Le grand réalisateur transalpin à qui l'on doit notamment Une journée particulière et Nous nous sommes tant aimés est décédé hier à l'âge de 84 ans.
Hier, le cinéaste italien Ettore Scola nous a quittés.
Né le 10 mai 1931 à Trevico, Ettore Scola, comme les autres mousquetaires de la comédie italienne, commence sa carrière dans la presse d'après-guerre. Il collabore au Marc'Aurelio (le journal satirique romain où Fellini a travaillé) pour lequel il dessine des idées de gags, des petits scénarii que les grands dessinateurs reprennent. Vite repéré par l'industrie, il compose quelques sketchs pour les films de Toto avant de devenir script doctor dans les années 50 (notamment Le Fanfaron et Les Monstres, rien que ça). Avec Ruggero Macari (ne jamais oublier que les plus grands scénaristes italiens étaient des duos - Age & Scarpelli, Ennio Flaiano & Piero De Bernardi), il scénarise une poignées de comédies pour Dino Risi et Antonio Pietrangelli. C'est là qu'il apprend et met en pratique les fondamentaux de ce cinéma qu'il va porter à un degré de perfection jamais vu. Mais à ces fondamentaux il va apporter ce qui parfois faisait défaut à un cinéma vachard : l'humanité.
La comédie italienne de Scola c'est quoi ? Un mécanisme d'horlogerie impeccable, un lyrisme pathétique, une défense jamais aveugle des victimes, une structure en sketches ou un canevas bâti sur des rencontres et des entrecroisements de destins. Mais pour Scola tout est dans le regard humain, la tendresse et même l'indulgence qu'il portera toujours à ses personnages quels que soient leurs défauts, leurs comportements décevants ou vélléitaires. C'est ça qui caractérisera toujours son travail, cette infinie mélancolie qui infuse toutes ses comédies.
En 64, sous la pression de Vittorio Gassman, il tourne enfin son premier film, Parlons femmes, puis il enchaîne Drame de la jalousie qui fait un triomphe à Cannes avec dans le rôle principal Marcello Mastroianni.
Le plus beau film italien de tous les temps
Mais son vrai chef d'oeuvre, le film qui en fait l'un des cinéastes les plus importants de tous les temps, c'est Nous nous sommes tant aimés, grande fresque de la société italienne post-Seconde Guerre Mondiale, hommage au cinéma de Vittorio de Sica, qui connaîtra un immense succès public et remportera le César du meilleur film étranger en 1977. L'histoire de trois copains de résistance qui rêvaient de changer la vie mais que la vie va changer. Le bourgeois a fait un mariage de raison et s’ennuie. Le révolutionnaire vocifère dans le vide. Et le prolo est resté prolo. Trois archétypes des Italiens qui ne sont jamais condamnés (parce qu'on a minutieusement observé leurs espoirs, leurs doutes, leurs hésitations au fil des années), trois archétypes qui deviennent des personnages de chair, de sang, d'émotion. Emouvant plutôt qu'amer, cette fresque sur les idéaux trahis (le néo-réalisme et la reconstruction sociale et morale du pays) est sans doute le plus beau film italien de tous les temps. Un film qui fait passer en un battement de cil du rire au larme et qui marque la consécration définitive du génie. Parce que l’immense succès de ce long métrage fut suivi d’une série de chefs-d’œuvre.
La rage, l'humanisme, les chefs d'oeuvre
En effet, le réalisateur vit une période faste, puisqu'en quelques mois il réalisera également Affreux, sales et méchants (Prix de la mise en scène au Festival de Cannes), satire grinçante d'une certaine société romaine qui l'imposera comme le roi de la nouvelle comédie italienne ; ainsi qu'un autre de ses plus grand succès, Une journée partiulière, qui voit la femme au foyer Sophia Loren et l'intellectuel homosexuel Marcello Mastroianni se rencontrer au moment au tout Rome assiste à l'union entre le Duce et Adolf Hitler en 1938. César du meilleur film étranger en 1978.
A chaque fois dans un mélange parfait de drôlerie, de rage et de tendresse il tire le portrait de la société contemporaine à travers des films-bilans d'une tendre lucidité et d'une violente empathie (La Terrasse et Nous Nous sommes tant aimés : voilà la véritable inspiration de La Grande Bellezza !) qui ont permis à Scola d'écrire les plus grandes pages d'un cinéma italien humain. Très humain.
C'est ça qui fondait également son rapport très particulier aux comédiens. Il a connu et aimé les plus grands (Marcello Mastroianni, Vittorio Gassman, Nino Manfredi, Ugo Tognazzi, Alberto Sordi, Totò mais aussi, en France, Philippe Noiret ou Fanny Ardant), qu'il a toujours pris soin de caster dans des des rôles inhabituels ou différents... Dans Drame de la jalousie, il offre à Mastroianni un rôle de maçon ahuri et file à la Vitti (tout juste sortie des drames sophistiqués d'Antonioni) celui d'une fleuriste un peu bécasse, Dans la Famille, Gassman jouera un homme incapable de prendre une décision et souvenez-vous de son rôle dans Le Fanfaron.
1980. La Terrasse. L'autre chef d'oeuvre de sa carrière. Un post-sciptum à l'histoire de la comédie italienne qui fait un nouveau portrait de groupe et tire le bilan de son existience. Un film déchirant où la satire et le pathétique se marient, se confondent avec une virtuosité folle. Le doute, l'auto-critique, la lâcheté des personnages réunient le temps d'une soirée mondaine resurgissent jusqu'au dégout de soi. Mais ce qui aurait pu n'être qu'un jeu de massacre est un testament. Celui d'une époque, d'une génération, et d'un cinéma. Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes.
Naturellement, Scola prend après la tangente. Pour fuir une industrie dévastée, il finira par s'installer en France où il continuera son cinéma mélancolique qui raconte non plus la botte mais l'Hexagone. Ce sera des films comme La Nuit de Varrenne, ou encore Le Bal, qui retrace cinquante ans d'histoire de France lors de la Révolution, et qui se voit couronner de trois César en 1984 dont ceux du meilleur film et meilleur réalisateur.
Suivront Le voyage du Capitaine Fracasse, La Famille, et Le Dîner.
Son dernier film (après quarante longs métrages en quarante ans), Gente di Roma, une "comédie-documentaire" expérimentale, sortira en 2003.
Rien n'aura fait faillir Scola, l'enragé, l'humaniste. Rien n'aura abimé son amour du cinéma (qui jouait un rôle essentiel dans tous ses films).
Rien ne l'aura fait plier.
Jusqu'à hier soir.
Hier soir, Ettore Scola est mort à l'âge de 84 ans, à Rome, des suites d'un arrêt cardiaque.
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