Interstellar pleure
Warner Bros

Le film de SF de Christopher Nolan, qui a tant divisé la rédaction, reviendra ce soir sur France 3.

Mise à jour du 4 mars 2021 : A sa sortie, fin 2014, les journalistes de Première étaient ressortis en désaccord de la projection d'Interstellar. Si Frédéric Foubert acclamait ce "mélo caché sous une grande odyssée spatiale", Vanina Arrighi de Casanova restait de marbre devant cette aventure portée par Matthew McConaughey. Et vous ?

Critique du 5 novembre 2014 : On attendait un space opera définitif, le plus grand film de voyage interstellaire depuis 2001. Et puis non. On m’explique tout à coup, qu’en fait, Interstellar est le grand mélo de Christopher Nolan. Pour une fois, le cinéaste-démiurge ne s’est donc pas fixé comme mission de plier le destin des hommes à ses scripts alambiqués ; et s’il théorise ou philosophe, ce n’est pas sa véritable ambition. Non. Ici, Nolan voulait investir d’émotion le blockbuster à 160 millions de dollars. Intéressant pour un type aussi clivant de tenter de toucher à l’universalité en parlant sentiments et en mettant l’humain au cœur de son odyssée. En essayant de faire chialer. C’est son projet et donc à cette aune, hors débat pour ou contre Christopher Nolan, qu’il faut juger Interstellar. Problème : moi je ne pleure pas. Malgré l’intention, malgré les violons de Zimmer, malgré les discours lourdingues, malgré les morts, le fatum, malgré, surtout, Matthew McConaughey, il ne se passe rien. Nada. Raté.Récemment, le cinéaste nous expliquait clairement ses intentions (à sa pudique manière) : « C’est le film où les émotions des personnages sont les plus importantes. Il s’agit d’un moteur essentiel de l’histoire ». Si je comprends bien, c’est donc le critère essentiel pour l’évaluer. Et c’est le sens de son casting : il n’embarque pas les so serious Bale ou DiCaprio dans son odyssée spatiale, mais Matthew McConaughey, le Texan au grand cœur, le space cowboy bourré de failles et d’humanité. La star ressuscitée a l’étoffe du héros et on sent bien qu’il a pour mission d’incarner ce virage émotionnel. Sans lui, Interstellar serait aussi glaciale que les planètes qu’il explore. Mais avec lui, avec son talent et son expressivité folle, ça ne marche pas. Les yeux sont secs et malgré toute ma bonne volonté, je reste de marbre quand il pleure (tellement bien, pourtant) devant un écran lors d'une séquence pensée comme le sommet émotionnel d’Interstellar. McConaughey fait ce qu’il peut, le score d’Hans Zimmer pousse les compteurs dans le rouge, et je dois même reconnaître que j’ai la larme facile. Mais alors, qu’est-ce qui cloche (à part moi) ?

Timothée Chalamet a pleuré devant Interstellar, mais pas pour la même raison que vous

Quantifier l'amour
D’abord cette idée qu’au fond, les émotions servent de fil rouge au récit. C’est Nolan lui-même qui avouait que, pour ne pas perdre le spectateur dans ses théories scientifiques imbitables, il avait voulu qu'on puisse se raccrocher à l’humanité des personnages. Mais en faisant de l'émotion un point d’ancrage, un objet d’étude quasi rationnel, il amoindrit forcément son impact. C’est le problème du personnage d’Anne Hathaway. L’actrice n’a pas grand chose à faire et hérite, la pauvre, du speech le plus con que j’ai jamais entendu sur l’amour - qui transcende le temps et l’espace et pourrait au fond être la seule donnée scientifique valable qui résoudrait tout (quelque chose comme ça, j’ai décroché) -, point d'orgue d'une séquence par ailleurs aberrante. Outre un problème d’écriture flagrant, cette scène est symptomatique de l’échec d’Interstellar. Visiblement incapable de parler simplement des sentiments humains, de ce qu’il y a de mieux partagé au monde, Nolan plombe le discours de théories nébuleuses – dans un film déjà bourré de principes scientifiques incompréhensibles pour 99,99% de la population. McConaughey pouvait toujours se surpasser après ça, c’était foutu. A l’inverse de Gravity qui était un pur voyage sensoriel, Interstellar (très en-dessous du film de Cuaron en termes de sensations, ce qui est l’autre énorme problème du film) ne décolle jamais parce qu’il est lesté du poids de ses principes philosophiques et de ses théories scientifiques. Et je ne parle pas que des trous noirs, des « trous de vers », de la relativité, de la physique quantique, des cinq dimensions et de la gravité qui traverse le temps ou du désormais culte « Les êtres du bulk renferment le tesseract ». Ce qui faisait jusqu’ici la force du cinéma de Nolan – le fameux blockbuster intelligent – est la plus grande faiblesse de son film : à force de produire du discours plus ou moins fumeux sur tout, tout le temps, il empêche l’émotion d’émerger. Comme je ne peux pas citer de manière absolument fidèle Anne Hathaway dans le film, je cite Nolan himself : « L’amour doit rester mystérieux, même si j’aime l’idée qu’en voyant la vie humaine d’un autre point de vue, en prenant un peu de recul, on peut quantifier l’amour, on peut le comprendre différemment, scientifiquement ».Il fallait peut-être s’arrêter à « mystérieux » finalement.
Vanina Arrighi de Casanova


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