Rencontre avec l’acteur qui reprend le rôle de Danny Torrance de Shining à l'âge adulte.
La température extérieure à Los Angeles avoisine les trente degrés, mais Ewan McGregor est venu chaudement équipé (un cardigan gris très épais et diablement élégant, assorti d’un jean blanc impeccable) pour résister à la climatisation tout à fait déraisonnable de cet hôtel chic de West Hollywood. En ce début août, l’acteur écossais nous rencontre pour défendre Doctor Sleep, adaptation du roman du même nom de Stephen King, réalisée par Mike Flanagan (The Haunting of Hill House, Jessie, The Mirror…). Une suite de Shining qui va piocher dans les romans de King, tout en s’appropriant l’esthétique de l’hôtel Overlook tel qu’imaginé par Stanley Kubrick. Il y incarne Danny Torrance devenu adulte, qui tente de noyer le traumatisme de son enfance dans l’alcool. Mais quand il rencontre Abra, courageuse adolescente qui possède également des dons extrasensoriels, ses vieux démons resurgissent. C’est à ce moment que débarque une tribu de vampires psychiques menés par Rose O’Hara (Rebecca Ferguson), qui se nourrissent du pouvoir d'innocents comme eux pour conquérir l’immortalité.
Doctor Sleep est un objet hybride : pas tout à fait une adaptation du roman du même nom de Stephen King, ni vraiment une suite du livre ou du film Shining. Vous avez eu peur que le réalisateur Mike Flanagan joue un peu à l’apprenti sorcier en mélangeant les univers de King et de Stanley Kubrick ?
Ewan McGregor : Je me suis surtout dit que ça allait être très difficile pour Mike de satisfaire à la fois les gens qui aiment le film et les gens qui aiment le livre. Je n'avais pas lu Shining à l'époque, je ne savais pas qu'il y avait des différences si énormes entre le bouquin et le long-métrage. Et je ne savais pas non plus que Stephen King avait été fâché que Kubrick prenne beaucoup de libertés par rapport au roman. Une fois que j'ai compris ça, je me suis rendu compte de l’ampleur de la tâche. Mais Mike a été très futé : il a réussi à remettre dans l'histoire des éléments que Kubrick avait enlevés. C'est sacrément étrange, mais c'est très malin ! Je pense que ce film va réconcilier les fans de King et de Kubrick.
Dans le film, Danny Torrance est devenu alcoolique comme son père. Est-ce que votre propre sa relation à l’alcool (NDLR : il a arrêté de boire au début des années 2000) vous a aidé à mieux le comprendre ?
Ce n'est pas très important si un personnage me ressemble, ou s’il a des choses en commun avec moi. Parfois c'est le cas, parfois pas. Ce qui m’intéresse, c’est d’étudier la nature humaine. En tant qu’acteur, je ne fais que ça à longueur de journée. Mais si de temps en temps le rôle touche à quelque chose qui résonne chez moi, ça peut effectivement être intéressant. Quand le film commence, Danny est encore un gamin et on fait un saut dans le temps pour le retrouver à l’âge adulte : il est alcoolique et au plus bas. Il a touché le fond.
C’était un bon point de départ pour vous approprier le rôle ?
Oui, vu que je l’ai vécu et que je suis sobre depuis très, très longtemps. Mais je n'ai pas vraiment voulu fouiller plus que ça dans cette partie de ma vie. En dehors de cette question de l’alcoolisme et de la guérison, il n'y a rien de similaire entre Danny et moi. Je ne cherche pas de traits de caractère communs dans un rôle. Par contre, je dois pouvoir m'imaginer jouer le personnage quand je lis le script. C’est indispensable. Si je n’y arrive pas, je refuse. Je dois croire que je suis capable de ressembler au personnage.
J’imagine que vous recevez énormément de scripts et que vous n’avez que l’embarras du choix. Qu’est-ce qui vous fait accepter un rôle aujourd'hui ?
Avant, si un film me plaisait, je pouvais le laisser dicter mon emploi du temps personnel. Je crois que maintenant, je suis un peu plus courageux : j’arrive à dire à mon agent que je ne m’engagerai pas dans tel projet alléchant, parce que je veux réaliser ou que j’ai envie de partir en voyage. Disons qu’il faut que ça s'aligne un peu plus avec ma vie privée. Et si ça colle, je veux faire un film qui compte, un truc vraiment intéressant. J’ai toujours eu un faible pour les projets un peu différents.
Donc vous ne suivez pas un plan de carrière ?
Non, je n'ai jamais eu de plan. Je fais confiance à mon instinct. Et si quelque chose attire mon attention, j'ai souvent la grande chance de pouvoir le faire. Une fois, j’ai joué dans un film juste parce que je me disais qu’il serait de bon ton d’être dedans. C’était Emma, l’entremetteuse, que j’ai tourné littéralement juste après avoir terminé le tournage de Trainspotting. J’étais persuadé que je devais faire un film en costume, qu’il fallait qu’on me voit là-dedans. Le film est super, mais je n’ai jamais aimé ma performance. J’étais vraiment nul ! Ça m’a appris que je suis incapable de faire ce métier sans être passionné. Sinon, on voit à l’écran que je ne suis pas à ma place. Je ne l’ai jamais refait depuis.
Vous semblez revenir doucement à des films à gros budget avec Doctor Sleep et Birds of Prey. C'est un processus conscient ?
Hum... (Il réfléchit) Ouais, sûrement. Je crois ça vient de mon envie de m’investir et de dédier trois ou quatre mois de ma vie à un projet, plutôt que huit semaines ici ou là. Et Birds of Prey est un peu différent, c’est une rareté dans le système hollywoodien. Je n'avais pas l'impression de faire un blockbuster : c'est un film de studio à petite échelle, même si on ne s’en rend pas forcément compte à l’écran. Mais vous avez raison, je fais plus de films à gros budget qu’avant.
C’est une revanche sur The Island ? J’ai l’impression que c’est à peu près là que vous avez arrêté les blockbusters.
(Rires.) Ouais, il y a du vrai là-dedans. The Island… Je me souviens qu’un des producteurs avait donné une conférence de presse à Cannes, en disant que l'échec du film était dû à moi et à Scarlett Johansson. Un sacré connard ! De mémoire, il a dit : "Ewan McGregor et Scarlett Johansson sont peut-être les stars de demain, mais certainement pas les stars d’aujourd'hui."
Aïe !
(Rires.) Le film n'a pas marché et il nous met ça sur le dos ! Quel con ! C’est Michael Bay qui l’a réalisé, pas moi ! Après ça, on ne m'offrait plus beaucoup de rôles dans de gros films de studios, parce le système hollywoodien fait vraiment attention à ces conneries. Vous n’avez de la valeur que tant que votre dernier film est un succès au box-office (Rires.) C’est aussi pour ça que les séries télé m’intéressent beaucoup.
Mais à part dans la saison 3 de Fargo, on ne vous a pourtant pas beaucoup vu sur le petit écran (NDLR : l'interview a eu lieu avant l'annonce de la série Star Wars sur Obi-Wan Kenobi dans laquelle il jouera)…
Si on veut faire du boulot de qualité au niveau de l'écriture et jouer dans des histoires vraiment centrées sur les personnages, il n'y a pas le choix. Le cinéma est plus porté sur le grand spectacle, les films de super-héros, d'action ou d'horreur. Personne ne se déplacerait aujourd’hui pour voir la plupart des films de ma filmographie. C’est vraiment dommage, mais c’est comme ça. Donc si je veux continuer à faire le travail auquel je crois, c'est dans les séries que ça se passe. (Il réfléchit) De toute façon, le cinéma ressemble de plus en plus à de la télé. On tourne tout en HD, c’est si précis qu’on voit tous les pores de la peau des acteurs… Je ne comprends pas ça. On enlève la beauté de la pellicule et on nous donne de la télé sur grand écran. Autant le faire directement à la télé ! Vous avez vu Apollo 11 ?
Pas encore.
Regardez-le, c'est absolument incroyable. Magnifique. Parce que c’est de la putain de pellicule. C'est magique, ça vous transcende. C'est tellement dommage de perdre ça juste parce que ça coûte moins cher de tourner en numérique. Et il y a des directeurs de la photo très doués hein, mais pour moi ça reste toujours de la télé. Même le rythme d'un tournage d’un film a changé : avant, il y avait des bobines de dix minutes. Donc tu faisais une série de prises, et il fallait changer la pellicule. Et pendant qu'ils s’occupaient de ça, tu avais le temps de discuter avec le réalisateur. Cinq minutes pour essayer de trouver autre chose, une autre interprétation. Il y avait un rythme là-dedans. Maintenant, tu enchaînes les prises… Et je déteste passer pour un vieux con en disant que "c'était mieux avant". Mais c'était mieux avant (Rires.)
Stephen’s King Doctor Sleep, le 30 octobre au cinéma. Avec Ewan McGregor, Rebecca Ferguson, Kyliegh Curran… Bande-annonce :
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