Créateur d’American Nightmare et réalisateur des trois premiers films, James DeMonaco n’a jamais vraiment lâché la franchise, dont il est toujours scénariste. Alors que sort le cinquième volet, il revient pour Première sur sa saga, ses envies de cinéma, sa passion pour Gaspar Noé et son idée d’un sixième film « encore plus dystopique ».
Après tout ce temps, ça fait quoi d’en arriver à la fin de la franchise ?
Écoutez, c’est plutôt chouette. Enfin… En fait ça pourrait bien ne pas être la fin ! Je n’en savais rien jusqu’à il y a trois ou quatre mois, mais on pourrait continuer.
Dans le même univers ou bien il s’agirait d’un reboot ?
Non, non, dans le même univers. Un vrai sixième film. J’ai pitché l’idée à Jason Blum et au studio, tout le monde a l’air super partant. Je suis en train d’écrire le script. Je crois que ce qui se passe dans le monde actuellement a nourri ma réflexion sur la façon dont on pourrait étendre la franchise et lui redonner un coup de fouet. C’est toujours la clé : comment faire du neuf ? Ça va encore plus loin que l’idée d’une Purge qui ne s’arrête jamais, on sera dans un truc encore plus dystopique. Je ne veux pas trop en révéler, mais disons qu’on s’amuse avec l’idée de ce qu’est l’Amérique et de ce qu’elle peut devenir. Je pense que ça va être marrant à explorer. On croise les doigts !
Donc ce n’est pas vraiment la fin, mais huit ans nous séparent de la sortie du premier film. Est-ce que cet univers vous amuse toujours ? Vous regardez la franchise différemment avec le recul ?
C’est compliqué. Plus on vieillit, plus notre regard change. Mais j’ai toujours vu ces films d’abord comme des petits thrillers hybrides entre horreur et action. J’ai grandi en regardant New York 1997, Mad Max 2 ou Soleil vert, des trucs dingues qui étaient presque des séries B, en fait. Dès le début, j’avais en tête d’aller chasser sur les terres de John Carpenter, George Romero ou George Miller. Modestement hein, à mon petit niveau ! Je ne voyais pas le premier American Nightmare autrement que comme un petit film indé à un million de dollars. Avec mon producteur Sébastien Lemercier, qui a été le premier à s’intéresser au projet, on trouvait ça super sombre. On n’imaginait pas une seconde que ça pourrait dépasser un public de niche. Et puis on a rencontré Jason Blum et Universal… Je me demande régulièrement ce qui rend le concept si attirant, ce qui fait que les gens y reviennent inlassablement et que ça dure. C’est toujours aussi bizarre pour moi.
J’imagine que l’idée de base du premier film est si forte et si simple qu’on veut forcément savoir comment le film la gèrera. Sauf qu’au début on pensait tous que c’était une fable, un truc impossible. Et plus le temps passe…
… plus on se dit que c’est loin d’être improbable. Ouais, j’aimerais bien que ce ne soit pas le cas. Au début, je trouvais ridicule l’idée que ça puisse arriver dans la vraie vie : c’est un pur pitch de série B ! Je ne pense pas qu’un jour le meurtre sera légalisé, mais je vois bien qu’il y a une dissonance, que les gens se replient de plus en plus sur eux-mêmes et refusent le débat. Ça m’attriste d’être parti d’un concept de film d’horreur, un truc dingo, et qu’en en soit à discuter de ça…
Cet American Nightmare 5 : Sans limites est particulier parce qu’il nous donne l’impression de replonger dans un passé très récent, où l’Amérique était chauffée à blanc. Vu de la France, les choses semblent moins électriques depuis que Donald Trump a quitté la Maison-Blanche. Mais quand vous écriviez le script, on était dans la « Trumpmania » la plus totale et certaines images du film rappellent l’attaque du Capitole, qui n’avait pas encore eu lieu. Vous sentiez que votre pays allait partir en vrille ?
C’est chelou. Sébastien - mon producteur, donc - n’arrête pas de me dire que je suis Nostradamus. Alors que je suis juste un mec posé dans sa petite maison bizarre de Staten Island, et qui passe sa journée à regarder les infos. Ça doit infuser en moi. Et je ne sais trop comment, j’y vais de mon commentaire dans mes scénarios d’American Nightmare. Sauf que mon intention est toujours de faire peur et de divertir. Martin Scorsese raconte bien ça quand il parle du cinéma des années 40 et 50 : les patrons de studios faisaient beaucoup de films de guerre et de westerns, parce que ça marchait. Et puis au bout d’un moment les réalisateurs en ont eu marre, ils s’ennuyaient. C’est là que des types comme Anthony Mann ou John Ford ont commencé à faire passer clandestinement des idées plus personnelles. Carpenter ou Romero ont pris la suite de ces mecs, et c’est un peu ce que je tente de reproduire. L’air de rien, j’essaie de placer quelques-uns de mes points de vue socio-politiques. Le problème, c’est que le monde est devenu tellement dingue que c’est compliqué d’être un peu subtil ! Je suis constamment dépassé par les événements.
Est-ce que vous avez pu vous sentir piégé par le succès de cette franchise, obligé d’écrire des suites ?
C’est un combat constant. J’ai beaucoup de chance d’avoir cette franchise mais vous le voyez bien, je m’en suis éloigné en tant que réalisateur. J’ai tourné les trois premiers et puis j’ai écrit les scénarios des quatre et cinq. Dernièrement, j’ai écrit un autre script et j’ai tourné ce film, This is the Night, un truc très personnel sur mon amour du cinéma. Parce que parfois, j’ai envie d’autre chose. Si je réalise American Nightmare 6, je tournerai d’abord un autre petit film que j’ai écrit. Il faut trouver le juste milieu entre faire bouillir la marmite et me contenter artistiquement. Et puis j’aime bien rencontrer de nouveaux réalisateurs et leur confier des films American Nightmare.
Vous arrivez à leur faire confiance ?
Complètement. Après, ma confiance peut se jouer à à pas grand-chose (Rires.) Évidemment, je vois d’abord leurs précédents films et je discute avec eux pour voir si on est sur la même longueur d’onde. Mais genre pour American Nightmare 5, j’ai bu des coups avec Everardo Gout et on a commencé à parler des films de Gaspar Noé, dont on est tous les deux fans. C’est ça qui m’a définitivement convaincu.
Gaspar Noé semble quand même très éloigné de votre univers !
Ce qui me fascine chez lui, c’est qu’il arrive à te donner l’impression de vivre le rêve ou le cauchemar de quelqu’un d’autre. Comme si tu étais dans sa tête. Du cinéma expérimental du niveau d’Enter the Void, ça ne court pas les rues. Et Irréversible est le seul film au monde à m’avoir coupé le souffle. Genre littéralement : je n’avais plus d’air dans les poumons. Les aspects horrifiques de son cinéma et ses mouvements de caméra m’inspirent énormément. La musique de ses films aussi, j’écoute tout le temps la BO d’Irréversible. C’est l’un des Daft Punk qui l’a composée, c’est ça ?
Thomas Bangalter, oui.
Voilà. Mais vous avez raison, on a des univers de cinéma très différents. Je travaille pour des studios la plupart du temps, et lui il est complètement libre. Il n’a pas à se poser la question du box-office… Ce qui est quand même pas mal !
American Nightmare 5 : Sans limites, actuellement au cinéma.
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