La Pampa, le surplace d’une adolescence à deux roues
Tandem

Antoine Chevrollier, scénariste d’Oussekine et réalisateur d’épisodes du Bureau des Légendes et de Baron Noir, arrive à toutes berzingues sous les projecteurs du cinéma indépendant et sur la scène du Champs-Elysées Film Festival.

Cela fait deux ans qu’on pensait que le Rodéo de Lola Quivoron, présenté à Un Certain Regard et lauréat du Prix du Jury et du Prix de la Critique du Meilleur long-métrage au Champs-Elysées Film Festival, avait tari la source “motocross” du cinéma indépendant. Pourtant, avec La Pampa, lui aussi présenté à Cannes (Semaine de la Critique) et au CEFF, Antoine Chevrollier fait le pari (réussi) de s’attaquer à un sous-genre qui pensait peut-être pouvoir se reposer sur ses lauriers.

La Pampa, c’est la décortication de cette fureur de vivre qui anime Willy et Jojo, amis à la vie, à la mort, à la moto. Par un concours de circonstances somme toute assez classique, Willy apprend l’homosexualité de son ami. Un secret qui se fera bientôt de Polichinelle dans un village où la masculinité toxique fait loi, appliquée par la main d’une justice populaire normative. En parallèle, Willy, qui érige tous les pans de sa vie en un mausolée dédié à la mémoire de son père, voit son monde s’effondrer lorsque sa mère lui annonce vouloir vendre la maison de son enfance.

Pour son premier long, le réalisateur fait le portrait d’une société dont les ramifications même sont empoisonnées par la violence, tout comme dans Oussekine, la mini-série qui l’a fait connaître. Au gré des routes d’un Longué – sa propre campagne d’origine – en friches, d’hôpital abandonné en squat improvisé, et surtout,  lancés à vive allure, ses personnages font du sur place, prisonniers d’un plafond de verre irrépressible.

Expliquer, mais pas pardonner : c’est le projet d’Antoine Chevrollier. Aussi, aucun homme n’est épargné par la violence : ni Teddy (Artus),  le coach de motocross qui refoule son homosexualité, ni le père de Jojo (Damien Bonnard), incapable d’accepter son fils pour ce qu’il est, ni Willy lui-même (Sayyid El Alami) qui, homme en devenir, a aussi tendance à exprimer ses frustrations adolescentes par le poing. Finalement, le salut ne peut venir que des femmes, mères, sœurs ou amies, qui échappent à cette “lâcheté propre aux hommes” comme l’énonce Chevrollier.

Au-delà d’un film solaire malgré son sujet, et beau, autant dans sa forme que dans son fond, Antoine Chevrollier signe surtout un exercice de direction d’acteurs qui touche fondamentalement juste. Que ce soit les jeunes, Sayyid El Alami (qui tenait déjà le rôle principal dans Oussékine), Amaury Foucher et Léonie Dahan-Lamort (qui tenait récemment le rôle principal de La Morsure) ou les adultes, Artus, Damien Bonnard, Florence Janas, tous les comédiens parviennent à exprimer ce je-ne-sais-quoi de complexité, de nuance, nécessaires au traitement du désespoir adolescent dans ce qu’il a de plus tragique.

En somme, pour son premier essai Antoine Chevrollier démarre fort et fait mouche dans les registres de l’amitié maudite à la Close (Lukas Dhont, 2022), du coming out forcé, et d’une diagonale du vide castratrice et liberticide, sans jamais, au grand jamais, tomber dans un pathos larmoyant.

De Antoine Chevrollier. Avec Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Artus, Damien Bonnard… Durée 1h43. Sortie le 5 février 2025.

Habibi, chansons pour mes ami.e.s : life is a cabaret, old chum ! [critique]