En redonnant son éclat à la saga et en faisant oublier la très contestable précédente édition Blu-ray, la restauration UHD du Parrain a permis à Francis Ford Coppola de mettre un point final à un demi-siècle de relation d’amour-haine avec son chef-d’œuvre.
Pour vous accompagner dans la chaleur du mois d’août, nous publions une série d’articles parus à l’origine dans les pages « classics » de Première, consacrées aux ressorties DVD et Blu-Ray de grands films de patrimoine.
Et soudain, la chemise blanche de Vito Corleone fut... blanche. Plus jaunâtre, non, mais d’un blanc éclatant, tranchant merveilleusement avec les ténèbres alentour. Comme au premier jour, comme il sied à un Don le jour du mariage de sa fille. Depuis combien de temps ne l’avait-on pas vue ainsi ? Ça paraît fou, mais Le Parrain, ce classique absolu, adoré par trois générations de cinéphiles, n’était en réalité pas visible dans des conditions optimales. Depuis l’édition Blu-ray de 2008, ourdie par Francis Ford Coppola et le directeur de la photo Gordon Willis, le film était recouvert d’un vilain filtre sépia, qui lui donnait l’allure d’un vieil album de photos de famille.
Regardez Le Parrain en VOD sur Première MaxL’entrée de la saga Corleone dans l’ère numérique avait, à l’époque, fait s’étrangler les puristes, et été pour eux un traumatisme comparable à celui des « éditions spéciales » chez les fans de Star Wars. Bon, ok, Coppola n’avait rajouté aucun mafioso de synthèse à l’arrière-plan de sa fresque, ni trafiqué l’intrigue rétrospectivement (contrairement à Han Solo, c’est bien toujours Michael Corleone qui tire le premier), mais l’affaire tenait néanmoins quelque peu du révisionnisme esthétique. Et ce n’était pas un cas isolé. Le passage à la HD, globalement, avait été difficile à négocier pour plusieurs classiques des seventies – à peu près au même moment, William Friedkin dénaturait son French Connection. Comme si les géants des années 70, mis sur la touche par les studios et le temps qui passe, avaient décidé d’utiliser le peu de pouvoir qui leur restait pour réécrire leur histoire. On mettait ça sur le compte de l’hubris, ou du grand âge. N’empêche : la chemise de Don Corleone avait une drôle de couleur.
MAUDIT FILM. De manière emblématique, le coffret Blu-ray de 2008 avait pour sous-titre The Coppola Restoration. C’était écrit en gros dessus, un effet de signature évident. Celui qui nous occupe aujourd’hui s’intitule tout simplement : Le Parrain – 50 ans. L’incipit que Francis Ford Coppola a griffonné est un poil lapidaire, comme s’il était pressé de passer à autre chose. Gordon Willis est mort (en 2014) et le cinéaste s’est semble-t-il mis en retrait de cette nouvelle remasterisation, laissant la main aux équipes de la Paramount, qui ont sué sang et eau pendant 5000 heures pour corriger les couleurs, nettoyer les négatifs et redonner au film son éclat originel. Le réalisateur n’en a pas moins assuré la promo de bonne grâce. Mais il semblait se livrer à l’exercice comme s’il cherchait à se libérer d’un poids, celui de ce maudit film qui lui aura à la fois offert sa carrière tout en pesant sur son existence entière. « Le Parrain m’a détruit » racontait-il ainsi récemment au GQ américain, expliquant qu’il avait vendu son âme au diable en échange du plus grand succès de tous les temps. Il riait, en disant ça, mais un peu jaune.
ÉPILOGUE. Sur la scène des Oscars, en mars dernier, aux côtés de Pacino et De Niro, il utilisait son temps de parole pour saluer la mémoire des deux hommes sans qui le film n’aurait jamais existé : le producteur Robert Evans (une façon d’enterrer la hache de guerre à titre posthume, Evans étant mort en 2019) et l’auteur Mario Puzo, dont Coppola a toujours dit qu’il était la véritable âme du Parrain. C’est le titre du film, d’ailleurs : Mario Puzo’s The Godfather – comme il y aura plus tard Bram Stoker’s Dracula et John Grisham’s The Rainmaker (L’Idéaliste).
Au fond, la véritable dernière bataille concernant la saga Corleone a été menée en 2020, au moment de la sortie du nouveau montage du Parrain 3, qui portait enfin le titre que Coppola voulait lui donner en 1990 et qui avait été refusé par la Paramount (Le Parrain épilogue : La Mort de Michael Corleone). Là, quelque chose de vraiment fondamental se jouait pour le cinéaste. Un contentieux vieux de trente ans se réglait. Et, dans le gros coffret des 50 ans, c’est désormais La Mort de Michael Corleone qui est présenté comme le dernier épisode « officiel » de la trilogie – Le Parrain 3 originel est relégué sur un disque bonus, comme une curiosité. Ça y est, Coppola a eu le dernier mot. L’affaire est close. Il peut retourner bidouiller ses autres films (il parle aujourd’hui d’une version redux de Twixt !) et poursuivre cette vieille chimère nommée Megalopolis. Dans la nouvelle introduction au Parrain qu’il a enregistrée dans sa propriété de Napa Valley, il parle surtout de l’émotion qu’il a ressentie en revoyant l’image de sa fille Sofia bébé, dans l’une des dernières scènes du film, cinquante ans après. « Bon anniversaire, Sofia ! » À nos yeux, le film a rarement semblé si neuf, si vivant. Mais pour Coppola, ça y est, ouf, enfin : c’est de l’histoire ancienne.
Hugo Saroyan
La Mort de Michael Corleone : le nouveau montage du Parrain 3 change le sens du film [critique]
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