Pierre Salvadori, réalisateur d’En liberté : "C’est vrai que la comédie règne sur le cinéma populaire en France"
Memento Films

Pierre Salvadori orchestre les noces du polar et de la comédie dans un fabuleux chassé-croisé amoureux.

En liberté !, sorti au cinéma en octobre 2018, arrive en clair à la télévision. Ce dimanche, la comédie de Pierre Salvadori sera diffusée sur France 2, et Première vous la recommande chaudement. Voici notre critique.

"Voilà, c’est fini !" Bien qu’amusante, la première phrase d’En Liberté!, sonne le glas d’un mythe. Celui de Santi (Vincent Elbaz) super flic dont la veuve Yvonne (Adèle Haenel), elle aussi inspectrice, réalise qu’il n’était qu’un ripou. Le point de départ du nouveau film de Pierre Salvadori est donc celui d’un désenchantement brutal, d’une mise en échec de la féérie qui auréolait jusqu’alors la vie d’Yvonne, mais aussi celle de son fils éperdu d’admiration pour l’héroïque paternel. Comment expliquer à l’enfant que le luxe dans lequel ils barbotaient tous trois était le fruit pourri de la corruption ? Et que faire de ce passé heureux mais frelaté, quand on sait qu’il est dû au sacrifice d’Antoine (Pio Marmaï), l’homme innocent envoyé huit ans en prison à la place de Santi ? Un besoin impérieux de transparence et de rachat traverse Yvonne. Mais ce chemin de croix vériste va paradoxalement prendre les atours du masque (de Zorro aux cagoules sado-maso), du faux semblant et du mensonge, bref, de la fiction. Chez le réalisateur de ...Comme elle respire et De vrais mensonges rien de plus vrai que le faux.

Des récits dans le récit
A 53 ans, l’un des rares cinéastes en France à prendre encore au sérieux l’art de faire rire, signe avec ce faux polar l’une de ses meilleures comédies. Un jubilatoire marivaudage où les gags font mouche, distillés avec un sens sophistiqué de l’ellipse et du contre-pied. Fil rouge de ce chassé-croisé moral : les exploits de Santi contés par Yvonne à son fils, pour l’endormir. Au lieu d’aborder directement l’épineux sujet avec le garçonnet, la veuve entreprend une déconstruction de la légende du bon flic local, par l’intermédiaire d’histoires racontées le soir pour l’endormir : à l’écran, ça donne des pastiches de films d’action à la James Bond, saynètes de plus en plus moqueuses (voire sadiques), mais qui finissent par gagner en nuances et en affect, reflétant le travail de résilience entamé par Yvonne. Doublement efficace, cette méthode lui permet de dévoiler la cruelle vérité à son fils par le filtre allégorique de la fantaisie, tout en passant allégrement ses nerfs sur Santi, qui, bien que trépassé, s’en prend plein les dents. Cette logique du récit dans le récit, de la mise en abîme en work in progress, a bien sûr quelque chose d’abstrait : le film parle de fiction et de sa fabrique artisanale, l’idée sous-jacente étant qu’à force de répétition, de ratures et d’inventivité, on finit par trouver la note voulue. La note « vraie ». Rien n’est donc « naturel » ici, au sens naturaliste, sinon la volonté des personnages, tous fragiles ou paumés, de voir leurs sentiments, maladroits, tus ou à contre-temps, trouver enfin leur place dans le monde. Quitte à en passer par d’extravagantes mise en scènes. Ainsi, quand Antoine sort de prison, un peu plus tôt que prévu, sa compagne Agnès (émouvante Audrey Tautou, personnage secondaire de premier plan) se trouve surprise en fâcheuse posture : non avec un amant, comme le voudrait le cliché, mais en train de passer l’aspirateur. Les retrouvailles sont ratées. Elles seront donc rejouées, et plusieurs fois, à la demande d’une épouse se révélant en réalisatrice maniaque de son existence : « reviens encore, mais maintenant, arrête-toi au milieu de l’allée, comme si tu hésitais », exige-t-elle d’Antoine avec tendresse, le dirigeant comme on dirige un comédien sur un tournage de cinéma, sous l’œil de la voyeuse/spectatrice Yvonne. La scène est fabuleuse car jamais gratuite. Si elle flirte avec le commentaire méta, c’est d’abord pour nous faire ressentir au plus près les sentiments d’Agnès, dans ses excès. La musique mélo, la dilatation du temps, la confusion émotionnelle sur le visage de Tautou, tout cela n’a rien de froidement théorique dans une séquence qui incarne l’aspect irrationnel, volontiers dérangé, du perfectionnisme amoureux.

Jeu de dupes
Pour toucher du doigt l’harmonie qui leur échappe, les antihéros de Salvadori brodent, manipulent, affabulent, délirent, avec une énergie rare. Sans aucun cynisme. C’est pourquoi ils ne sont jamais aussi sincères que lorsqu’ils feignent de l’être. Toute leur poésie vient de là. Ainsi Louis (Damien Bonnard, merveilleux de candeur enfantine), policier honnête épris d’Yvonne, a-t-il pour tic de bloquer sa respiration avant de dire un mensonge. Démasqués avant même d’être proférés, ses rares bobards ont la discrétion de gyrophares. Pour faire fondre l’inspectrice, il lui faudra muscler son jeu de dupe, être plus créatif. Au fond, qu’est-ce que l’amour, sinon l’élaboration commune d’une fiction désirable ?

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