Un récit trépidant, magnifié par la beauté singulière de son animation. A (re)voir ce soir sur France 4.
Josep aurait dû marquer l'histoire du festival de Cannes, malheureusement il a été sélectionné l'année où l'événement a été annulé ! Le film d'animation d'Aurel, acclamé par la critique, et notamment par Première, est programmé ce soir sur France 4. A ne pas manquer.
Voilà un film qui fait regretter encore plus l’annulation du Festival de Cannes cette année. Tant il paraît évident que cette manifestation (dont il a reçu le Label 2020) aurait joué le rôle de tremplin mérité dans la carrière du premier long métrage du dessinateur Aurel, à l’image de ce qu’a pu vivre l’an passé Jérémy Clapin avec J’ai perdu mon corps, de sa sélection à la Semaine de la critique jusqu’aux Oscars et aux César. Mais le sort en a décidé autrement.
Ce qui accroît notre responsabilité à partager avec le plus de justesse possible l’enthousiasme ressenti lors de sa découverte. Josep, c’est d’abord un coup de projecteur bienvenu sur un pan d’histoire tragique et longtemps tabou de l’histoire de France du XXe siècle. La Retirada. Ces 450 000 Espagnols fuyant en 1939 le régime franquiste (qui venait de conquérir l’Espagne) pour la France où ils se sont retrouvés parqués dans des camps construits à la hâte le long des plages des Pyrénées-Orientales. Ou comment en pensant être accueillis à bras ouverts dans le pays prétendument des Droits de l’homme, ces républicains se retrouvèrent maltraités et humiliés.
Mais Josep, c’est aussi l’histoire d’un homme, l’un de ces résistants malmenés. Un dessinateur de presse qui aurait milité au parti communiste catalan dont le nom reste encore aujourd’hui largement inconnu : Josep Bartolí. Dans ce camp où il fit tout pour obtenir des nouvelles de sa fiancée dont il a été séparé pendant l’exode, Bartolí a dessiné tout ce qu’il voyait : la solidarité comme les heurts entre anarchistes, trotskistes et communistes mais aussi les brimades, les viols… avant de réussir à s’échapper et de connaître, au terme d’un long périple, une nouvelle vie au Mexique où il côtoiera notamment Frida Khalo et Diego Rivera.
FICTION & RÉALITÉ
C’est la petite et la grande histoire mêlées que raconte ici Aurel avec l’aide du scénariste (et complice de longue date de Robert Guédiguian) Jean-Louis Milesi. Cette part documentaire est évidemment passionnante. Mais elle l’est encore plus par la manière dont le duo y insuffle une part fictionnelle qui va venir percuter cette réalité pour faciliter son appropriation par le spectateur à travers l’invention de toutes pièces d’un personnage témoin qui, sur son lit de mort, en devient le conteur pour son petit-fils. Il s’agit d’un gendarme qui, tout à la fois scandalisé et bouleversé par le traitement infligé à ces Espagnols en général et à Josep Bartolí en particulier, a résisté à sa manière. Il a offert en secret, pour commencer, du papier et des crayons, afin que Josep puisse exercer son art. On pourrait craindre que ces allers-retours entre présent et passé affaiblissent une histoire qui se suffirait à elle-même. Sauf que le regard que pose cet adolescent sur son grand-père qui jamais n’avait évoqué cet acte d’héroïsme renforce le romanesque du propos et, surtout, tisse un lien entre hier et aujourd’hui. Entre ces hommes et ces femmes parqués dans des camps dans les années 30 après avoir fui une dictature et les migrants d’aujourd’hui qui, eux aussi, s’échappent comme ils peuvent de territoires en guerre vers une terre promise européenne pour terminer au fin fond de la Méditerranée ou dans des campements de fortune dont l’insalubrité obéit à la même inhumanité que les camps de 1939. Le tout avec des justifications qui, à l’oreille, sonnent étonnamment et terriblement semblables. Josep est à ce titre un film éminemment politique mais n’assène rien. Il donne à penser et à voir.
COUP DE MAÎTRE
Car Josep c’est, enfin, un geste artistique d’une beauté renversante. Lui-même dessinateur de presse, on sent à quel point raconter Josep Bartolí tient à coeur à Aurel. Comme un devoir de mémoire et de transmission par les mots, bien sûr, mais aussi et surtout par les images, leur langue commune. Ainsi, par contraste avec le registre volontairement classique pour la partie moderne (celle de l’échange entre ce grand-père et son petit-fils), l’animation de Josep va suivre l’évolution du travail du dessinateur et de ce qu’il vit. De la plume en noir et blanc à la couleur. De l’incarcération à la liberté. Mais avec une logique, une colonne vertébrale, une ligne de conduite commune : une animation quasi fixe où les cadres et les couleurs vont se mettre soudain à vibrer. Le résultat est un ravissement pour les yeux tout au long de ces 80 minutes incroyablement denses et pourtant d’une fluidité jamais prise en défaut. Un coup d’essai façon coup de maître.
Commentaires