Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
I FEEL GOOD ★★★★☆
De Gustave Kervern et Benoît Delépine
L’essentiel
Le meilleur Kervern et Delépine depuis Le grand soir. Jean Dujardin dans son meilleur rôle depuis The Artist. We feel good.
C’est l’histoire de deux trajectoires opposées qui ont fini par se croiser. À ma gauche, le duo Kervern-Delépine, chantre d’un cinéma social anar parcouru d’un humour absurde “à la Blier”. À ma droite, Jean Dujardin, incarnation du cinoche du dimanche soir dans sa grande diversité -parodies sophistiquées, comédies plan-plan, drames et polars solides. A priori, rien de commun entre ces trois-là sinon l’envie de se réinventer, d’aller là où on ne les attend pas.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A ADORÉ
DONBASS ★★★★★
De Sergei Loznitsa
Il y a un an, Sergei Loznitsa faisait le portrait de la Russie en adaptant (et trahissant) Dostoievski, avec Une femme douce, voyage halluciné d’une femme perdue dans une Russie kafkaïenne. Avec Donbass, le cinéaste radicalise un peu plus ses concepts. Tout commence avec une troupe de comédiens qui se prépare dans une caravane. On maquille les femmes, qui papotent et s’insultent jusqu’à l’arrivée d’un militaire.
Gaël Golhen
BERGMAN, UNE ANNÉE DANS UNE VIE ★★★★☆
De Jane Magnusson
Bergman avait pensé à tout. En 1987 il décide de prendre à revers tous les hommages aveugles qui pleuvent sur lui avec un bel exercice d’autovoyeurisme : sa superbe et cruelle autobio Laterna Magica mettait en scène toutes ses faiblesses depuis sa sexualité torve jusqu’à ses diarrhées chroniques. Ce doc va plus loin et veut faire rendre gorge aux mythes et aux mensonges diffusés par le cinéaste lui-même. L’idée est simple : se concentrer sur l’année 57. 1957, c’est le moment où Bergman devient une icône du cinéma mondial et un superhéros arty hyper-productif (il enchaîne deux chefs-d’œuvre, quatre pièces de théâtre et sa première fiction télé). En 57, Bergman entame également une relation avec au moins quatre femmes différentes, il est atteint de violents ulcères et multiplie les explosions de rage… En plus des interviews d’époque, face caméra ses comédiens et ses techniciens l’accablent des pires maux, reviennent sur ses errements (ses sympathies nazis, ses mensonges et ses vexations …). Aujourd’hui, Bergman serait traîné dans la boue ou devant les tribunaux ; il serait dénoncé par sa famille qu’il a négligée. Mais ce que dévoile la documentariste Jane Magnusson c’est que cette année-là, le génie suédois touche du doigt ses propres failles et réussit à en faire un carburant esthétique. Il comprend son besoin vital de raconter des histoires pour exorciser ses démons. Au milieu du XXème siècle, le maître des marionnettes, monstre ou pas, transforme nos turpitudes en drames existentiels à la beauté terrassante. Happy Birthday !
Gaël Golhen
PREMIÈRE A AIMÉ
UN PEUPLE ET SON ROI ★★★☆☆
De Pierre Schoeller
En se lançant dans son diptyque révolutionnaire, Pierre Schoeller entendait se débarrasser du folklore et de la signalétique rabattue pour réinstaller la Révolution française à sa place. Un acte fondateur de la pensée politique et de la démocratie. Un pari fou, à l’opposé de tout ce qui avait été fait au cinéma, mais pas si étonnant que ça de la part du réalisateur de L’Exercice de l’État. Soyons francs : le résultat n’est pas totalement à la hauteur de l’ambition.
Gaël Golhen
LE VENT TOURNE ★★★☆☆
De Bettina Oberli
La fidélité à une idéologie n’étouffe-t-elle pas nos désirs les plus profonds ? L’excès de protection amoureuse n’enferme-t-il pas le corps dans une prison ? Autant de questions que pose Bettina Oberli à travers ce drame champêtre où un couple de fermiers idéalistes est ébranlé par l’arrivée d’un ingénieur venu leur installer une éolienne. Attirée par ce jouisseur qui voit le monde d’une manière très différente, la jeune femme se met à douter de son engagement sentimental et politique. Filmant la nature comme une puissance tour à tour rassurante ou menaçante, la cinéaste retranscrit vigoureusement le parcours émotionnel d’une héroïne qui sent le changement souffler en elle. Troublante dans ce rôle à la fois intrépide et mélancolique, Mélanie Thierry confirme, quelques mois après La Douleur, tous ses talents de tragédienne.
Damien Leblanc
THE LITTLE STRANGER ★★★☆☆
De Lenny Abrahamson
Si ça continue, Lenny Abrahamson va devenir un vrai cinéaste en chambre. Après Room, il s’intéresse à une autre histoire claustro, l’adaptation d’un roman gothique de Sarah Waters qui se concentre sur le destin d’un manoir anglais dans l’immédiat après-guerre. La bâtisse est comme la famille qui l'habite : lugubre et traumatisée. Avec un art Woolfien consommé, le cinéaste agite les questions habituelles du genre : Hundred Hall est-elle hantée par la fille de la propriétaire mystérieusement disparue ? Ou bien les événements qui font trembler la maison - une fillette mordue et défigurée par un chien, un incendie, des objets qui se déplacent - sont-ils le fruit du hasard ? On nous souffle bien plusieurs explications (rationnelles ou pas), mais au fond ce n’est pas le sujet du film. Fantôme, hystérie ou malveillance intéressent moins Abrahamson que ce monde anglais corseté en train de s’écrouler. The Little stranger parle d’une société programmée à mourir qui fait un peu de résistance. Le narrateur principal, médecin issu d’une famille pauvre, ne se sent pas vraiment légitime auprès de cette gentry décatie et ce qui commence comme un thriller victorien bascule progressivement dans un beau traité de lutte des classes. Abrahamson observe son héros rouquin (parfaitement campé par Domnhall Gleeson) hésiter à prendre de force le pouvoir sur l’aristocratie en déroute et notamment l’héritière qu’il convoite. Une maison et ses habitants doivent-ils nécessairement être effacés ou violés parce qu’ils sont devenus superflus dans une société qui aspire au changement ?
Pierre Lunn
LIBRE ★★★☆☆
De Michel Toesca
Michel Toesca a suivi pendant trois ans son ami Cédric Herrou, paysan sans histoire jusqu’au jour où il décide de consacrer sa vie à accueillir ceux qui arrivent dans sa région, fuyant leurs pays en guerre. Et d’enfreindre la loi en venant en aide à ces migrants livrés en eux- mêmes. Son film a l’intérêt majeur de poser plus de questions concrètes qu’il n’apporte de réponses toutes faites. Il ne fait jamais de Herrou un surhomme capable de solutionner tous les problèmes mais un personnage à la Capra tentant de régler par le bon sens les problèmes qui se déroulaient en bas de chez lui. Et en racontant ce quotidien mouvementé, Herrou signe plus un document qu’un documentaire. Un témoignage de ce que vivent nos pays occidentaux qui, effrayés par la montée des extrêmes, envisagent avant tout les migrants comme un nid à problèmes.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
LA PROPHÉTIE DE L’HORLOGE ★★☆☆☆
D’Eli Roth
C’est un film qu’on a l’impression d’avoir déjà beaucoup vu. L’adaptation de La pendule d’Halloween, premier volet des 12 tomes – sur 40 ans ! - de la série littéraire jeunesse mettant en scène les aventures de Lewis Barnavelt. Ici, Lewis a 10 ans et il réveille bien accidentellement les morts et déchaîne mages et sorcières dans la petite ville pourtant tranquille où il est venu s’installer chez son oncle. On regarde ce spectacle sans déplaisir ni enthousiasme. Le récit ne sort jamais des clous, respecte à la virgule près le cahier des charges de ce genre de productions, se permettant juste ici ou là quelques moments un peu décoiffants (l’attaque des automates…). Au diapason, les comédiens adultes (Cate Blanchett, Jack Black…) font eux aussi le job sans réellement forcer leur talent. La seule surprise vient du réalisateur de ce divertissement ciblé vers un public adolescent à l’ambiance “spielbergienne” : Elie Roth, l’homme d’Hostel qui signe à cette occasion son premier long métrage non « rated R ». On aurait juste adoré qu’il transcende le genre plutôt qu’il s’y glisse en pantoufles.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
L’OMBRE D’EMILY ★☆☆☆☆
De Paul Feig
Quand son amie, une working girl (Blake Lively), disparaît, Stephanie (Anna Kendrick), jeune mère de famille veuve, mène l’enquête. Elle va aller de surprises en surprises. Ce n’est pas l’ombre d’Emily qui plane sur ce film, c’est celle, écrasante, de Gone Girl et sa cohorte de mensonges et de trahisons. Mais Paul Feig n’est pas David Fincher et la greffe légèreté/noirceur ne prend jamais. Le dénouement flirte à cet égard avec le grand n’importe quoi malgré l’abattage de la sympathique Anna Kendrick.
Christophe Narbonne
RAFIKI ★☆☆☆☆
De Wanuri Kahiu
Pour faire la critique de Rafiki, il faut ignorer les signaux attractifs qui obscurcissent notre jugement : le premier film kényan montré à Cannes ; par une réalisatrice née à Nairobi (formée en Angleterre et aux Etats-Unis) ; avec des actrices au charisme magnétique ; contant l’histoire d’amour entre deux lycéennes dans une société où l’homosexualité est proscrite. Il fallait que ce film existe. Mais pas dans la forme que Wanuri Kahiu lui a donnée. Parce que ses personnages semblent avoir été habillés pour un défilé de mode afropolitaine. Parce que la photo-saccarose, le montage-sitcom, les gimmicks Sundance. Parce qu’elle aligne les clichés du roman à l’eau de rose et les raccourcis sociologiques (le personnage de la commère, sommet de typification à la hache). Parce que de bonnes intentions n’ont jamais fait un bon film.
Michael Patin
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