La Famille Bélier : "Il va se passer un truc avec ce film..."
"Convergence artistique"
La spécificité du projet c'est qu'il appartient autant à son instigatrice, la co-scénariste Victoria Bedos, à ses producteurs, Mars Films et Jericho, qu'à son réalisateur, Eric Lartigau. A ce sujet l'un de ses producteurs, Eric Jehelman, préfère parler de "convergence artistique entre trois parties", et se félicite que le film ait finalement trouvé "une âme là où il n'aurait pu être qu'un simple produit." Un petit miracle, donc ? Regardons ça de plus près.
"Il va se passer un truc..."
"Il va se passer un truc avec ce film, je ne sais pas exactement quoi, mais du haut de ma modeste expérience je peux vous dire qu'il va vraiment se passer un truc..."
L?homme qui parle est Stéphane Célérier, le big boss de Mars Films, la boite qui a co-produit et distribue ici La Famille Bélier, feel-good movie sur fond de Michel Sardou, où une ado entendante essaie de s'émanciper à travers la pratique du chant face à ses parents sourds-muets. Célérier a beau avoir le phrasé gentiment désabusé et la voix qui traîne, on sent tout de même poindre chez lui une vraie forme de jubilation à cet instant précis. Là il revient tout juste de l'AFM (immense marché international du film se déroulant à L.A) où il aura réussi à vendre les droits de distribution de La Famille Bélier un peu partout dans le monde, et notamment aux Etats-Unis. Forcément il a des raisons de croire qu'il va se passer un truc. Pas besoin d'avoir le nez très creux cependant pour sentir la petite odeur de carton potentiel autour de ce film-là : suffisait juste par exemple de mater à la sortie des projections de presse les yeux rougis des journalistes ciné - une espèce froide comme la pierre surtout quand on lui montre un film à 9h du mat' - pour imaginer l'effet que risque de provoquer l'objet sur un public composé, lui, de chair et de sang et d'un petit coeur qui bat. Car voilà, La Famille Bélier est ce qu'on appelle un crowd-pleaser : un film qui fait plaisir à la foule ; avouez que ça sonne mieux en VO. Ce n'est pas sale rassurez vous, surtout quand c'est aussi efficace qu'ici."
"Qu'est-ce que j'ai pleuré !"
En terme de phrasé et de hauteur de voix, Victorias Bedos, fille de, est l'exact opposé de Stéphane Célérier. Lui parler vingt minutes au téléphone donne l'impression d'être passé dans le tambour d'une machine à laver en programme essorage ; pas de doute là dessus, l'énergie du film et ses élans mélos lui appartiennent. Inspirez un grand coup avant de lire la suite à toute berzingue : "Qu'est ce que j'ai pleuré pendant l'écriture de ce film ! Franchement je chialais tout le temps. Le truc c'est qu'à la base je ne voulais pas faire de cinéma moi ! Un soir, il y a quatre ans environ, je rencontre Eric Jehelman qui me raconte qu'il cherche des projets et me demande si je n'ai rien à lui proposer. A l'époque, j'étais chanteuse dans des bars donc ça m'a un peu surprise comme proposition, mais entre deux coupes de champagne je lui propose cette idée d'une jeune fille entendante dans une famille de sourds. Le lendemain on était chez Mars dans le bureau de Célérier ! Je leur raconte à nouveau mon idée et là je les vois un peu circonspects, du style : 'Ouais ok, et ensuite?', alors là j'ajoute : 'Ah oui, et l'ado possède un don pour le chant aussi.' J'ai dit ça comme ça, juste parce que je sortais d'un cours de chant justement. Et là on me dit banco. Sauf qu'à ce moment là je n'avais pas du tout envie d'écrire un film. Donc je leur demande de me filer un chèque - j'étais complètement fauchée - et de proposer le projet à un vrai scénariste. Problème : on ne paie personne pour une idée originale. Donc j'ai du écrire un synopsis, et j'ai fini par m'attacher à cette histoire, à y mettre beaucoup de moi même, et de mon rapport à mes propres parents. Et à beaucoup pleurer aussi."
"Le projet rêvé"
Ce que ne savait pas encore Victoria Bedos c'est qu'à ce moment là, Célérier et Jehelmann cherchaient tout deux activement des projets de feel-good movie et qu'elle devenait de fait la femme providentielle. Jehelman confirme: "Je venais de quitter Fidélité films pour monter ma propre structure Jericho, j'avais beaucoup bossé par le passé avec les gens de Mars et je savais qu'on avait des envies de cinéma similaires, des films où la comédie étaient drivé par l'histoire et non pas la performance d'une superstar de la télé. Quand Victoria m'a parlé de La Famille Bélier, j'ai compris tout de suite qu'il fallait qu'on le co-développe avec l'équipe de Mars."
Célérier enchaine : "On distribue des films depuis 2007 mais on cherchait aussi à en produire depuis un petit moment. Des films étrangers sur lesquels nous avons travaillé comme Billy Elliot nous ont beaucoup influencés et nous ont donné une part de notre identité. On s'est donc mis en quête de sujets où l'affect compte plus que l'intellect, et en France c'est très compliqué à trouver. C'est sûrement culturel mais on ne sait pas trop faire ça ici. Et là tout d'un coup je vois arriver dans mon bureau cette jeune fille qui me pitche précisément le projet dont je rêvais : un film frais et bouleversant. On n'a pas hésité longtemps."
Alignement des planètes
C'est le moment où les planètes s'alignent. Deux garçons, une fille et une grosse possibilité de méga-succès. Aidé par un co-scénariste, Bedos enquille les versions, truffe la bande son du film de hits signés Michel Sardou, s'investit dans le film au point que Célérier et Jehelmann lui propose même de le réaliser, mais pris d'une grosse montée de stress, elle finit par refuser. "Si on me le proposait aujourd'hui, je dirais oui. Mais là j'étais trop à vif pour me lancer là dedans. Je sais pas si je t'ai dit mais je pleurais tout le temps à cette époque là."
Jericho et Mars établissent donc une short-list de réalisateurs pour emballer leur Famille Bélier. Célérier : "Sincèrement, Lartigau était notre premier choix. Déjà parce c'est un mec exquis, mais aussi parce que Prête moi Ta Main était, en terme de tonalité, assez proche de ce qu'on recherchait. Le hasard a fait qu'il avait envie d'écrire un film sur la famille au moment où on l'a approché. Il a accepté immédiatement." La providence décidément, on va finir par y croire.
Lartigau prend la main
Un peu dans la position de l'artisan, mais pas du tout dans celle du yes man, Lartigau exige alors de s'enfermer un mois avec le scénariste star Thomas Bidegain pour remettre à sa main le script de La Famille Bélier, compose aussi le cast dans son coin, pendant que la production, elle, cherche des financements. Une partie de plaisir visiblement comme nous le confirme Jehelmann : "Le film coûtait 10 millions et franchement ça na pas été très dur de les trouver. Le script a déclenché un enthousiasme délirant auprès des financiers, on a carrément eu quatre chaînes télé qui ont accepté de miser dessus." Pendant ce temps la petite Victoria ronge son frein : "J'ai eu du mal à ne plus être autant impliquée dans le projet. Quand Eric a repris la main, ça s'est un peu mal passé, j'ai un peu trop ouvert ma gueule. Mais tout ça a complètement disparu depuis que j'ai vu le film." Laisse nous deviner Victoria, ça t'as fait pleurer, non ? "Tu peux même pas imaginer à quel point..."
Un succès surprise qui ne surprendra personne
C'est donc l'histoire d'un film monté de toutes pièces, auquel le hasard des rencontres, l'envie des uns et le goût du travail bien fait des autres a fini par offrir une âme. Un succès surprise qui au fond ne devrait surprendre personne, mais fédérer tout le monde. Reste pourtant une question cruciale en suspens dans cette mécanique de haute précision où rien n'a été laissé au hasard : Michel Sardou, lui, il en pense quoi du film ? "On vient de lui montrer, nous dit Victoria. En sortant la première chose qu'il m'a dite c'est : 'Dis donc ma grande tu veux me canoniser, mais sache que je suis pas encore mort hein !' Après ça il m'a quand même avoué que ça l'avait énormément ému..." Si même le bougon en chef de la variété française à finit par lâcher sa petite larme, alors oui, il pourrait bien se passer "un truc" avec ce film là !
Louane, Karin Viard et François Damiens sont de retour ce soir sur C8.
Comment un film monté de toutes pièces a ému la France entière à sa sortie au cinéma, fin 2014. A l'occasion de la rediffusion du film à 21h15 sur C8, retour sur la fabrication de La Famille Bélier d'Eric Lartigau, par ceux qui l'ont fait : le producteur, Eric Jehelman, le distributeur, Stéphane Célérier, et l’instigatrice du projet, Victoria Bedos,
François Grelet
Eric Lartigau : "Avec La Famille Bélier, j'ai su que j'avais réalisé un bon film"L'histoire de La Famille Bélier : Dans la famille Bélier, tout le monde est sourd sauf Paula, 16 ans. Elle est une interprète indispensable à ses parents au quotidien, notamment pour l’exploitation de la ferme familiale. Un jour, poussée par son professeur de musique qui lui a découvert un don pour le chant, elle décide de préparer le concours de Radio France. Un choix de vie qui signifierait pour elle l’éloignement de sa famille et un passage inévitable à l’âge adulte.
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