En compétition, un joli voyage existentiel parfumé à la vodka. Ceux qui aiment les love story ferroviaires prendront ce train.
Compartiment n° 6 ressemble au début à un film de Pavel Lounguine (mais sage). Une soirée dans un appart moscovite où l’on s’échange les vers d’Akhmatova et les verres de vodka. Des intellos bourrés et joyeux. Des bisous entre deux femmes. Et quelques heures ou jours plus tard on embarque dans un train pour le cercle Arctique avec l’une des convives de la soirée. Cette jeune étudiante finlandaise va se retrouver coincée dans un compartiment avec un russe aviné, agressif et bas du front… Ils vont partager ce lieu clos pendant des jours. Et progressivement, au rythme du roulis, surgit une amitié ivre et étrange entre ce type frustre et cette femme cultivée, étrangère mais surtout apeurée. Ils se détestent, se trouvent, se perdent, se retrouvent. Ils habitent ensemble. Et au-delà de la différence de classe, de culture, ils vont découvrir ce qui peut les rapprocher. Off, la voix de Desireless égrène sa pop synthétique et son amour du voyage.
“C’est un film de train” disait Thierry Frémaux. Bien vu, mais plutôt version Before Sunrise que Runaway Train alors. Dans ce compartiment, Juho Kuosmanen met en scène la confrontation d'une femme avec elle-même, avec ses désirs, ses préjugés, ses craintes pendant un trajet qui va de Moscou à Mourmansk, de la cité aux confins… Il met en scène en fait sa “modification” (oui, oui comme chez Butor) et en ce sens, on pensait beaucoup à Julie (en 12 chapitres) pendant la projection. Parce que Kuosmanen comme Joachim Trier viennent du nord, parce que leurs sensibilités sont autant cinématographiques que littéraires et musicales. Mais surtout parce qu’ils signent deux portraits de femmes en quête. A une différence près : là où Trier proposait une introspection déstructurée, changeant constamment de registres et profitant de ses chapitres pour mieux changer d’angles, Kuosmanen, lui, suit une progression linéaire, s’accroche aux rails de son récit et de la ligne qui relie l’Arctique. Plus on s’éloigne de Moscou plus l’héroïne decille son regard… C'est peut-être ce qu'on pourra lui reprocher : son ode à la beauté du monde et à l’envie d’ailleurs est un joli film, parfois un peu long, qui commence doucement, avant de trouver sa vitesse de croisière et qui ne cherche jamais à dévier de son trajet.
Mais il peut compter sur deux acteurs touchants, Seidi Haarla et Youri Borsov, qui font passer toutes les expressions climatiques de leur histoire d’amour sur leurs visages.
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