William Friedkin
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Invité d'honneur du Festival International du Film Policier de Beaune en 2009, le réalisateur de French Connection et L'Exorciste qui vient de disparaître, nous avait délivré une masterclass. Hommage.

« J’ai grandi à Chicago et on ne peut pas dire que j’étais quelqu’un de spécialement intéressé par la culture. Les seuls souvenirs de cinéma lié à l’enfance, ce sont Mickey Mouse, The Three Stooges ou encore des séries comme Hopalong Cassidy, sorte de westerns qui ont également inspiré comme George Lucas. Quand j’ai quitté le collège, je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. J’ai simplement répondu à l’annonce d’une chaîne de télévision qui cherchait quelqu’un pour s’occuper du courrier. Nous étions alors aux débuts des années cinquante, c’était l’explosion des  programmes en directs. Il y avait une grande effervescence et une possibilité d’évolution. Un jour, un ami assistant réalisateur m’a proposé de l’accompagner au Surf Theatre de Chicago, une salle d’ arts et d’essais : « Viens avec moi, il passe un grand film ! » C’était Citizen Kane ! Le choc, je l’ai vu plusieurs fois d’affilée. C’est comme si soudain, on m’avait donné la clef d’un monde inconnu. Si je n’arrivais pas à analyser ce qui m’avait séduit, je me souviens d’avoir été frappé par la lumière, l’utilisation révolutionnaire du son, la complexité du montage… Tout était nouveau. C’était aussi fort que la découverte des toiles de Rembrandt, Vermeer ou des Impressionnistes. «  Comment est-ce possible de créer de telles choses ? » me suis-je demandé. C’est ce même collègue qui m’a ensuite fait connaître l’œuvre d’autres grands cinéastes comme Michelangelo Antonioni… Voilà ma formation.  Je n’ai jamais étudié le cinéma dans une école, j’ai en revanche, vu beaucoup de films. Au départ, vous essayez de copier, d’apprendre les bases et si vous êtes doué, vous pouvez développer votre propre style. Si j’avais suivi des cours, j’aurais peut-être  appris le fonctionnement d’une caméra, l’utilisation  des différents objectifs, mais le style, vous l’avez ou vous l’avez pas.  J’ai l’impression qu’à ce moment-là que Dieu m’a pris par la main et m’a donné la foi en le cinéma. Je ne savais pas ce que j’avais envie de filmer mais il fallait que je tourne. J’ai progressivement gravis les différents échelons dans la chaîne de télévision et je me suis retrouvé à réaliser des douzaines d’émissions en direct . Bien-sûr, ça n’avait rien à voir avec le cinéma, mais j’ai au moins appris une leçon : l’importance de la communication avec les techniciens. Si tu sais leur parler, il n’y a pas de raison qu’il n’en sois pas de même avec les spectateurs ! »

William Friedkin est mort

 

AVOIR UNE VISION GLOBALE DU FILM DANS SA TÊTE

« Même si je ne suis pas un adepte des réceptions mondaines, j’ai quand même dû me forcer. Si je voulais faire du cinéma, il fallait que je rencontre des gens. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance d’un prêtre au milieu d’une fête où gravitait des acteurs, des politiciens, des juges… L’homme était protestant et officiait dans une prison auprès des condamnés à mort. Il m’a alors parlé de ce prisonnier qui clamait depuis onze ans son innocence et qui allait passer à la chaise électrique dans quelques mois.  Nous étions un vendredi soir, le lundi matin, je rappelais le prêtre pour lui proposer de faire un film sur le détenu. J’ai eu du mal à convaincre mes employeurs de me suivre. J’ai toutefois réquisitionné un caméraman et un preneur de son et nous avons fait le documentaire. Suite à sa projection le condamné à mort a été acquittée. D’une certaine manière, c’est là que  j’ai compris le pouvoir des images. Un film est capable de faire bouger les consciences. Par la suite, mes long-métrages de fiction ont toujours essayé d’explorer la frontière entre le bien et le mal. Beaucoup de gens ont évoqué mon rapport au religieux, or si je suis né au sein d’une culture juive, je ne suis pas pratiquant. Disons simplement que je trouve l’histoire de Jésus, fascinante. Ce mélange de magie et de réalisme est étonnant. Prenez L’Exorciste, si je n’avais pas cru à ce récit d’envoutement, jamais je n’aurais fait le film ! »

« Tous les films que j’ai tourné se sont imposés à moi. Je n’ai pas eu besoin de les chercher. L’écriture du scénario se fait ensuite très naturellement, dans un seul geste. Même si le script n’est qu’accessoire. L’important sur un plateau, c’est d’avoir une vision globale du film dans sa tête. J’avais chaque plan de la poursuite de French Connection à l’esprit avant de la tourner. Pas besoin de faire de story-boards, tout est là (il pointe son doigt sur son crâne) La veille des prises de vues, j’emmène mon équipe sur les décors et je leur explique ce que je vais faire. Tout est anticipé au maximum, afin d’être prêt à capter l’inattendu quand il se présentera. Sur mes tournages, je ne doute jamais, je sais parfaitement ce que j’ai à faire. Le fantasme de l’artiste qui attend l’inspiration, c’est n’importe quoi. Fabriquer un film, c’est très mécanique. »

PAS DE PSYCHOLOGIE DE L’ACTEUR

« Au centre du processus de fabrication, il y a bien-sûr les comédiens. Là encore, tout est une question d’anticipation. C’est au moment du casting que ça se joue. Si vous avez fait les bons choix, il n’y a pas de raison qu’il y ait des accrocs. Je me souviens de ma rencontre avec Roy Scheider au moment de French Connection. Il est arrivé dans mon bureau, personne ne le connaissait, il avait simplement joué dans des spectacles off-Broadway ou au théâtre. Je lui demande : « Qu’est-ce que vous faites en ce moment ! », « Je joue dans une pièce de Jean Genet ! », « Quel rôle ? » « Oh juste un homme qui fume un cigare sans dire un mot ! »,Je lui répond simplement: « C’est bon vous êtes engagé ! » Il était surpris, à aucun moment je ne lui ai demandé de lire un bout du scénario. Toutes les techniques de psychologie de l’acteur comme la méthode de l’Actor’s Studio, ce sont des conneries. Certains comédiens avec qui j’ai travaillé m’ont demandé des détails sur leur personnage, il a bien fallu que je leur raconte des histoires pour les rassurer, mais généralement, je leur dis : « Tu veux savoir pourquoi tu dois faire telle ou telle action ? Parce que c’est dans le script ! » Honnêtement qui sait ce qui se passe par exemple dans la tête d’un serial-killer. Que répondre à un acteur qui doit jouer ce type de personnage ? Benicio del Toro ou Nick Nolte sont comme ça, ils me posent des tes questions. Je sais que Nolte besoin d’écrire un roman de 300 pages sur son rôle et de le soumettre à son réalisateur avant de tourner. Avec Tommy Lee Jones c’est l’inverse. Il arrive le matin, il ne dit pas bonjour, je lui explique le topo : « Tu entres par cette porte, tu t’assois ici, tu allumes ta cigarette ensuite tu passes un coup de téléphone, tu dis deux trois mots et tu sors ! » Dans la foulée il répète les gestes, demande à l’assistant de faire des marques au sol pour certaines de ses positions, il règle le timing de ses gestes avec l’opérateur et hop, on tourne la séquence. C’est un pro, pas besoin de jouer les psychologues, quand il arrive sur le plateau, il a déjà son personnage bien en tête. Si vous donnez trop d’indications à un acteur, il va avoir tendance à trop en faire. Cependant un cinéaste doit savoir s’adapter à toute technique de jeu. Je me souviens de Max von Sydow sur le tournage de L’exorciste, habillé en prêtre. Nous étions prêt à tourner, puis soudain il se tourne vers moi et me dit « J’ai un problème avec cette séquence… » Je lui demande Pourquoi. Il me répond : « Parce que je ne crois pas en Dieu ! », « Mais tu as déjà incarné Jésus dans La plus grande histoire jamais contée… », « Oui, à la différence que je jouais Jésus comme un simple être humain et non une divinité ! » « Et bien, fais la même chose avec ce prêtre ! » La direction d’acteur c’est aussi simple que ça. Il faut que le réalisateur créé un environnement serein pour que les acteurs se sentent bien, ou au contraire, qu’ils soient dans l’inconfort pour les déstabiliser. L’important au final, c’est qu’ils sentent épauler par l’équipe et le metteur en scène. »

UNE QUESTION D'INSTINCT

« Avant je multipliais les prises, aujourd’hui j’en fais une ou deux au maximum. L’important dans toute chose c’est la spontanéité. La perfection, je m’en fous. J’ai par exemple tourné Bug en dix-neuf jours seulement. Tout est une question d’instinct. Prenez le travail sur le son, je me souviens que petit j’écoutais des histoires à la radio en fermant les yeux. Je fais la même chose avec mes long-métrages, une petite musique intérieure me guide. Pour le montage, je fonctionne de la même manière qu’avec les acteurs. Sans pathos. Le technicien est juste une paire de mains qui coupe là où je lui dis de couper. S’il a une suggestion à faire, je la prends en compte, mais je n’attends pas forcément ça de lui. De toute façon, c’est le film lui-même qui guide vos gestes. C’est lui qui commande.  Les grands cinéastes comme John Ford ou Orson Welles, montaient leur film directement avec leur caméra. Sachant qu’ils n’auraient peut-être pas le final cut, ils tournaient que ce qui étaient nécessaire. Bien-sûr, il arrivait qu’on détruise ce qu’ils avaient fait en retournant des séquences comme pour La splendeur des Amberson de Welles. Heureusement, je n’ai jamais été confronté à ce genre de choses, même quand mes films ont commencé à moins bien marcher, je me suis accroché. De toute façon la notion de succès est tellement floue que c’est dur, même pour les producteurs de s’en servir comme argument contre vous. Difficile d’anticiper en effet, ce qui va plaire au public ou non. Je pense que, comme tout artiste, le réalisateur a une sorte de don qui guide son esprit. Prenez deux personnes, montrez lui les tableaux des grands maîtres au Louvre. Il y en a un qui sera toucher plus que l’autre. Peut-être, que celui-là à l’âme d’un artiste.Quand j’étais marié avec Jeanne Moreau, elle m’a fait découvrir La recherche du temps perdu de Marcel Proust. Cette lecture m’a dévasté. Le rythme, la puissance des mots, le sens de la narration… Il y a quelque chose d’incroyable, de surnaturel, qui dépassait l’entendement. Aujourd’hui, je me suis lancé dans la mise en scène d’opéras, une bonne manière de remettre en cause mes certitudes de cinéaste. Sur un opéra, le metteur en scène est la personne la moins importante du processus. C’est le chef d’orchestre et la partition du compositeur qui sont au-dessus de tout. J’essaie donc modestement de retranscrire leur désir. »