Les Revenants : pourquoi il faut continuer à regarder la saison 2
Pour l'ambition esthétique de Fabrice Gobert
<p>Les trois ans d’attente ont certes traduit une difficulté à accoucher d’un scénario satisfaisant mais dénotent aussi le perfectionnisme de Fabrice Gobert, soucieux de livrer à Canal+ huit épisodes de qualité sans renier la beauté plastique de la série. La saison 2 des <em>Revenants</em> continue en effet à offrir une photographie et des compositions de plans ébouriffantes.Influencé par les photographies de Gregory Crewdson dans la saison 1, le travail visuel se revendique ici davantage des travaux du vidéaste Bill Viola ou des illustrations de Gustave Doré. Mais c’est également le désir de se mesurer à des références du septième art qui force l’admiration. Evidemment influencé par <em>Twin Peaks</em> de David Lynch, Gobert s’était aussi amusé à mentionner dans la saison 1, à travers la présence d’affiches de films, <em>Blow-Up</em> de Michelangelo Antonioni, <em>Rusty James</em> de Francis Ford oppola ou <em>L’Aventure de Madame Muir</em>, magnifique film de fantômes signé Joseph L. Mankiewicz.La première séquence de la saison 2, qui montre Adèle aux prises avec sa peur de l’accouchement à travers un effrayant plan sur son ventre qui s’anime, peut quant à elle évoquer le souvenir d<em>'Alien</em> de Ridley Scott ou de <em>Rosemary’s Baby</em> de Roman Polanski. Venu du cinéma (son long-métrage <em>Simon Werner a disparu</em> réinvestissait déjà à sa manière le <em>Elephant</em> de Gus Van Sant), Fabrice Gobert ne cache pas son ambition de conférer à la mise en scène des <em>Revenants</em> une forme de perfection esthétique.La musique de Mogwai, désormais indissociable de la série, a de son côté la bonne idée de revenir avec des partitions originales dans la saison 2 et de poursuivre sa fascinante et romantique alliance entre image et son. L’apport considérable du groupe (que Gobert avait contacté pour la saison 1 en mentionnant une partition digne du <em>Dead Man</em> de Jim Jarmusch ou du <em>Shining</em> de Stanley Kubrick) à l’atmosphère planante des <em>Revenants</em> est une autre preuve de l’intuition artistique du réalisateur.</p>
Pour la description d’une profonde crise sociale et migratoire
<p>Comme souvent avec les œuvres fantastiques de qualité, le surnaturel des <em>Revenants</em> cache des thématiques qui renvoient à des préoccupations bien réelles. La saison 1 montrait ainsi comment des individus assistaient au retour à la vie de leurs morts et devaient apprendre à cohabiter avec eux. Le thème de la possible solidarité était alors mis en avant, comme en témoigne le nom d’un des lieux emblématiques de la série, La Main Tendue. Mais l'inévitable séparation pointait son nez à la fin de la saison 1 (<em>"Nous n’avons pas besoin de votre aide"</em>, disait Lucy, la porte-parole des morts) et la saison 2 accentue encore le phénomène de ségrégation puisqu’une vaste étendue d’eau sépare désormais la ville et la domaine pavillonnaire où les revenants Camille (accompagnée de sa mère Claire) et Victor (qui retrouve enfin sa maman) ont trouvé refuge. La métaphore peut alors jouer sur plusieurs niveaux, allant des crises familiales et affectives jusqu’à une représentation plus vaste de la question migratoire et du statut des personnes réfugiées. Certains habitants ont ainsi été relogés après l’inondation, une grande partie d’entre eux quittent la ville et d'autres viennent s’installer à la Main Tendue, sous le regard de militaires qui assistent passivement à ces déplacements de populations. Partir ou ne pas partir s’affirme comme une des questions centrales que se posent les protagonistes. D’une façon générale, la série est traversée par les sensations de perte du confort, de fin de l’insouciance et d’impossible stabilité émotionnelle. Les personnages, meurtris dans leurs cœurs, n’en sont que plus touchants au début de la saison 2, à l’image de Jérôme, totalement dévasté et devenu hirsute après le départ de sa femme et de sa fille.</p>
Pour son savoureux casting
<p>Diffusée à l’automne 2012, la saison 1 des <strong><em>Revenants</em></strong> avait su réunir la crème des jeunes acteurs français du moment. <link object_id="74684">Clotilde Hesme</link> (qui joue Adèle) et <link object_id="85778">Grégory Gadebois</link> (qui incarne Toni) venaient ainsi de remporter quelques mois plus tôt les César du meilleur espoir féminin et du meilleur espoir masculin pour <link object_id="2260628">Angèle et Tony</link>. <link object_id="97290">Céline Sallette</link> (nommée la même année en meilleur espoir féminin pour <em>L’Apollonide : Souvenirs de la maison close</em>) prêtait quant à elle son regard inquiet au personnage de Julie - la jeune femme qui se prend d’affection pour le petit revenant Victor -, tandis que <link object_id="65800">Guillaume Gouix</link>, nommé lui aussi comme meilleur espoir masculin pour <em>Jimmy Rivière</em>, apportait sa fragilité au tueur Serge. Complétant ce casting, des visages comme ceux d’<link object_id="93640">Ana Girardot</link>, <link object_id="107260">Frédéric Pierrot</link> ou <link object_id="1578691">Jean-François Sivadier</link> participaient à la tonalité lunaire et tourmentée de cette série fantastico-intimiste où les personnages ne cessent de remettre en cause leur propre rapport à la vie et à autrui. Et le chapitre 2 vient ajouter à cette foisonnante galerie une poignée de comédiens soigneusement choisis qui transportent avec eux un bagage cinématographique bien identifié. Dans le rôle de Berg, <link object_id="95693">Laurent Lucas</link> (nommé au César du meilleur espoir masculin en… 2000) offre son expérience de l’étrange et fait revivre le fiévreux souvenir d’<em>Harry, un ami qui vous veut du bien</em>. <link object_id="92941">Aurélien Recoing</link> (mémorable héros en 2001 de <em>L’Emploi du temps</em>, de Laurent Cantet), <link object_id="1294980">Laurent Capelluto</link> (vu chez Michel Hazanavicius et Arnaud Desplechin) et <link object_id="1259970">Nicolas Wanczycki</link> (dont les talents pour la comédie décalée ont été aperçus dans <em>Les Garçons et Guillaume, à table !</em> ou <em>Les Combattants</em>) maîtrisent quant à eux parfaitement le mélange de conviction rationnelle et de douce angoisse qui caractérise ce début de saison 2. Quant à <link object_id="77603">Michaël Abiteboul</link> (déjà présent cette année dans l'excellente série d'espionnage <em>Le Bureau des légendes</em>), il fait admirer dans le rôle de Milan une brutalité sourde qui manquait à la saison 1.</p>
Les Revenants S2 : pourquoi regarder ?
Pour les efforts de clarification et de renouvellement fournis par la saison 2
<p>Envoûtante par son ambiance virtuose, saluée pour son principe narratif hérité du film original de Robin Campillo et recommandée par Stephen King en personne, <em>Les Revenants</em> a pourtant dû essuyer des critiques au sujet la fin de sa saison 1, jugée par beaucoup comme peu généreuse en explications.Craignant de souffrir du fameux syndrome <em>Lost</em> (multiplication d’intrigues non résolues), Fabrice Gobert et ses scénaristes ont beaucoup réfléchi à la structure de la saison 2. Une ellipse de 6 mois permet ainsi de prendre du recul sur les évènements de la saison 1 et la présence de l’Etat (à travers l’arrivée des militaires sur la zone d’inondation) installe une logistique aux apparences plus rationnelles. Cette tentative de reprise en main du réel s’incarne dans des commentaires directs de l’action (<em>"Les gens qui sont restés ici sont un peu… bizarres"</em>, dit d’emblée le lieutenant de l’armée) qui ont pour effet de renforcer l'intensité des séquences fantastiques qui surviennent ensuite.Le personnage de l’ingénieur Berg, venu afin d’étudier les raisons de la rupture du barrage mais surtout animé par des objectifs personnels, procure quant à lui un point de vue de référence au téléspectateur qui peut se réadapter à l'univers série à travers les yeux de ce nouvel arrivant. Le recours plus régulier aux flash-backs est également au programme de cette saison 2, tout comme la volonté de dévoiler progressivement aux personnages - et donc au public - le mode d’emploi des possibilités offertes (ou non) par la condition de revenant : <em>"Qu’est-ce que t’en sais, si t’es immortelle ? Tu connais les règles, c’est ça ?"</em>, se voit ainsi rétorquer Camille dans l’épisode 2, alors qu’elle menace de se trancher la gorge.On note d’ailleurs que l’ultime épisode de la saison 2 (le 8, qui sera diffusé le 19 octobre) a pour titre <em>Les Revenants</em>, et promet de nous en apprendre davantage sur les héros de la série que ne le faisait le dernier épisode de la saison 1, intitulé <em>La Horde</em>.</p>
Pour l’avenir de la fiction française
<p>Au-delà de la curiosité qui pourrait amener certains à regarder la série uniquement pour vérifier si ses intrigues vont tenir debout, regarder cette saison 2 jusqu’au bout permettra de mieux évaluer ce dont est capable l’industrie de la série française. Si <em>Les Revenants</em> a sans doute porté trop de pression sur ses épaules en se voyant propulsé fer de lance de la fiction hexagonale, il est certain que l’appréciation publique et critique de la saison 2 aura un impact sur les futurs désirs des chaînes.Si les audiences d'une série aussi réussie sur le plan esthétique venaient à s'écrouler, beaucoup en déduiront peut-être que le public des séries françaises ne se soucie guère d’élégance plastique mais recherche autre chose. Si la narration parvenait à l'inverse à convaincre les réticents de la précédente saison, la France pourrait apparaître comme un pays qui sait encore raconter des histoires et surprendre par son art du récit.Conçue avec des méthodes qui se distinguent des <em>writing rooms</em> américaines et de leurs armées de scénaristes (seuls Fabrice Gobert, Audrey Fouché, Coline Abert et Fabien Adda ont écrit la saison 2), <em>Les Revenants</em> occupe, qu’elle le veuille ou non, une position de série frondeuse qui s’est affranchie des délais habituels de production que les amateurs des séries pouvaient exiger d’elle.A quel prix lui faudra-t-il payer cette liberté qu’elle s’est octroyée ? Pourquoi ne pas espérer que, malgré sa lenteur revendiquée, <em>Les Revenants</em> poursuive sa route pendant de longues années et continue à nous envoyer, à son rythme et à sa guise, des reflets sublimés et déchirants de notre propre rapport à la mort ?</p>
Décriée en raison de la trop longue attente (trois ans) qu’elle a engendrée et de la chute de plus de 50% de l’audience qu’elle a essuyée lundi dernier, la saison 2 des Revenants confirme pourtant la grande qualité du travail concocté par Fabrice Gobert et ses équipes afin de fournir une série fantastique toujours plus envoûtante et romanesque. Voici donc pourquoi regarder la suite des Revenants (les épisodes 3 et 4 de la saison 2 sont diffusés ce soir sur Canal+) nous paraît incontournable.Damien Leblanc
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