Actualité du 30 décembre : La tribune de Vincent Maraval sur le salaire des acteurs français a fait immédiatement réagir le milieu du cinéma.Suite à la publication de la tribune du producteur et distributeur Vincent Maraval dans Le Monde, les premières réactions n'ont pas tardé. Après la polémique sur le départ symbolique de Gérard Depardieu de France pour des raisons fiscales, le milieu du cinéma français débat et commente les propos engagés de Maraval sur les réseaux sociaux, à la télévision et sur Internet : parmi les premières réactions, celles de l'acteur et réalisateur Sam Karmann (La Vérité ou presque, Radiostars) et le journaliste et critique Jean-Michel Frodon.Serge Toubiana : "L’attaque de Vincent Maraval est facile"Le directeur général de la Cinémathèque française, Serge Toubiana, est beaucoup plus critique : "L’attaque de Vincent Maraval est facile", écrit-il sur son blog. "En affirmant que les acteurs français sont trop payés, exemples à l’appui (Dany Boon, Daniel Auteuil, parmi d’autres), il est sur de taper fort et de toucher large." Pourtant, "le raisonnement curieusement est court, limité. Certes, les films français sont trop chers. Le coût moyen d’un film (5,4 millions d’euros) devient exorbitant, mais cela n’est pas seulement dû aux cachets des acteurs. Pourquoi ne pas parler de celui des producteurs, par exemple des 10% d’imprévus qui pèsent sur chaque film, calculés sur la totalité du budget, salaires des acteurs inclus ? S’il y a inflation des prix, elle se répartit logiquement sur tous les postes de production des films." Et Toubiana de rappeler que Maraval fait partie de ces producteurs...De plus, "le coup de balai de Maraval risque de montrer du doigt tout le système de financement du cinéma français, qui fonde son « exception culturelle » (...) Comment, après un tel article, aller plaider la cause de l’exception culturelle devant la Commission de Bruxelles, toujours prompte à rabattre le cinéma sur une économie libérale dépourvue de tout système de protection et d’incitation ? Comment, par exemple, faire enfin approuver par Bruxelles le fait de taxer les fournisseurs d’accès, dont la contribution au financement du cinéma est un élément stratégique aujourd’hui ?"Serge Toubiana reproche également à Vincent Maraval de ne choisir que des grosses productions comme exemples ("le cinéma français ne se résume pas à ces films trop chers et, selon Maraval, déficitaires"), et pour finir de ne pas proposer d'idées fortes pour remédier aux tares qu'il dénonce.Sam Karmann : "l’idée fausse que les acteurs sont des nantis"Pour Sam Karmann, dans une lettre publiée par Lemague.net, "le titre de cet article est si maladroit qu’il va une fois de plus conforter l’idée fausse que les acteurs sont des nantis et mettre en péril le statut si fragile mais si indispensable des intermittents perçus comme des enfants gâtés. Ne cassons pas ce système extraordinaire qu’est l’intermittence, la redistribution du CNC et l’obligation des diffuseurs de financer le cinéma." L'acteur et réalisateur trouve toutefois l'article pertinent, ayant le mérite de jeter un pavé dans la mare. Mais il faudrait aller plus loin : "plutôt que de parler des acteurs, vous auriez du écrire en guise de chapeau : "Les vedettes françaises sont trop payées". C’est vrai. Les 50 vedettes ? Les 30 vedettes ? Les 10 vedettes ? Leur nombre n’est pas le plus important au regard du fait qu’ils sont incontournables. C’est ça qui pose problème, qu’on ne puisse (ou très difficilement) monter un film sans qu’il y ait au moins un "bancable" [sic] dans la liste. Combien sont-ils ces bancables ? Entre 3 et 5 par génération. Car les autres, tous les autres, les acteurs pas vedettes, les petits, les moyens, les sans grade à l’échelle du box-office, les 20.000 autres, intermittents, qu’ils soient inconnus ou même un peu connus voire reconnus du grand public (comme votre serviteur par exemple), savons que nos cachets ont été divisés pas 2 depuis les années 2000. Et je ne parle pas de l’écrasante majorité des acteurs qui composent les listes artistiques des films et qui sont payés moins de 1000€/jour."Karmann rapelle aussi que les cachets sont en forte diminution depuis quelque temps : "Ne pouvant baisser la grille des salaires des équipes techniques protégés par une convention collective forte et respectée, on a non seulement divisé le montant mais également diminué le nombre des cachets en augmentant le temps de travail de leurs journées. On tourne soi-disant un 52’ en 10 ou 11 jours, mais en comptant les heures sup on tourne entre 12 et 14 jours avec les acteurs en tête de casting considérés comme "bien payés" qui tournent 10 voire 12 heures par jour en abattant 5 à 7’ utiles par jour. N’ayant pas le choix, les producteurs préfèrent payer les heures sup des équipes techniques, raboter sur le nombre de cachets des acteurs et comprimer leurs journées…""Et pour finir la boucle, que dire des techniciens qui -parce qu’heureusement encore payés au tarif syndical à la télé- peuvent s’offrir de faire du cinéma à moins 10, 20, 30 ou 50%. Pour faire en sorte que le film se fasse toute la chaine fait des efforts pendant que les "stars" prennent leurs cachets. Que penser d’un film où les équipes sont à moins 10% ou 20% avec en vedette un bancable dont on sait qu’il va toucher entre 500K€ et 1M€ … ?"Jean-Michel Frodon : "une description globalement exacte, mais par moment biaisée ou incorrecte, de la situation économique du cinéma français"Le texte "donne des noms et des chiffres, et fournit une description globalement exacte, mais par moment biaisée ou incorrecte, de la situation économique du cinéma français" estime de son côté Jean-Michel Frodon, journaliste et ancien directeur de la rédaction des Cahiers du cinéma, sur son blog Projection publique (publié sur Slate.fr). "La diatribe de Maraval est aussi de nature à alimenter l’argumentaire de ceux qui veulent une destruction de l’ensemble du système au nom d’une logique gestionnaire ultralibérale (cf. les actuelles pressions de Bruxelles) ou ultra-centralisatrice (cf. les pressions de Bercy relayées par certains élus)". Frodon rappelle que "l’année du cinéma français n’est pas un désastre, contrairement à ce qu’affirme la punchline qui ouvre le texte – quels que soient les critères retenus, beaucoup d’argent finira par avoir circulé dans le cinéma français c’est à dire chez ceux qui à un titre ou à un autre le font. Le Marsupilami et La vérité si je mens 3 ne se sont pas « plantés » – mais Astérix, Pamela Rose et Stars 80 oui. Non, le marché de la salle ne stagne pas, même si la fréquentation en 2012 sera en recul sur l’exceptionnelle année précédente, la tendance depuis 2000 est au contraire à une constante augmentation. Et même, contrairement à ce qui était admis (et à ce qu’affirme Maraval), on assiste plutôt à une remontée de la présence, et de l’audience des films à la télévision."Jean-Michel Frodon rappelle également que "les acteurs gagnent la plus grosse cagnotte, dans des conditions et selon des mécanismes qu’explique très bien Maraval. Mais les producteurs, les réalisateurs, les chefs de postes techniques aussi. Pourquoi ? Parce que l’essentiel de la stratégie des pouvoirs publics depuis le milieu des années 90 (...) a fait de l’augmentation des financements son objectif central. A nouveau : pourquoi ? Parce que le nécessaire équilibre de pouvoir entre professionnels et politiques a été rompus au profit des premiers. Avec succès, il faut le reconnaître, au sens où de fait les investissements dans la production de films français n’a cessé d’augmenter, grâce encore une fois à des dispositifs réglementaires toujours plus nombreux, récemment la taxation des Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI), et pas grâce à des ponctions sur le budget de l’Etat."Pour finir, "comme tous les professionnels du cinéma, Vincent Maraval défend surtout ses propres intérêts lorsqu’il prend la parole en public au nom de l’intérêt collectif et de la justice sociale. Lui aussi a besoin de ces acteurs incontestablement surpayés pour financer ses films auprès des télévisions." L'idée de Maraval de plafonner à 400 000 euros le salaire des acteurs pour bénéficier d'un financement télévisuel est "une idée aussi saine qu’assez improbable, tant qu’à faire élargissons-la à l’ensemble du milieu. Elle permettrait par exemple une réorientation massive des crédits au profit des lieux d’action culturelle, en particulier de l’éducation au cinéma, ou mieux avec le cinéma… Ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour."Bref, le débat continue...La réaction de l'ancien patron du CNC et d'Arte, Jérôme Clément,  c'est ici