La sortie de l'Episode 7 consomme définitivement le divorce entre la franchise Star Wars et son créateur.
Rappelez-vous. Le 19 octobre 2012, George Lucas vendait Lucasfilm à Disney pour quelques milliards de dollars. La photo de la signature, appelée à figurer dans les manuels d'histoire hollywoodienne, montre Bob Iger -aka le boss de la firme de Mickey- fixant le photographe tout sourire (on le comprend) tandis que George, et bien... Si on ne connaissait rien du type qui a créé Star Wars, on se dirait que ce barbu-là tire une sale tronche. Choisissez votre interprétation. Un mec qui vend sa maison à un requin de l'immobilier un flingue sur la tempe. Un inventeur de génie aux abois qui vend une bouchée de pain la trouvaille du millénaire. Un ex paraphant enfin, contre son gré, les papiers du divorce -alors qu'au fond de lui il l'aime encore, bon sang. Au fond, c'est un peu tout ça en même temps. C'est d'une simplicité énorme : il vend les droits de Star Wars. Rien de moins que LA franchise ultime, l'alpha et l'oméga hollywoodien, le truc dont rêvent tous les executives de studio. Le bidule qui rapporte 5 milliards de dollars par an en produits dérivés, dont la puissance évocatrice se transmet de parent en enfant. Un truc de famille, quoi. Mais en fait et au fond, Lucas vient de signer le deuxième divorce de sa vie.
Star Wars : l'histoire de l'Episode 7 (1976-2015)
Bis repetita. Star Wars, pour George, "c'est comme un mariage. Vous savez ce qu'ils disent sur les femmes : vous ne pouvez pas vivre avec elles et vous ne pouvez pas vivre sans elles. Ce film, c'est pareil. Je veux que ces trois films aient une unité parce qu'il s'agit d'un seul film", disait-il lors du tournage du Retour du Jedi. "Je savais que je devais être là pour garder le look cohérent, la direction artistique cohérente, la technologie cohérente." A l'époque, il sentait qu'il était indissociable de sa saga, de son univers. En août 1983, à leur retour de vacances post-Jedi à Hawaii, Marcia et George annoncent leur divorce. Monteuse de talent, Marcia Lucas était la force invisible de George sur le premier film -elle qui avait confiance en lui alors que le tournage de La Guerre des étoiles lui collait un ulcère, et Dieu sait que c'est douloureux, un ulcère. Mais Star Wars a bouffé George et Marcia est tombée amoureuse d'un autre. "Si je pouvais refaire les films, j'y réfléchirais à deux fois -particulièrement en sachant ce que je devais perdre pour pouvoir leur donner vie", tranchait Lucas, amer, dans les pages de Rolling Stone, l'été de la séparation.
En 1983, Lucas sentait bien que Star Wars lui avait coûté son mariage et il lui fallut onze ans pour revenir à l'écriture d'un nouvel épisode de La Guerre des étoiles. Une prélogie conçue dans la douleur (seuls l'Episode 2 a été écrit avec un peu de joie, d'après George) et reçue avec froideur par les fans. Mais fin 90-début 2000, le mot de George a valeur de loi : Leland Chee, qui gère l'Holocron (la base de données répertoriant TOUS les éléments de Star Wars cités dans TOUS les produits dérivés, même le plus petit alien évoqué sur une boîte de corn flakes), classait les créations Star Wars avec un code-lettre suivant leur valeur officielle. Et les créations de George avaient la lettre G et étaient immédiatement officielles, remplaçant tout ce qui a été dit avant -il a notamment changé la planète d'origine d'Obi-Wan Kenobi de Coruscant à Stewjon pour faire plaisir au présentateur télé Jon Stewart, comme ça, en impro, en direct à la télé.. Il pouvait revenir ad infinitum sur ses films. Créer Jar Jar Binks. Faire crier Dark Vador. Faire tirer Greedo le premier. Tout ça s'est terminé pour de bon en octobre 2012. On connaît l'histoire -relisez notre chronologie monumentale de l'Episode 7 ici-, l'approche de Bob Iger en 2011 pour lui racheter Lucasfilm, la perspective enfin réelle de se débarrasser de l'oeuvre qui l'a rendu riche et qui lui a coûté la vie, personnelle (bye bye Marcia) et artistique : le tournage hardcore et le succès inouï de Star Wars a enterré sa carrière de réalisateur de 1977 à 1999, et le petit génie du Nouvel Hollywood a été tout simplement dévoré par son œuvre. Il n'aura réalisé de son nom que cinq films. THX 1138, American Graffiti et quatre Star Wars dont trois sont conspués par la fanbase. Ses dernières productions cinéma, le film de guerre Red Tails et le film d'animation Strange Magic, ont été de gros échecs.
Les premières versions du script de Star Wars 7 racontaient une toute autre histoire
George a fait les choses bien comme il faut. il a désigné Kathleen Kennedy comme son héritière spirituelle à la tête de Lucasfilm, il a convaincu Harrison Ford, Mark Hamill et Carrie Fisher de reprendre du service. George n'est pas convié aux premières séances d'écriture de la nouvelle trilogie à Noël 2012. Le synopsis de sa trilogie 7-8-9 qui faisait partie du deal de la vente est foutue au panier par Disney sans états d'âmes. J.J. Abrams a beau jurer ses grands dieux qu'il parle "tout le temps" avec George (c'est sans doute vrai, mais il faut sans doute comprendre plutôt "de temps en temps"), il est clair et net que Star Wars : Le Réveil de la Force s'est fait sans Lucas -qui refusait de toute façons de voir les trailers du film à la façon d'un type qui refuse de regarder les photos de son ex sur Facebook - qui doit se contenter d'un simple mention dans le générique : "d'après les personnages créés par George Lucas". L'Episode 7 -que Lucas a toujours refusé de faire préférant donner vie à son obsession : la Guerre des clones et la jeuness de Vador- est complètement fait pour les fans, contre Lucas et sa prélogie vus comme tout ce qui ne va pas dans Star Wars. Abrams efface complètement le souvenir de la prélogie, qui n'a droit qu'à une petite référence dans Le Réveil de la Force (concernant les stormtroopers : "on a essayé les clones, ça ne marchait pas") tout en copiant consciencieusement la structure et les gimmicks du Star Wars de 77. Une méthode qui fonctionne toujours à fond, quarante ans plus tard. Et en rendant un culte étrange et morbide au casque brûlé de Dark Vador. Merci quand même pour les trucs, George. "Je crois que c'est le film que les fans attendaient", a-t-il concédé, glacial, après avoir enfin vu Le Réveil de la Force. Coup de grâce : son nom n'apparaît pas sur l'affiche officielle du film.
Star Wars : Un nouvel espoir pour la saga
Début décembre 2015, George Lucas compare pour de bon son éloignement des nouveaux Star Wars avec un divorce. "Il n’y a rien de pire que d’être sur le dos de quelqu’un. Soit vous êtes le dictateur, soit vous ne l’êtes pas. Je savais que je ne pouvais pas m’impliquer. C’est comme un divorce, ça n’aurait pas fonctionné. Tout ce que j’aurais fait aurait rendu tout le monde malheureux et m’aurait moi-même rendu malheureux. Le film, c’est la vision de J.J. Abrams et je l’aurais probablement ruinée", raconte George. "Je dois faire face à cette atroce réalité, mais ça va aller. Je dois me rendre au mariage. Mon ex sera là, ma nouvelle femme aussi et je vais devoir prendre une profonde inspiration, être quelqu’un de bien et m’asseoir pour simplement profiter du spectacle, parce que telle est ma décision et que je l’ai prise consciemment". Lucas est clair : "J'appelle ça un divorce. Il n'y a rien de pire que de bosser au-dessus de l'épaule de quelqu'un d'autre (NDLR : ce qu'il a fait pendant L'Empire contre-attaque et Le Retour du Jedi). Tu dois faire le choix d'être un dictateur ou pas. Et jouer à ça ne marchera jamais, donc je me dis mieux vaut divorcer. Je savais que je ne pouvais pas être impliqué. Je ne ferais que les rendre malheureux, que me rendre malheureux. Je ruinerais la vision du film. J.J. a une vision, et c'est la sienne." Rien à ajouter : c'est d'une lucidité douloureuse. J.J., air hyper jouasse, faisait des mamours à George, habillé comme un retraité des Catskills, sur le tapis rouge de la première mondiale du film la semaine dernière. Il essayait d'échapper aux photographes mais J.J. l'a forcé à revenir faire des câlins. Et faire bonne figure, une dernière fois.
Star Wars : la revanche des fans (critique)
Mieux vaut la séparation. A la fois de corps et d'esprit. Comme un ex toujours amoureux mais qui réalise enfin qu'on ne veut pas de lui, qu'on n'a plus besoin de lui. Ce n'est pas une tragédie grecque ou un destin prométhéen. C'est une rupture. Ca fait mal. C'est familier. On connaît ça. On se fait violence et on se dit que c'est pour le mieux. "Je ne ferais que les rendre malheureux, que me rendre malheureux." George libéré de Star Wars ? Tu parles. C'est Star Wars qui est libéré de George. La franchise a largement prouvé depuis le Premier Divorce de 1983 qu'il n'y avait surtout pas besoin d'être son Créateur pour faire de bonnes choses avec. Kathleen Kennedy a réussi à faire de l'Episode 7 l'un des futurs plus gros succès de tous les temps en salles. Le divorce est prononcé, chacun part de son côté, avec ses rancunes et ses regrets, et l'histoire continue. Sans George. Sans le Créateur qui va devoir apprendre à disparaître. Ses visions SF ne feront plus jamais partie du canon. Devenue Disney, la franchise est invincible pour les cent prochaines années. Inévitablement les prochaines générations oublieront peu à peu que Star Wars fut créé par un barbu discret, diplômé en cinéma de Berkeley (Californie), fou de bagnoles, de Kurosawa et de ciné expérimental, qui cherchait juste à divertir les foules avec son Buck Rogers à lui. George va maintenant se consacrer à une nouvelle œuvre : l'ouverture à Chicago de son Panthéon, le Lucas Museum of Narrative Art. Comme tous les monuments, comme tous les artistes qui ont changé les choses, Lucas s'en va finir au musée. Comme de juste, le mot de la fin lui revient : "En fin de compte, pendant la fin du monde, quand on sera tous en train de mourir," prophétisait-il juste après avoir posé le stylo qui lui a servi à divorcer de l'oeuvre de sa vie, "la dernière chose à disparaître, ce sera Disney".
Bande-annonce de Star Wars : Le Réveil de la Force :
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