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Mélanie Laurent parle de Plonger, d'écologie, de son premier film américain écrit par Nic Pizzolato...

À peine dans une case qu'elle saute dans une autre. Actrice césarisée pour un drame pluvieux français (Je vais bien, ne t’en fais pas), la voilà fille bourgeoise ennuyée et délurée dans une comédie belge tordue (Dikkenek) puis néo-Nikita avec robe lamée et gros flingue dans Requiem pour une tueuse. Tarantino la choisit pour être sa tueuse de nazis dans Inglourious Basterds, elle retourne très vite en France mettre en boîte un premier long instantanément culte (Les Adoptés). Flic d'Interpol dans un blockbuster yankee (Insaisissables), elle tourne dans la foulée Demain, un documentaire écolo qui fait un million d'entrées et décroche un César. Cette année, elle signe Plonger, un beau drame sur une photographe qui joue au Grand Bleu, et dans le même temps, décroche son premier boulot américain en tant que réalisatrice, Galveston, premier script cinéma de Nic « True Detective » Pizzolatto (d’après son roman) avant de courir donner la réplique à un Jean Dujardin moustachu dans le vaudeville en costumes de Laurent Tirard Le Retour du héros.

Insaisissable, Mélanie Laurent ? Il a en tout cas fallu l’interviewer par téléphone car elle était partie Argentine jouer un membre du commando qui a capturé Eichmann dans Operation Finale, thriller réalisé par Chris Weitz dont elle partage l’affiche avec Oscar Isaac. Mais on a quand même pu parler de Plonger, son nouveau film où l’on suit Paz (Maria Valverde), une photographe lassée de sa vie de jeune maman aux côtés de son mec (Gilles Lellouche), et qui va brutalement disparaître à la recherche d'un absolu. Plonger passe du drame CSP+ en appartement (avec engueulades conjugales autour du montage de meubles Ikea et des couches à changer) à un film traversé de fulgurances où Paz se perd dans la fascination de l'élément liquide. Il y avait déjà cette volonté d'aller vers un cinéma plus abstrait dans Respire, son précédent long-métrage de fiction, bien au-delà de son argument de romance lycéenne. C'est donc logiquement sur le terrain de la mise en scène qu'on est allé chercher Mélanie Laurent.

Première : Comment avez-vous le sentiment d'avoir évolué en tant que réalisatrice depuis Les Adoptés ?
Mélanie Laurent : Ce n'est pas moi toute seule. Plutôt une évolution d'ensemble, puisque je garde la même équipe depuis Les Adoptés : mon chef opérateur Arnaud Potier, mon monteur Guerric Catala… Personnellement, j'ai surtout appris le montage. Ma première version des Adoptés faisait 3h10, et je trouvais ça super ! Tout le monde me disait : « Mais c'est une catastrophe ! » Et moi : « Mais non ! C'est pas mal comme ça. » (Rire.) J'étais tellement attachée à tout ce que j'avais tourné que je ne voulais pas m'en séparer. Et puis j'ai fait Respire dans lequel je suis parvenue à couper deux heures. Sur le tournage, je faisais déjà le tri, je savais ce que j'allais élaguer. Sur Plonger, j'ai commencé le film avec le montage en tête. Et j'arrivais à faire des raccourcis, des ellipses – et ce dès l'écriture du script. Je n'écris plus en me disant : « On verra bien si on arrive à tourner ça. »

C'est amusant que vous ayez joué dans Insaisissables parce que c'est un mot qui résume bien votre parcours : les drames d'auteur, Tarantino, Dikkenek, la réalisation d'un documentaire écolo à succès et d'un thriller américain, bientôt Le Retour du héros, une comédie en costumes avec Jean Dujardin... Vous n'êtes jamais là où l’on vous attend.
(Rire.) C'est vrai. Le titre original d'Insaisissables est encore plus clair : Now You See Me. Tu me vois, tu me vois plus…

D’ailleurs, vous ne jouez ni dans Respire ni dans Plonger.
Pour Respire, c'est simple : je suis trop vieille pour jouer une ado et trop jeune pour jouer la maman d'une ado. (Rire.) Dans Plonger, j'ai eu envie de jouer Paz, parce que j'ai mis beaucoup de choses personnelles dans ce personnage. Mais je voulais qu'elle soit espagnole, alors bon… De plus, le plaisir de diriger une actrice est tellement fort que je ne pouvais pas m’en priver. Rencontrer Maria Valverde, créer son personnage avec elle a été une expérience d'une force incroyable. Je l'ai aussi prise pour Galveston dans une petite scène. On venait de finir Plonger, on se manquait...

Galveston est un thriller très dur écrit par Nic Pizzolatto, le scénariste de True Detective. C’est votre premier film américain en tant que réalisatrice. Comment êtes-vous parvenue à décrocher ce job ?
« Décrocher ce job», c'est exactement ça. C'est un boulot. Mes agents américains m'ont envoyé le script. Je l'ai adoré bien qu’il soit très éloigné de mon cinéma… Un scénario dans la veine de True Detective, avec des flingues, des tortures, des tueurs et le territoire américain dans les années 80. Tout ça me semblait très loin. Mais il y avait le rôle de Raquel (joué par Elle Fanning) qui me touchait. Raquel était un peu sous-développée dans le scénario, avec des clichés parfois misogynes, mais elle était dans la veine des personnages de Respire… J'ai fait un Skype avec le producteur, Taylor Davidson (Take Shelter). Je crois bien que j’étais la seule femme sur sa short list. On a pas mal parlé : « Pourquoi je te prendrais, toi ? » Je lui ai répondu : « Parce qu'il faut un point de vue féminin sur cette histoire. » Quatre heures plus tard, j’avais le job.

Comment s'est passé le tournage ?
On a fait des repérages en Géorgie, puis trois semaines de préparation, cinq de tournage, trois millions de dollars de budget. J'ai pu amener Arnaud Potier en tant que chef opérateur. J'avais besoin d'avoir un repère familier. Je pense avoir fait un film d'auteur à partir d'un film d'action.

Et le montage ?
Je n'ai pas eu le final cut, évidemment. C'est une autre façon de faire. Je l'ai acceptée. On ne peut pas travailler aux États-Unis si on n’accepte pas leur fonctionnement. Ce qui compte, c'est le résultat. Les producteurs savent faire des choses que je ne sais pas faire. Ça reste un film de commande, mais je ne me suis pas retrouvée sur Galveston comme une faiseuse : les producteurs ont le dernier mot certes, mais la vision et la manière de filmer ne changent pas pour autant. Ben Foster et Elle Fanning avaient soif d'autre chose. Ben Foster m'a dit : « Je ne veux pas faire ce film comme un film américain. » Ils avaient envie de plans-séquences, par exemple. Mon producteur me disait : « Fais-moi ce contrechamp ! » J'acceptais, sans être forcément convaincue. Et en voyant les rushes, j'ai réalisé qu'il avait raison.

Et là, vous êtes en train de tourner Operation Finale, un film sur la traque d'Eichmann en Argentine par le Mossad dans les années 60. C’est à cause d'Inglourious Basterds qu'on vous engage pour tuer des nazis ?
Après La Rafle et Inglourious Basterds, j'ai eu droit à tous les scripts « Seconde Guerre mondiale » de la création… Il y a eu Le Concert, également, qui parle des juifs communistes. En pensant à ma carrière, j’ai réalisé qu’il ne fallait surtout pas être enfermée là-dedans même s'il y avait des rôles magnifiques. Vous savez, ça a été très éprouvant de tourner La Rafle : être plongée tous les jours dans cette période, et savoir que la réalité historique était encore bien pire... Je mets beaucoup d'affect là-dedans. Mon corps réagit, je tombe malade... En tant qu'actrice, c'est impossible de traverser ça impunément. Dans Operation Finale, c'est différent : c'est de l'espionnage pur. Je joue Hanna, une anesthésiste : historiquement c'était un homme, mais ils ont transformé le rôle en femme.

Vous avez des nouvelles de Quentin Tarantino ?
Non. J'ai été son actrice sur un film, ça a été super et puis c’est tout. On s'est recroisés au Festival Lumière à Lyon, à Paris pour l'avant première de Django... Le seul réalisateur avec qui j'ai vraiment gardé contact c'est Mike Mills. On a fait Beginners ensemble. C'est un ami et un confident, je lui montre mes films avant tout le monde, il me donne des notes... Je l'ai appelé concernant Elle Fanning puisqu'il venait de tourner 20th Century Women avec elle. Il m'a dit : « Vous êtes toutes les deux des chatons, ça devrait bien se passer ! » Et pendant Galveston, quand je fatiguais, il me remotivait. « Continue à filmer comme tu le fais en France. Ne deviens pas quelqu'un d'autre. »

Pourquoi ne pas être retournée au documentaire après le succès de Demain ?
J'ai dû disparaître pendant presque trois ans pour faire Demain. À moins que ce soit ton métier, c'est compliqué de repartir sur un autre documentaire dans la foulée. Mais je vous dis ça, je viens de trouver un sujet de doc hier soir ! J'en ferai peut-être quelque chose... Le but d'un artiste c'est de parler du monde. Je lis beaucoup de choses sur un potentiel effondrement de la société. Ça m'angoisse et ça me donne un instinct de survie très fort.

Au fond, Plonger est aussi un grand film écolo : il parle d'une artiste qui recherche la communion avec la nature...
Absolument. Elle n'a plus d'espace, au sens propre du terme, et elle part réaliser son obsession : nager avec un requin. Après Demain, j'ai consciemment envie que mes films parlent d’écologie. J’ai même du mal à envisager de parler de quoi que ce soit d’autre. Cet été, pour la première fois, j'ai écrit une fiction toute seule. Ça m'a fait du bien, c'était presque thérapeutique mais ça restait très bourgeois : une histoire d'amour, autour de gens qui ont une vie aisée et qui vivent une passion déchirante. On a le droit d'en faire un film, mais bon…

Vous choisissez de rester sur le personnage de Gilles Lellouche dans la deuxième partie de Plonger, en laissant planer le mystère sur le destin de Paz.
Dans le livre d'origine (écrit par Christophe Ono-dit-Biot), tout est vu de son point de vue à lui, on n’est jamais avec Paz. Il a fallu trahir un peu le bouquin. Nous nous sommes inspirés de la structure de The Constant Gardener (le film de Fernando Meirelles d'après John le Carré) pour l'adaptation. On rencontre un couple qui n'arrive plus à communiquer, puis la femme disparaît et l'homme découvre alors qui elle était vraiment. D'ailleurs The Constant Gardener est aussi un grand film écolo, où le narrateur prend conscience du monde autour de lui, et des ravages causés par les grandes firmes pharmaceutiques.

Quand est-ce qu'on voit une suite à Demain ?
Ça me démange. Mais ce sera forcément très libre, avec une petite caméra, pour filmer ce que je ressens et ce que je vois... Ça sera forcément plus noir que Demain, qui parlait de solutions. Là, il faudrait parler de solidarité. Aujourd'hui, on a peur des réfugiés, on veut fermer les frontières mais dans quelques années le niveau de l'eau va monter, le Bangladesh ou les Pays-Bas vont se retrouver sous l'eau par exemple ; il y aura des millions de réfugiés climatiques. Qu'est-ce qu'on fait ? On ne peut pas construire des murs gigantesques. Il faut réfléchir à la manière d’aider les autres. Demain a eu des échos positifs. Mais après ?

Bande-annonce de Plonger, en salles à partir du 29 novembre :