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À la fin de son exploitation en salles, La Planète des singes - les Origines (Rupert Wyatt, 2011) avait rapporté la somme incroyable de 480 millions de dollars. Pourtant, la relance de la saga, tirée du roman de Pierre Boulle, n’était pas un pari gagné d’avance. Lorsque le premier film (sur une série de cinq), réalisé par Franklin J. Schaffner, arrive sur les écrans en 1968, il installe une mythologie qui fait écho aux angoisses de l’Amérique blanche, à une époque où les Noirs Américains revendiquent l’égalité des droits. Dans le livre de Boulle, les singes ont été réduits en esclavage, avant de se révolter et de dominer les humains. La métaphore qui assimile les Noirs aux primates est tout sauf élégante, mais elle fonctionne à un niveau subliminal. En prononçant sa diatribe face à la statue de la Liberté en ruines, image hautement symbolique, Charlton Heston ne fait que dénoncer le racisme, fossoyeur des promesses américaines de liberté et d’égalité.Près d’un demi-siècle plus tard, quel sens peut véhiculer un scénario confrontant à nouveau des hommes et des singes ? Les Origines tentent de répondre avec prudence à cette question, « oubliant » la gênante analogie raciale pour pointer le plus consensuel sujet des dangers pouvant émaner de la science et de la finance. Dans le film, James Franco joue le sympathique inventeur d’un sérum qui rend intelligent mais que ses employeurs rapaces font fabriquer avant la fin des tests, provoquant une catastrophe sanitaire et libérant du même coup les singes. Rien alors ne garantissait que cette proposition toucherait l’inconscient collectif du public avec un tel succès. Mais dès l’annonce des premiers résultats (54 millions de dollars lors du premier week-end), le studio comprend qu’il n’y a plus de temps à perdre avant de lancer une suite.Naissance d'une nationLe réalisateur Rupert Wyatt ayant considéré que le délai exigé (le deuxième volet devait être livré en mars 2014) est trop court pour un projet de cette ampleur, il est donc remplacé par Matt Reeves qui, à l’époque, vient de mettre en scène le remake de Laisse-moi entrer. De même que son prédécesseur, qui avait mis l’accent – avec une empathie particulière – sur les conditions de détention des simiens, Reeves apporte sa touche personnelle à la franchise. Il vient d’avoir un enfant et fait immédiatement le lien avec César, le jeune singe du premier épisode. « Comme lui, mon fils était un petit animal, se souvient-il aujourd’hui. Il ne lui manquait que la parole. » Dès le départ, Reeves souhaite insister sur cette étape de l’évolution de César, celle où il commence à s’exprimer verbalement et où il cesse d’être un animal. Mais au-delà de l’individu lui-même, le réalisateur veut aussi montrer le monde que les primates créent dans les bois, explorer ainsi la naissance d’une civilisation. Le studio, lui, a un autre projet en tête et, comme dans le film de 1968, veut passer directement au stade où les singes s’expriment parfaitement et ont déjà réduit l’humanité en esclavage. Mais Reeves obtient finalement de reprendre au moment où les forces en présence sont plus équilibrées. L’histoire commence donc une dizaine d’années après la fin de l’épisode précédent. Le savant joué par James Franco est probablement mort, victime de sa propre invention. Alors que la quasi-totalité de l’humanité a disparu, les singes se sont installés dans la forêt, où César est en train d’instaurer une sorte de démocratie. Jusqu’au jour où, dirigé par Malcolm (Jason Clarke), un groupe d’humains survivants à la recherche d’une source d’énergie fait irruption sur le territoire des primates. Dès lors, l’équilibre est perturbé et la cohabitation remise en question.L’Affrontement est donc, d’une certaine manière, l’histoire très politique d’une société idéale et autarcique poussée à la confrontation. Pour Reeves, c’est surtout une fable sur la condition humaine : « J’ai fait le choix délibéré de ne pas avoir de méchants caricaturaux et d’encourager l’identification à chacun des personnages, même quand ils prennent une décision horrible parce que cela fait partie de notre nature. » À mesure que l’intrigue devient plus complexe, les anciens conflits réapparaissent, dépassant le schéma classique « singes contre hommes ». Jason Clarke, qui joue l’un des humains bien intentionnés, analyse son personnage : « Malcolm est un homme bon qui cherche sa place dans un monde où tout a changé et qui réalise qu’il ne peut atteindre son but qu’en faisant alliance avec un singe doué de parole qui monte à cheval. » Ce singe, c’est évidemment César, dont la trajectoire morale est bien plus complexe que dans le film précédent, où il passait de l’enfance à l’âge adulte. « En tant que meneur, César a désormais beaucoup plus de responsabilités, explique Andy Serkis, qui interprète ce rôle écrasant. Il doit galvaniser ses congénères tout en essayant de vivre en paix avec les humains. C’est de la politique et il va devoir ménager des alliances avec les uns et les autres. »Ambition folleMais L’Affrontement n’est pas ambitieux que sur le plan intellectuel. À l’inverse du premier opus, réalisé presque entièrement en studio, celui-ci, à quelques exceptions près, a été filmé en extérieurs dans des décors immenses. Une visite sur le tournage confirme qu’il s’agit probablement du plus gros long métrage combinant 3D et performance capture jamais entrepris dans un tel environnement. Après quelques semaines de prises de vues dans les forêts de Vancouver, la production s’est installée pendant trois mois à La Nouvelle-Orléans. En plein centre-ville, au croisement de Rampart et de Common Street, un pâté de maison entier a été bloqué pendant plusieurs semaines afin d’être transformé en un quartier de San Francisco dévasté par dix ans de dégradation. De la fausse végétation prolifère partout, des véhicules renversés et hors d’usage encombrent les rues et les trottoirs, tandis que les murs sont recouverts d’affiches en lambeaux. Entre le nord du Canada et la Louisiane, la température est brusquement montée d’une vingtaine de degrés. Pour être raccord avec les plans tournés à Vancouver, où il a plu de façon continue, les rues sont arrosées à intervalles réguliers et les acteurs doivent rester couverts. C’est un enfer pour eux et pour les 250 figurants qui jouent la foule des survivants, revêtus d’impers et de blousons par 30°C. Les interprètes des singes ne sont pas mieux lotis avec leurs costumes gris moulants en tissu synthétique couverts de capteurs.Andy Serkis porte l’un de ces costumes, qui ont été améliorés depuis le précédent film. Le comédien n’est pas seulement l’interprète de César puisqu’il entraîne et conseille également les autres acteurs qui jouent des singes en performance capture. Il a été l’un pionnier de ce procédé – une version améliorée de la motion capture –, qui consiste à enregistrer des mouvements grâce à des capteurs disposés sur le costume, les mains et le visage des acteurs, avant d’interpréter ces données pour les adapter à la morphologie simiesque. Serkis a même ouvert une école à Londres, appelée The Imaginarium, où les comédiens peuvent s’entraîner à cette discipline. C’est là qu’a été formé Toby Kebbell, l’interprète de Koba, qui joue un rôle majeur dans L’Affrontement. L’évolution de la technologie autorise un tel degré de détail chez les personnages de premier plan que de véritables acteurs doivent désormais remplacer les mimes ou les cascadeurs qui « interprétaient » jusque-là les animaux. Grâce au tournage en décors réels, les autres comédiens n’ont plus à jouer face à une balle de tennis dans les scènes où ils sont censés se confronter aux singes. Seule une infime portion du travail est encore réalisée en motion capture, pour les inserts et les raccords.Changer le point de vueSerkis est épaulé dans sa tâche par Terry Notary, son homologue américain, qui a repris son rôle de Rocket. Notary est en charge de tous les singes qui ne sont pas au premier plan et doit encadrer neuf acteurs et cinq cascadeurs chargés de créer et de représenter des milliers d’individus qui seront multipliés par ordinateur. Dans Les Origines, dès qu’un primate quittait la terre ferme pour escalader des immeubles ou grimper aux arbres, il était reproduit en images de synthèse et le réalisme en souffrait. Ce problème est désormais résolu grâce au recours systématique à la « mocap ». « On peut maintenant tourner en plein jour, partout et plus rapidement, explique Terry Notary. Avant, quand on cassait un câble sur une jambe ou un bras, il fallait faire venir un spécialiste ou même une équipe entière pour réparer. Désormais, nous pouvons aller sous la pluie ou nous rouler dans la boue sans casser les capteurs. On finit par oublier le costume pour se concentrer sur l’action. »Comme dans le précédent film, les effets ont été créés en postproduction par Weta, dont les informaticiens néo-zélandais ont acquis une expérience inégalée. Mais au-delà de la technique, ils sont au service de la performance. Et elle est irremplaçable. Matt Reeves a déclaré que la nouvelle franchise avait pour défi de changer de point de vue par rapport aux films lancés en 1968 et d’inviter les spectateurs à sympathiser avec les singes. S’il atteint son but, ce sera avant tout grâce aux acteurs.Gérard DelormeLa Planète des singes - l'Affrontement sort le 30 juillet dans les salles : La ReviewDans L'Affrontement, je voulais montrer la naissance d'une civilisationAndy Serkis, sans la performance capture