond maintenant beaucoup plus tard. « Les nouveaux producteurs exécutifs d'aujourd'hui ont tous vus L'Arme Fatale quand ils avaient onze ou douze ans. Pour eux je ne suis personne. Mon CV, ils n'en ont rien à foutre, comme ils se foutraient d'Arthur Penn (réalisateur de Bonnie & Clyde NDLR) s'il passait la porte et leur demandait de réaliser un film. "Qui est Arthur Penn?" Quand on me répondait, et c'était très rare, c'était deux semaines plus tard. "C'était pas mal, mais on aime pas trop" ou bien "ca ressemble trop à un film historique" (le film se déroule de nos jours NDLR). J'avais ce genre de commentaires, par des gens qui n'avaient clairement pas lu le scénario, ou l'avaient parcouru, ou bien l'avaient fait lire par un stagiaire, et me ressortaient leurs notes. C'est là que je me suis dit : "Wow ! Me voilà remis à ma place !" »Perdu, Shane Black retourne frapper à la porte de la seule autre personne à Hollywood qui se souvient de lui, et comprend son travail ; celui qui lui a donné sa chance presque 20 ans auparavant et a lancé sa carrière : Joel Silver.« Joel Silver est la seule constante dans l'univers d'Hollywood toujours changeant. Il a la même tête, parle toujours de la même manière, et fait toujours le même type de films. C'est Joel. Et c'est le seul producteur à Hollywood qui ait compris mon script. Il m'a dit : "on va le faire. Je ne peux pas te promettre beaucoup d'argent pour faire ce film, mais je peux t'en promettre assez." Il m'a trouvé 15 millions de dollars. J'étais juste heureux que quelqu'un me donne du travail, après avoir été au fond du trou. Il m'a donné une seconde chance, et je lui en serait éternellement reconnaissant ».Suite et fin dans l'histoire secrète de Shane Black épisode 3 : Back in Black!David Fakrikian
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L'histoire secrète de Shane Black - De Au revoir à jamais à Kiss Kiss Bang Bang : les années noires
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