La Ballade de Buster Scruggs
Netflix

La critique de ce western à sketchs, épisode par épisode.

D’abord annoncée comme une série pour Netflix, cette anthologie western des frères Coen s’est transformée en cours de route en un film à sketchs. Une compilation de vignettes qui combine le meilleur et le pire du duo.

Difficile de savoir si les Coen sont sincères ou se payent notre tronche quand ils affirment en interview que La Ballade de Buster Scruggs a toujours été pensé comme un film – le projet était vendu depuis des mois comme une série par les communiqués de presse de Netflix. Mais peu importe : le produit fini laisse quand même transparaître l’amour du duo pour la forme courte, « anthologique » (rappelons qu’Ethan est l’auteur d’un super recueil de nouvelles, J’ai tué Phil Shapiro). Attention, néanmoins : Buster Scruggs ne se prête pas pour autant à un visionnage aléatoire. C’est un film concept (comme on le dirait d’un album concept), qui décline différentes facettes du western (et différentes veines des Coen) et doit se regarder dans l’ordre. Le résultat est inégal, mais idéal pour une critique découpée façon guide des épisodes :

The Ballad of Buster Scruggs

Le premier sketch donne son titre au film. Qui commence très bruyamment, avec cette parodie de films de cow-boy chantant dans laquelle Tim Blake Nelson joue une fine gâchette qui, quand elle n’est pas en train de trouer la peau de ceux qui croisent son chemin, braille sur son canasson en s’accompagnant à la guitare. C’est bruyant, agressivement cartoonesque, recommandé aux fans d’O’Brother plutôt qu’à ceux de No Country for Old Men. Heureusement, ça ne dure pas longtemps.

Near Algodones

James Franco braque des banques dans cet autre segment très court, amusant, comportant des dialogues parmi les plus sophisiqués et impressionnants de la filmo des Coen, et dont la chute brutale permet de préciser la « morale » du projet. À savoir qu’il en va de la conquête de l’Ouest comme de la condition humaine : on meurt à la fin.

Meal Ticket

Plus long, plus ouvragé, ce sketch voit Liam Neeson incarner une sorte d’apprenti Barnum promenant un drôle de freak show sur les routes de l’Ouest : un jeune Anglais sans bras ni jambes déclamant de célèbres monologues devant un auditoire clairsemé, composé de grands-mères édentées et de cow-boys abrutis par la fatigue et le whisky. Un conte cruel et triste sur la façon dont la poésie, en Amérique, a été dévorée par le show-business. Brillant, bien qu’un poil démonstratif.

All Gold Canyon

Enfin! Un vrai frisson de short story. Tom Waits, gueule rocailleuse et voix burinée (à moins que ce ne soit l’inverse) est un chercheur d’or dédiant sa vie à une activité d’une absurdité toute « coennienne » (creuser des trous, encore et encore). Une délicieuse atmosphère comico-métaphysique s’installe ici, tandis que la très voyante photo de Bruno Delbonnel (qui transforme le Far West en une sorte de fantaisie, une pure vue de l’esprit) s’affirme comme un personnage à part entière.

The Gal Who Got Rattled

Zoe Kazan affronte le wilderness. Le chef- d’œuvre du lot, le plus long, le plus ample, le plus émouvant, le plus cinéma, le plus western. Le seul segment qui « respire » et s’autorise un peu de souffle épique. Y a pas à dire : on aime ces Coen-là, ceux de No Country for Old Men et d’Inside Llewyn Davis. Romantiques, tragiques, pas effrayés par le premier degré.

The Mortal Remains

C’était censé être l’épilogue qui fait tenir la baraque, le bouquet final, le ruban sur le paquet cadeau. Thématiquement, c’est raccord : dans une diligence, deux croquemitaines baratineurs (un autoportrait de Joel et Ethan ?) accompagnent des voyageurs vers leur destination finale. Esthétiquement, c’est plus discutable, le look tarantino-burtonien de cet épisode façon Quatrième Dimension étant trop gaguesque (et moche) pour constituer une conclusion digne de ce nom. C’est dommage. Mais cette compilation bringuebalante, à défaut d’être un grand Coen, reste un bon moyen de tuer le temps en attendant la saison 4 de Fargo.