Vous attendiez-vous à ce déluge de nominations ?J’espérais que ma petite « Qu-qu » (Quvenzhané Wallis) soit nominée et je pensais que la musique le serait (ce qui n’est pas le cas, NDLR). Mais je dois dire que le fait qu’on ne soit pas aux Golden Globes m’avait un peu refroidie. J’étais un peu tristounette et je me suis dit, « on se calme ». Là, on pleure de joie, vous ne pouvez pas savoir ! Un premier film avec autant de nominations importantes, c’est, à ma connaissance, inédit. Et, en plus, Sugar Man, que nous distribuons en France, est également nommé dans la catégorie Meilleur Documentaire. Celui-là, le jour où je l’ai acheté à Sundance, à trois jours d’intervalle avec Les bêtes du Sud sauvage, j’ai prédit qu’il serait aux Oscars.Quelle est votre part dans cette reconnaissance internationale du film de Benh Zeitlin ?Ma modeste contribution, c’est la Caméra d’Or obtenue à Cannes. Il faut savoir que j’ai acheté le film pour la France avant que la Fox l’achète pour le monde. Or, les Américains ne voyaient pas l’intérêt de le présenter sur la Croisette sachant qu’il avait au préalable gagné Sundance. Ils pensaient que c’était une lubie française. J’ai insisté en leur disant que le film serait vu par le monde entier et qu’il n’y avait aucune raison qu’il ne gagne rien. Avec Thierry Frémaux, qui m’a soutenue pour qu’il soit présenté à Un Certain Regard, on a ensuite décidé de le programmer le premier jour car le prix à Sundance avait créé une grosse attente. Cette décision a été capitale. Le fait de remporter la Caméra d’Or a véritablement ouvert les yeux aux Américains sur son potentiel. Je tiens, au passage, à remercier Carlos Diegues, président du Jury de la Caméra d’Or, qui a insisté pour attribuer son prix malgré l’hostilité des jurés français. Je veux aussi rendre hommage au Festival de Deauville qui a maintenu le film en compétition malgré Sundance et Cannes. On y a gagné trois prix !Comment avez-vous fait pour emporter la mise à Sundance 2012, à la barbe de tout le monde ?Il se trouve que Paul Mezey, un des producteurs exécutifs du film qui n’est pas crédité aux Oscars (seuls les producteurs délégués le sont, NDLR), avait produit Maria pleine de grâce que nous avions sorti en France. Par lui, j’avais eu vent de l’existence des Bêtes du Sud sauvage qui était très attendu à Sundance. Dès la première projection là-bas, je n’ai plus lâché le producteur en lui disant que je le voulais. C’était tellement ARP comme film... Si on ne l’achetait pas, on n’avait plus qu’à fermer boutique !Quelle stratégie adopte-t-on pour sortir un film aussi hors normes ?Il fallait partir avec l’idée que malgré tous les prix gagnés, personne ne savait que ça existait, à part nous. En rentrant de Cannes, les gens l’appelaient Le Sud des bêtes sauvages ! Notre boulot a donc consisté à faire venir le réalisateur Benh Zeitlin à Deauville, à choisir RTL et non France Inter comme partenaire pour viser une cible populaire, à convaincre Laurent Delahousse de recevoir Quvenzhané au 20h... La date de sortie était également hyper stratégique. On pensait que le film irait aux Oscars mais c’était juste une hypothèse. On ne pouvait pas se permettre d’attendre les nominations pour le sortir, d’autant que le Tarantino et le Anderson, de sérieux concurrents, étaient programmés en janvier. Il ne fallait pas le sortir trop en amont non plus, au cas où les nominations pour les Oscars soient favorables. On a aussi beaucoup compté sur les réseaux sociaux et sur la presse. Vous avez tous été géniaux quand même, à part quelques ronchons ! Je ferai un jour bouffer son papier au journaliste du Monde qui a dit que « le film était déplaisant ». Pour moi, ce n’est pas recevable, c’est du racisme.Le film est aujourd’hui à 205 000 entrées France. Je sais que vous ambitionniez les 300 000. Est-ce encore possible ?Ca va être dur mais avec l’effet Oscars, pourquoi pas ? 250 000, c’est sûr. Je vous signale en passant que pour la cinquième semaine d’exploitation, on est au pic de distribution, avec plus de 200 copies en place.Quel Oscar vous ferait le plus plaisir ?Celui de la Meilleure Actrice pour Qu ! Elle incarne tellement le film, c’est une jeune personne tellement géniale... Je ne suis personnellement pas persuadée que ce soit un cadeau pour Benh d’obtenir d’emblée l’Oscar du Meilleur Film ou du Meilleur Réalisateur. Steven (Soderbergh) a mis dix ans à se remettre de sa Palme d’Or pour Sexe, mensonges et vidéo.Christophe Narbonne Pour tout savoir des Bêtes du Sud sauvageBenh Zeitlin : "Les créateurs sans passion produisent des objets sans âme"Les Bêtes du Sud sauvage : "Tout est vrai dans ce film, même les larmes"Toutes les nominations aux Oscars 2013