Dans son premier long, la révélation de Portrait de la jeune fille en feu met en scène 3 jeunes Kosovares en quête de liberté face à un patriarcat étouffant. Rencontre.
Vous signez votre tout premier long métrage à 20 ans. Mais est- ce que l’envie de réaliser était présente chez vous depuis longtemps ?
Luàna Bajrami : Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu envie de raconter des histoires. D’abord en jouant. C’est pour cela que je me suis essayée au théâtre très jeune. Puis, à 10 ans, j’ai décroché un casting que j’avais repéré avec ma mère sur Internet et je me suis retrouvée à jouer dans mon premier téléfilm, Le Choix d’Adèle d’Olivier Guignard. Et ce fut un choc pour moi. J’ai eu la sensation d’y vivre la réunion de tous les arts. J’y ai en tout cas trouvé ma place et j’ai su à ce moment- là que c’était ce que j’avais envie de faire de ma vie. Devant comme derrière la caméra. J’ai donc commencé à écrire des scénarios et ce désir- là n’a fait que grandir au fil des films que j’ai pu interpréter et des réalisateurs que j’ai eu la chance de rencontrer, de côtoyer et d’observer au plus près, de Sébastien Marnier à Céline Sciamma en passant par Denis Podalydès, Samir Guesmi… Des cinéastes très différents les uns des autres. Tous m’ont incroyablement nourri et encouragé à passer moi- même derrière la caméra
La colline où rugissent les lionnes fait partie de ces scénarios que vous aviez écrit plus jeune ?
Non. L’idée de ce film est née au moment où, alors que je devais rentrer à la fac, je me suis retrouvée à jouer dans Portrait de la jeune fille en feu. A la fin du tournage intense de ce film, je suis allée me reposer au Kosovo où je suis née et que j’ai quittée à l’âge de 7 ans avec mes parents. Et quand je suis revenue à Paris, je me suis enfermée dans ma chambre et j’ai commencé à écrire cette histoire. Tout est alors allé très vite comme si ça me dépassait. En une semaine, j’avais déjà une première version alors qu’avant de me lancer, je ne me savais pas capable d’écrire un long métrage.
Vous saviez dès le départ que ce film se déroulerait au Kosovo ?
Oui, sans doute par envie de renouer avec ce pays même si j’y suis depuis retournée régulièrement pour des courts séjours. Mais je voulais aussi un récit qui transcende les frontières de ce pays. C’est pour cela que très vite est arrivée cette idée d’une bande de filles explosives, complices et à fort caractère, dans lesquelles, quelle que soit sa nationalité, on peut se projeter. Avec cette idée que plus on est personnel, plus on peut aspirer à être universel. J’avais gardé mon regard d’enfant sur ce village
A la base de cette Colline où rugissent les lionnes, il y a aussi chez vous le désir de cet éloge de la sororité qui s’y déploie ?
On m’a beaucoup demandé d’expliquer les choses. Mais moi je préfère faire confiance aux spectateurs pour que chacun comprenne ce qu’il a envie de comprendre et que ça puisse faire écho à chaque histoire personnelle. Mon film n’appartient pas à la catégorie de ceux qui ont besoin d’imposer une vision. Et de mon point de vue, ce film parle tout autant de jeunesse que de la cause féminine. Il y a plusieurs niveaux de lectures, je trouve
LA COLINNE OU RUGISSENT LES LIONNES: LES DEBUTS REUSSIS DE LUANA BAJRAMI CINEASTE [CRITIQUE]Le financement a été facile à réunir ?
Une productrice franco- kosovare a cru en moi tout de suite et a monté une société au Kosovo pour financer ce film. Et ce simplement sur l’idée. Avant que d’autres partenaires nous rejoignent
Où trouvez vous vos comédiennes ? Sur place ?
Oui, même si au Kosovo, il n’y a pas d’agence artistique, pas de cadre. J’ai donc mené le casting moi- même. Pendant un mois. Notamment en allant dans les facultés d’acteurs. Et j’ai su que j’avais trouvé mes comédiennes au moment même où chacune a franchi la porte puis en les réunissant. A partir de là, on a bossé un mois ensemble à travailler autour du scénario et en créant une amitié entre elles qui ne se connaissaient pas avant le tournage. Car ça, on ne peut pas le jouer.
Vous aviez très tôt prévu de jouer dans le film ?
Oui mais le personnage de cette jeune Kosovare partie vivre à Paris et qui revient y passer ses vacances n’a cessé de prendre de l’importance. Car j’ai peu à peu compris l’enjeu qu’il incarnait : la confrontation entre deux jeunesses. Elle rêve des vies de ce trio de jeunes Kosovares qu’elle trouve magnifiques de liberté. Et ces trois Kosovares rêvent de sa vie à elle, de sa liberté de partir du pays. Cette relation entre elles ne peut donc pas totalement aboutir. Et l’incarner était un moyen de questionner ma propre légitimité.
Qu’est ce qui vous a conduit à choisir Hugo Paturel comme directeur de la photo et comment avez-vous travaillé ensemble ?
C’est aussi le premier long métrage d’Hugo et j’étais au départ méfiante car je n’avais pas forcément envie qu’on soit tous débutants. Mais en parlant avec lui, j’ai tout de suite vu qu’on était sur la même ligne. Entre nous deux, ce fut une pure rencontre artistique. Il a su porter un regard à la fois objectif et bienveillant sur le Kosovo et sur les comédiens que j’avais réunis. Mais aussi comprendre que mes références étaient bien plus littéraires que cinématographiques. Et, à partir de là, il a cherché à adhérer à ma grammaire, à la traduire en images
Quelles étaient ces références ?
Dostoïevski, Steinbeck et en particulièrement A l’est d’Eden. Et Hugo m’a parlé, lui, de Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu qui parle aussi de jeunesse même l’intrigue se déroule dans Vosges et pas au Kosovo. Ce livre fut notre référence essentielle.
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