Ce diptyque somptueux sur la naissance, la vie, la mort et le deuil d’un premier grand amour révèle la réalisatrice britannique aux yeux du public français
Quand naît précisément The Souvenir dans notre tête ?
Joanna Hogg : En 1998. Je savais alors qu’il y aurait deux parties – la première sur l’histoire d’amour, la deuxième sur la reconstruction après la fin de celle- ci - mais je n’avais aucune idée de qui était mon personnage masculin. Donc je me suis arrêtée là… jusqu’en 2015 après avoir terminé Exhibition, mon troisième long métrage pour le cinéma. J’ai relu mes notes et eu envie de m’y replonger. J’étais surprise de la clarté de ce que j’avais pu écrire 20 ans plus tôt. Je pensais mon esprit bien plus confus. Même si ce personnage masculin restait aussi mystérieux. Je savais juste les choses qu’il aimait, les films de Powell et Pressburger par exemple…
Comment vous replongez- vous dans l’écriture pour donner vie à ce projet ?
En écrivant quelques notes inspirées des journaux de bord que je tenais dans mes jeunes années, celles de l’âge de mon héroïne, Julie quand elle va vivre sa première grande histoire d’amour
L’idée que la première partie du diptyque raconterait ce grand amour et la seconde la manière d’en faire son deuil en réalisant un court- métrage sur ce que ce rollercoaster émotionnel lui a inspiré est née là ?
Non car je n’ai commencé à me plonger dans la deuxième partie du diptyque qu’après le tournage de la première. Même si au départ, j’avais l’intention de les enchaîner sans temps mort. Car mes producteurs et les financiers ont voulu voir le résultat du premier avant de s’engager. Ce qui peut paraître logique mais fuit très pénible à entendre à ce moment- là car l’attente qui s’annonçait entre les deux tournages me terrifiait. Il y a toujours plus de raisons qu’on vous dise non que oui, dans ces moments- là ! Mais, j’ai eu la chance que le feu vert tombe pendant le montage du premier volet et que ça m’enlève énormément de pression sur son accueil qui aurait eu en quelque sorte droit de vie ou de mort sur la suite.
THE SOUVENIR: UN GESTE CINEMATOGRAPHIQUE FASCINANT [CRITIQUE]A quel moment les acteurs sont entrés dans votre processus de création ?
Tom Burke fut assez vite une certitude dès lors que j’avais cerné à peu près qui serait mon personnage masculin principal. Je ne connaissais pas vraiment son travail car il a surtout fait du théâtre et j’y vais hélas assez peu. C’est un ami, féru, lui, de théâtre et en qui j’ai totale confiance qui m’a incité à le rencontrer. A ce moment- là, je n’étais pas certaine de vouloir un comédien professionnel pour ce rôle. Mais quand il est entré dans la salle, il m’a paru spontanément être le personnage. Il avait quelque chose d’un jeune Orson Welles
Le processus a été plus long pour trouver votre Julie, rôle qui marque les débuts de comédienne d’Honor Swinton- Byrne, la fille à la ville comme à l’écran de Tilda Swinton ?
J’ai cherché pendant des mois ma Julie et je voyais le début du tournage se rapprocher avec angoisse. Mais je ne voulais rien céder là- dessus. Ca devait être une évidence ou rien. Alors, contrairement à mes intentions de départ, j’ai commencé à caster tous les personnages secondaires qui allaient autour d’elle avant elle. Pour jouer la mère de Julie, j’ai fait appel à Tilda Swinton qui avait tourné dans mon court- métrage de fin d’études. Je suis allée la voir chez elle pour discuter du rôle. Et en repartant pour Londres, à la gare, j’ai croisé Honor qui venait voir ses parents pour le week- end. Je la connais depuis toute petite mais on ne s’était pas vus depuis longtemps. On en a donc profité pour discuter. Elle avait alors 19 ans et quand elle a commencé à me parler de sa vie, ça a tout de suite fait écho à mon personnage. J’avais l’impression d’avoir Julie devant moi. Mais j’avais peur qu’Honor n’en ait aucune envie et que Tilda trouve que ce soit une très mauvaise idée. D’autant plus qu’il s’agissait de s’engager sur deux films ! Avoir une mère actrice aurait précisément pu être la raison pour laquelle elle aurait tenu à rester à éloigner de tout ça. Mais j’ai eu la chance qu’Honor accepte spontanément. Je n’ai pas eu besoin de faire des essais avec elle. Je savais. Je voulais garder toute l’énergie de ce qui allait être sa première fois à l’écran pour le plateau, sans l’abîmer avant.
Vous ne répétez jamais avec les acteurs ?
Non, jamais ! Et pour The Souvenir, j’ai même demandé à Honor qu’elle ne rencontre jamais Tom avant le tournage et qu’ils se découvrent à l’écran comme leurs personnages dans le récit. Je ne répète pas non plus sur le plateau avant de tourner. Je veux capter avec ma caméra ce qui se produit spontanément. La seule chose que j’ai partagé avec Honor avant le tournage, ce sont mes carnets dont je vous ai parlé.
Mais elle a lu le scénario quand même ?
Non car je ne souhaitais pas non plus qu’elle connaisse l’histoire en détails. Elle n’en savait que les grandes lignes : l’histoire d’amour, le fait que son personnage allait devenir étudiante au cinéma. Mais pas davantage. Je voulais qu’elle le découvre petit à petit et j’avais demandé à l’équipe technique de ne rien spoiler dans leurs échanges.
Le nom de Martin Scorsese apparaît au générique comme producteur exécutif de The Souvenir. Comment et quand l’avez-vous rencontré ?
Peu après qu’il a vu mon deuxième long métrage, Archipelago, en 2010. Quand on dit que Martin voit tout, ce n’est pas une légende ! (rires) Il était venu recevoir un prix à Londres et on a pu échanger là pour la première fois. Quand vous entendez Scorsese parler avec autant d’enthousiasme et de précision de votre film, c’est un moment inoubliable, je peux vous l’assurer ! A partir de là, on est resté en contact. Dès que j’allais à New- York, je passais le voir. Et c’est lors d’une de ces conversations où je lui ai expliqué ce que j’étais en train de faire qu’il m’a proposé de s’impliquer. Les références à Powell et Pressburger lui ont évidemment immédiatement parlé. Et son regard et ses conseils ont été précieux tout au long de cette aventure The Souvenir.
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