De Bergman à Game of Thrones, douze rôles qui ont établi la légende de l’acteur suédois naturalisé français.
LE SEPTIEME SCEAU (1957)
Avant de jouer aux échecs avec la mort, von Sydow a été palefrenier et s’est ainsi retrouvé mêlé à la Palme d’Or obtenue pour Mademoiselle Julie d’Alf Sjoberg en 1951. Il lui faudra toutefois attendre Ingmar Bergman pour remonter au classement, passant de la neuvième (le palefrenier donc) à la première place, celle d’Antonius Block, preux chevalier de retour des croisades qui s’amuse à jouer aux échecs sur une plage avec la grande faucheuse en personne. A défaut de la mort, c’est bien la vie qui, à 28 ans, commence pour von Sydow. Ingmar Bergman en faisant du grand blond sa muse le propulse au firmament du septième… art ! On a le droit de trouver le « Sceau » sot et ampoulé, il n’empêche qu’à l’instar du Chevalier cherchant en vain des réponses sur le pourquoi du comment, on continue de se demander comment un tel film a été rendu possible. Bergman dynamite la théâtralité supposée de sa mise en scène, n’hésite pas à danser avec la métaphysique et créait des images iconiques, de celles qui se détachent de sa source même pour s’imprimer dans le conscient collectif. Max von Sydow, de profil bougeant ses pions face à l’homme en noir, s’est ainsi, d’entrée de jeu, gravé dans le marbre cinéphile.
LA SOURCE (1960)
C'est avec La source qu'Ingmar Bergman décroche son premier Oscar du meilleur film étranger et lance (sans le savoir) le genre du "rape and revenge movie". Quand le cinéaste suédois envisage d'adapter une ballade du XIV è siècle sur le destin tragique d'une jeune vierge, il est au faite de sa gloire. La source oppose les dogmes chrétiens à des rites païens et met en scène de manière très brutale le viol de Karin, fille unique d'un fermier, qui va venger sa fille en massacrant les trois criminels. Pour le rôle masculin aussi complexe que paradoxal, Bergman fait appel à son acteur fétiche, Max Von Sydow. Son austérité effraie, la violence de ses actes sidère, sa gueule de serpent terrorise. Mais la douceur de son regard est inoubliable.
L’EXORCISTE (1973)
Max von Sydow n’avait pas attendu le coup de fil de William Friedkin pour venir tourner aux Etats-Unis (dès 1965, il jouait Jésus dans la fresque biblique La Plus Grande Histoire jamais contée, de George Stevens), mais c’est le rôle du père Merrin dans L’Exorciste qui va faire de lui une star américaine, une vraie. Sa silhouette marquant un temps d’arrêt devant la maison de Georgetown où a élu domicile le Malin deviendra l’image emblématique du film. Et von Sydow reprendra le rôle quatre ans plus tard pour John Boorman dans L’Hérétique. Grimé, vieilli, il entame ici une nouvelle partie d’échecs contre la mort, quinze ans après celle du Septième Sceau. Mais l'acteur ne tremble pas : « Je n’ai jamais eu peur du diable. Parce que dans les contes scandinaves, le diable perd toujours à la fin. »
LES TROIS JOURS DU CONDOR (1975)
Deux ans après L’Exorciste, le thriller parano de Sydney Pollack propulse Max von Sydow en nouveau grand méchant préféré du cinéma américain. Il n’affronte pas la mort cette fois-ci, mais la personnifie, en tueur à gages chargé d’éliminer Robert Redford et ses collègues, grande faucheuse moderne lookée comme un petit fonctionnaire du crime (imper, chapeau, lunettes, moustache). Deux sommets : son monologue face à Redford où il détaille froidement les méthodes d’assassinat de la CIA (« It would happen this way… ») et, toujours face à Redford, un suspense hitchcockien insoutenable dans un ascenseur – sans conteste l’une des plus grandes scènes d’ascenseur de l’histoire du cinéma.
FLASH GORDON (MIKE HODGES, 1980)
Méconnaissable sous le maquillage du maléfique empereur Ming, mélange bien casse-gueule de Fu Manchu et de Palpatine, Von Sydow offre une performance pourtant très chouette dans ce doudou 80's, cette production De Laurentiis de space opera délirant conçue pour concurrencer Star Wars, aussitôt devenu culte. Nos confrères de Nanarland nous précisent que le costume de Ming pesait pas moins de 35 kilos, soit le poids d'une daine (la femelle du daim -NDLR). Le dur métier d'acteur.
CONAN LE BARBARE (JOHN MILIUS, 1981)
Juste une apparition, mais quelle apparition. Un vieillard sur un trône, "le roi Osric, l'usurpateur", qui donne à Conan et ses compagnons la tâche la plus cliché qui soit : sauver sa princesse de fille des griffes d'une secte odieuse. "Autrefois un puissant homme du Nord, comme Conan, mon seigneur... Aujourd'hui un vieillard abattu", explique la voix off. Terrassant de fragilité et de puissance mêlées (il passe toute la scène assis), Von Sydow incarne donc le futur possible de Conan, cet éternel roi en puissance qui lui aussi sera, un jour, un usurpateur, un roi, un père. "Il arrive un temps, parfois, où les joyaux cessent de briller, où l'or perd tout son éclat, où la salle du trône devient une prison. Et il ne reste plus que l'amour d'un père pour son enfant." Cut. Un jour, peut-être qu'Arnold aura un rôle similaire, aussi bouleversant que celui de Max.
JAMAIS PLUS JAMAIS (1983)
Forcément, les nécros des sites américains ou anglais grand publics saluent la disparition « de l’acteur qui a joué dans Star Wars et James Bond. » C’est exagéré mais pas tant que ça : Von Sydow et James Bond c’est une vieille histoire. On lui avait offert un rôle dans Dr No qu’il refusa : « J’ai refusé. Est-ce que je le regrette ? Non. Bien sur que non, je ne savais pas ce que deviendrait James Bond. » Pourtant, il savait ce qu’était devenu 007 en 68, quand Cubby Broccoli et Harry Saltzman essayèrent une fois de plus de le débaucher pour Au service secret de sa majesté. Les routes du chevalier de la mort et de 007 se croiseront encore plusieurs fois avant que Sean Connery ne finisse par l’imposer au producteur Kevin McClory pour Jamais plus jamais. Non seulement, Max von Sydow se paie le luxe de jouer dans un James Bond renégat mais en plus il prend tout le monde à contre-pied avec son interprétation racée, subtilement diabolique, jamais outrancière. Alors que les méchants des Bond officiels deviennent de plus en plus caricaturaux (Michael Lonsdale et ses pyjamas oranges, Christopher Walken et son look de dandy sortis d’un clip de Bowie), von Sydow, avec sa barbiche, son look impeccable et son air matois, revient aux racines du méchant bondien avec une classe affolante.
HANNAH ET SES SŒURS
1986. Max von Sydow est devenu un second rôle incontournable à Hollywood avec une prédilection pour les personnages de grand méchant ou de figure royale -sa stature sans doute. Un peu binaire et univoque tout ça. Woody Allen, fan transi de Bergman, se rappelle alors que le grand Max est aussi capable de jouer des humains faillibles, avec des émotions contraires. C’est le cas de Frederick, l’artiste aigri qu’il incarne dans Hannah et ses sœurs, bientôt quittée par Lee (Barbara Hershey). Derrière le masque de la misanthropie, l’acteur suédois arrive à insuffler de l’humanité à ce personnage faussement détestable, incapable de garder la femme qu’il aime.
MINORITY REPORT
Dans Minority report, Max von Sydow compose un personnage de mentor qui aurait pu aller comme un gant à Sean Connery. Sauf que le personnage en question, Lamar Burgess, est retors. Pire, c’est un criminel -pardon pour le spoil. Bref, il n’y avait que Max von Sydow d’envisageable pour incarner ce puppet master démoniaque dans lequel Tom Cruise a totalement confiance. Visiblement ravi de sa collaboration avec Spielberg, l’acteur confiera à nos confrères de Studio de la chose suivante : « J’ai retrouvé les mêmes sensations que celles que j’avais eues avec Sydney Pollack, sur Les trois jours du Condor, la même précision et un amour immodéré du cinéma. »
PELLE LE CONQUERANT (1988)
Pour lui, c'est le rôle de sa vie. Souvent Max Von Sydow a déclaré que Pelle le Conquérant, fresque épique signée Bille August, lauréate de la Palme d’Or au Festival de Cannes 1988, était le sommet de sa carrière. Et le jury présidé par Ettore Scola ne s’y est pas trompé en reconnaissance au moment de l’attribution « l’apport exceptionnel » de l’acteur. Il faut dire qu’il porte, avec un jeune garçon, tout le poids de cette aventure mélodramatique et initiatique. Max Von Sydow interprète Lasse, un migrant suédois qui débarque, à la fin du XIXè siècle, dans l'île danoise de Bornholm avec son fils, Pelle, dans l'espoir d'une vie meilleure. Ils trouvent du travail dans une ferme où la vie est dure. Ode magnifique aux rêves des migrants, Pelle le conquérant est aussi l’adaptation au cordeau d’un roman culte de la littérature suédoise. Ingmar Bergman a, dit-on, tellement apprécié le film qu’il l’a vu sept fois et a décidé de confier à Bille August la réalisation d’un scénario inspiré de son enfance, Les meilleures intentions. Max Von Sydow a été nommé à l’Oscar de meilleur acteur.
STAR WARS : LE REVEIL DE LA FORCE (2015)
Pas besoin de lui donner un nom : pour le jeune public, il s'agit d'un vieil homme "à la Obi-Wan Kenobi" ; pour les autres, c'est évidemment Max Von Sydow qui confie à Poe Dameron la carte permettant de localiser Luke Skywalker dans la scène d'ouverture du Réveil de la Force. Les vieux qui passent la flamme aux jeunes : tout un symbole. Mais le personnage n'aura un nom et un background ("Lor San Tekka, disciple de l'Eglise de la Force") que dans l'Encyclopédie illustrée de l'Episode 7 et les comics dédiés à Poe Dameron. Ce n'était pas le premier contact entre l'acteur et Lucasfilm : Max avait déjà joué dans la série Les Aventures du jeune Indiana Jones en 1993: il incarnait Sigmund Freud dans l'épisode situé à Vienne en novembre 1908. Un épisode réalisé par le fidèle complice de Von Sydow, Bille August (Pelle le conquérant, Les Meilleures intentions)...
GAME OF THRONES, SAISON 6 (2016)
La série de fantasy phénomène de HBO s'est faite une spécialité de recruter toutes les vieilles gloires possibles et imaginables : Charles Dance, Diana Rigg, Jonathan Pryce, Ian McShane, ou encore Max Von Sydow -qui, comme tout le monde, ne connaissait rien à Westeros avant d'être recruté par la série. Max incarne la "Corneille à trois yeux", le sensei mystique de Bran Stark qui montre (comme un vieil homme montre la magie du ciné) des scènes-clefs de l'histoire de la série sous la forme de flashbacks mystiques : résultat, on se souvient plus de la fameuse baston Ned/Arthur (les fans savent) montrée en flashback que du rôle de Von Sydow.
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