DR

Le réalisateur dénonce la culture Rotten Tomatoes dans une tribune publiée par le Hollywood Reporter.

Martin Scorsese est en guerre contre les critiques. En ligne de mire : le site Rotten Tomatoes, le fameux agrégateur de “reviews”, qui fait et défait la réputation des films avant même leur sortie en salles. Le réalisateur des Affranchis accuse Rotten Tomatoes (et la culture consumériste qu’il symbolise) de faire baisser le niveau intellectuel de la critique, et regrette que les journalistes qui écrivent sur le cinéma soient désormais obnubilés par le box-office et les performances commerciales des œuvres dont ils parlent. Pour étayer sa thèse, Scorsese prend l’exemple de Mother !, le dernier film de Darren Aronofsky, certes pas si mal noté sur Rotten Tomatoes (où il obtient 68 %) mais dont le classement F par le site CinemaScore a fait beaucoup parler. Pour Scorsese, l’empressement des critiques à commenter ce F infamant est la preuve que le journalisme ciné est dans une mauvaise passe. Voici quelques extraits de son texte (à retrouver intégralement et en VO ici) :

Comme tout le monde, j’ai eu ma part de critiques positives et négatives. Les négatives ne sont bien sûr pas une partie de plaisir, mais ça fait partie du jeu. Je dirais cependant que dans le passé, quand des critiques avaient un problème avec un de mes films, ils le faisaient savoir de manière réfléchie, avec des opinions argumentées. (…) L’un des grands changements qui a eu lieu dans le monde du cinéma au cours des vingt dernières années est l’obsession pour le box-office. Quand j’étais jeune, les comptes rendus du box-office étaient réservés aux pages des journaux professionnels comme le Hollywood Reporter. Aujourd’hui, ils ont pris toute la place. Les commentaires brutaux, qui ont transformé les week-ends de sorties de films en un sport pour spectateurs assoiffés de sang, ont encouragé une approche plus brutale de la critique de films. Je pense aux firmes spécialisées dans les études de marché comme CinemaScore, qui a commencé ses activités à la fin des années 70, et aux “agrégateurs” en ligne comme Rotten Tomatoes, qui n’ont rien à voir avec le véritable critique de films. Ils notent un film comme on note un cheval pour une course hippique.

Ces firmes et ces agrégateurs ont créé un climat hostiles aux réalisateurs sérieux – même le nom Rotten Tomatoes (Tomates Pourries) est insultant. Alors que l’idée d’une critique écrite par des gens passionnés et dotés d’une véritable connaissance de l’histoire du cinéma a disparu, il semblerait que de plus en plus de gens ne s’intéressent plus qu’aux jugements à l’emporte-pièce. Ces gens veulent voir les films et les cinéastes être rejetés, mis au rebut et parfois réduits en charpie.

Brett Ratner : "Rotten Tomatoes est la pire chose qui existe aujourd'hui dans la culture ciné"

Avant de voir Mother !, j’étais extrêmement perturbé par toutes les commentaires sévères sur le film. (…) Beaucoup de gens ont eu l’air de prendre plaisir au fait que CinemaScore lui a donné un F. C’est même devenu un sujet de news. (…) Après avoir vu Mother !, j’ai été encore plus perturbé par cette hâte dans le jugement et c’est pour cette raison que je souhaitais partager mon opinion. Les gens ont l’air assoiffés de sang, tout simplement parce le film ne peut pas être réduit à une description de deux mots. Est-ce un film d’horreur, ou comédie noire, une allégorie biblique, une fable morale sur la catastrophe écologique ? Peut-être un peu de tout ça, mais certainement pas une seule de ces définitions. Un film doit-il être expliqué ? Que faire alors de l’expérience que procure la vision de Mother ! ? Le film est si physique (“tactile”), si magnifiquement mis en scène et interprété. (…) L’horreur, la comédie noire, les éléments bibliques, la fable morale – tous ces éléments sont là, et composent ensemble une expérience totale, qui absorbe les personnages et les spectateurs avec eux. Seul un véritable cinéaste, un cinéaste passionné, pouvait faire ce film, qui m’accompagne encore, des semaines après.

Les bons films réalisés par de vrais cinéastes ne sont pas faits pour être décodés, consommés ou compris instantanément. Ils ne sont même pas faits pour être aimés instantanément. Ils existent, parce que la personne derrière la caméra avait besoin qu’ils existent. Et quiconque connaît l’histoire du cinéma ne sait que trop bien que de très nombreux films – Le Magicien d’Oz, La Vie est belle, Sueurs Froides et Le Point de non-retour, pour n’en citer que quelques-uns – ont été rejetés lors de leur sortie et sont depuis devenus des classiques. Les classements au “tomatomètre” et les notes de CinemaScore disparaîtront bientôt. Peut-être seront-ils remplacés par quelque chose de pire. Ou peut-être qu’ils disparaîtront grâce à l’émergence d’un nouvel état d'esprit dans le monde de la critique de cinéma. Pendant ce temps, des films faits avec passion comme Mother ! continueront de grandir dans nos esprits.