Rencontre avec l'Irlandais dont ce sublime mélo en langue gaélique a fini sa brillante carrière par une nomination à l’Oscar… changeant la donne de la production cinématographique dans son pays.
Votre premier long métrage met en scène, dans l’Irlande de 1981, une petite fille négligée par ses parents, recueillie par des membres éloignés de sa famille le temps d’un été où elle va pour la première fois ressentir douceur et affection. Comment naît cette aventure ?
Colm Bairéad : Tout débute à l’été 2018 quand je tombe sur l’article d’un journal qui recense les 10 meilleurs romans du 20ème siècle signés par des écrivaines irlandaises à ses yeux. Et le court résumé des Trois lumières, la nouvelle de Claire Keegan m’a tout de suite attiré l’œil. Sans doute parce que l’enfance est un sujet qui me passionne, je lui ai d’ailleurs consacré mon premier court métrage. Je me suis donc procuré dans la foulée son œuvre. Elle est assez courte. « A long short story » comme elle le décrit elle- même. Et ce fut un coup de foudre. Le genre qui vous émerveille et vous laisse le cœur brisé. J’étais alors à la recherche de quelque chose à adapter. Et je voulais m’inscrire dans l’excellente initiative créée en 2017 dans notre pays, une aide financière destinée à favoriser un cinéma en langue celtique, quasi inexistant jusque là - cinq ou six en tout ! - puisque jugé non viable au vu de sa soi- disant possibilité à s’exporter, contrairement à la langue anglaise. Avec Trois lumières, j’avais trouvé le projet que je voulais explorer dans ce sens.
Vous voyez d’emblée comment l’adapter ?
En le lisant, j’avais déjà des images en tête. Ce livre est écrit à la première personne donc vous donne immédiatement accès à ce qui se passe dans la tête de sa jeune héroïne. Cette vérité- là va m’a guidé dans mon écriture, m’a permis de rester en permanence à sa hauteur, de ne pas l’aborder et la raconter avec un regard d’adulte. Et ce d’autant plus que, sans avoir vécu ce qu’elle a vécu, j’ai tout de suite trouvé un écho à son enfance dans la mienne, notamment dans cette naïveté qui la guide et ce silence qui la domine. J’étais aussi un enfant silencieux qui passait son temps à observer et essayer de comprendre le monde.
Claire Keegan a participé à l’écriture ?
Non mais elle a joué un rôle essentiel en acceptant que l’adaptation se fasse en gaélique irlandais. Ce qui signifiait a priori, sur le papier, moins de recettes.
Comment on passe d’une courte nouvelle à un film de plus d’une heure et demie ?
J’ai imaginé toutes les scènes mettant en scène cette petite fille chez ses parents, alors que la nouvelle démarre quand elle part passé l’été chez ce couple qui le recueille. De moments que j’ai placé au début du récit pour ne pas le casser par des flashbacks. Je pensais que le spectateur allait avoir besoin de voir l’univers dans lequel vivait cette petite fille pour comprendre ce qui se passe dans sa tête.
Comment on arrive à doser l’émotion inhérente à ce qu’elle traverse et éviter le piège facile du film ultra- larmoyant ?
C’était évidemment le grand défi. De ne pas abîmer cette émotion mais sans la restreindre. Je savais dès le départ que je n’allais pas utiliser de voix off pour traduire à l’écran les pensées de la jeune héroïne qui constituent la colonne vertébrale de la nouvelle. Et qu’au contraire mon film devait accompagner son titre et laisser sans peur le silence envahir l’espace, en comptant pour cela sur le regard de l’actrice qui allait l’incarner. Au fond, ici, je fais confiance aux spectateurs, je les laisse s’emparer du personnage et lire entre les lignes pour percer son mystère. Comme si je faisais un documentaire sur elle. C’est tout cela qui empêche de surenchérir dans les émotions. Je filme simplement ce qu’elle est et je le transmets sans artifice.
THE QUIET: UNE MERVEILLE VENUE D'IRLANDE [CRITIQUE]Vous avez mis longtemps à trouver la fascinante Catherine Clinch qui incarne votre héroïne ?
Le processus d’audition a pris 7 mois et on savait que si on ne trouvait pas la perle rare, le film n’existerait pas. Il fallait évidemment que la petite fille en question parle le gaélique, ce qui restreint déjà les possibilités. En plus, à cause du COVID, on n’a pas pu les voir directement. On est passé par des self- tapes. Notre directrice de casting avait repéré Catherine dans une école et on a donc reçu ses essais où elle s’était enregistrée à l’Iphone. Ce fut un éblouissement pour nous car sans alors jamais l’avoir rencontrée ou lui avoir donné la moindre indication de ce que nous souhaitions, elle était le personnage ! Dans sa retenue comme dans sa capacité à laisser la caméra explorer sa vulnérabilité. Pour quelqu’un qui n’avait jamais évolué devant une caméra, c’est inouï. Et la rencontrer n’a fait que confirmer cette première impression. On a su instantanément que, grâce à elle, notre film allait pouvoir prendre vie
Comment dirige t’on sur un plateau quelqu’un qui tient le rôle central d’un récit sans avoir aucune expérience de cinéma ?
En restant sans cesse focaliser sur l’instant. En travaillant scène après scène. Et en commençant toujours par l’interroger sur ce qu’elle ressent, sur comment elle pense jouer tel ou tel moment. Et vraiment, Catherine tombait toujours juste. Sans compter la rapidité avec laquelle elle a intégré toutes les contraintes techniques d’un tournage.
Comment avez- vous créé l’atmosphère visuelle de The Quiet girl ?
Elle devait naître du regard de cette petite fille sur ce qui l’entoure. D’où le choix du format 4/3 pour épouser exactement son point de vue. Celui d’une enfant qui ne comprend pas tout ce qu’elle voit. Avec ma directrice de la photo, Kate McCullough, on n’a pas parlé vraiment de films comme références car on s’est appuyé avant tout sur des photos de l’Irlande de 1981. A une exception près : Gasman, un court- métrage que Lynne Ramsey a réalisé en 1997 – l’histoire de deux enfants devant réagir devant une situation que leur impose le secret de leur père - pour sa manière d’avoir su traduire à l’écran la dynamique à l’œuvre dans une famille brisée.
Avec le recul, quel regard portez- vous sur le parcours de votre film, devenu le long métrage le plus rentable de toute l’histoire du cinéma irlandais avant de décrocher une nomination – la première de votre pays – à l’Oscar du film étranger ?
Je n’ai pas encore totalement atterri ! J’en suis évidemment heureux et fier pour moi et pour toutes les portes que cela va ouvrir pour le cinéma irlandais. Désormais, on ne pourra plus dire qu’un film en langue gaélique ne s’exporte pas à travers le monde ! Il y aura un avant et un après The Quiet girl. Et ça rajoute à mon bonheur personnel.
The Quiet girl. De Colm Bairéad. Avec Catherine Clinch, Carrie Crowley, Andrew Bennett… Durée : 1h36
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