Exclu - L'hommage d'Alexandre Aja à Wes Craven, le maître du "divertissement terrifiant"

Wes Craven, réalisateur de Scream et des Griffes de la nuit, est décédé dimanche 30 août. Il nous a semblé naturel de chercher à connaître le sentiment d'Alexandre Aja, qui a réalisé avec La Colline a des yeux (2006) non seulement le premier remake d'un film de Craven mais aussi un excellent film, produit par Wes himself. Au micro de Première, Aja nous raconte l'importance de Wes Craven non seulement pour sa carrière mais pour le cinéma tout court.>>> Les stars réagissent à la mort de Wes CravenWes Craven a des yeux"On a toujours gardé le contact depuis La Colline a des yeux. Au-delà d'être une influence majeure et d'avoir changé ma vie en tant que cinéphile, Wes a été un maître pour moi. Et mon premier producteur à Hollywood. Il a été mon premier rendez-vous américain quand je suis arrivé à Los Angeles en 2003 après Haute tension. Le premier jour, je rencontre Wes Craven... La Colline m'a permis de vraiment exister. Il avait vu et aimé Haute tension. Il nous a demandé à Grégory Levasseur et moi si on connaissait La Colline a des yeux -évidemment on connaissait- et si ça nous intéressait de réfléchir à un remake. On est revenus une semaine après avec l'idée qui allait accoucher du film. On a mis trois ans à le faire avec lui, pendant qu'il terminait Cursed qu'il n'en finissait pas de finir. Je crois qu'il l'a tourné deux fois et demi en tout, celui-là. Maintenant je travaille avec des gens qui viennent de chez Wes Craven. Il était mon oncle de cinéma. Avant même de le connaître en vrai il a compté pour moi. Mon premier souvenir d'horreur, c'est Shining mais le vrai plaisir du film d'horreur en tant que divertissement terrifiant, c'est Les Griffes de la nuit. Je l'ai vu à quoi ? 10, 12 ans ? Freddy Krueger est devenu l'archétype du croquemitaine. Tout court. Les gens le reconnaissent encore aujourd'hui même sans jamais avoir un de ses films. C'est devenu une légende de la culture populaire. Un symbole de la peur, du cauchemar.""Il n'était pas sûr qu'il était la bonne personne pour réaliser Scream""Sa carrière est assez incroyable. Il est arrivé dans le genre presque par accident avec La Dernière maison sur la gauche. Il n'avait pas envie, je crois, de faire du cinéma d'horreur. Il s'était inspiré de La Source de Bergman. Il essayait de sortir du genre en permanence, et à chaque fois on le ramenait de force dans l'horreur. Comme il n'était pas fan il avait à chaque fois une approche différente. Apès La Dernière maison, il a connu une traversée du désert jusqu'à l'explosion Freddy, puis de nouveau le désert jusqu'à Scream. Quand il a reçu le script de Scream, il n'était pas sûr qu'il était la bonne personne pour le réaliser. Il se méfiait de l'effet copycat dès qu'un film d'horreur marche. Il anticipait un peu ce qui allait arriver avec Scream, ce qui s'est vérifié : le film a été imité par des déséquilibrés. Wes avait son sens des responsabilités. Wes n'avait pas grandi avec le cinéma. Il avait vu son premier film à environ 18 ans. Il aimait les histoires. C'était un professeur. Il allait chercher dans la grande histoire les sujets de son travail. Les Griffes de la nuit s'inspirait de faits divers au Cambodge, La Colline a des yeux de Sawney Bean, un tueur sauvage écossais du 15ème siècle... Il y avait toujours une source, pas cinéphilique mais dans le réel. C'est marrant, il a inventé le méta dans le film de genre mais il n'était pas un réalisateur postmoderne. Et c'était rare puisque le cinéma d'horreur est fait et exécuté par des réalisateurs qui sont postmodernes, qui se réfèrent à d'autres films et refont toujours les mêmes.">>> Wes Craven, 1996 : "Il est stupide de censurer la violence""Il avait vraiment été ennuyé par le remake des Griffes de la nuit""La Colline a des yeux était son premier remake. Il n'était pas satisfait de l'original. C'était l'occasion de rattraper le passé. Il a lancé la production de remakes de beaucoup de ses films. C'était une période un peu étrange, il s'interrogeait. Pourquoi faire des remakes de films réussis ? Il avait vraiment été ennuyé par le remake des Griffes de la nuit. Bon, de toutes façons le film n'existe quasiment plus... Il voulait que je réalise le nouveau La Dernière maison sur la gauche. Un des films qui m'a le plus marqué, aussi. Mais après La Colline je n'avais pas le temps. Je trouve qu'ils ont fait un beau boulot avec le remake. On a développé d'autres projets comme The Waiting, un drame surnaturel sur un couple qui perd son enfant. Le film ne s'est pas fait, on parlait un peu d'une autre suite à La Colline a des yeux... La famille Dimension Films est très soudée, autour des frères Weinstein.">>> Comment Wes Craven est devenu le maître de l'horreur"Il cherchait à déranger""Il y a toujours quelque chose d'intéressant dans le cinéma de Wes. Même quand ce n'est pas très réussi. Prends L'Emprise des ténèbres, Shocker ou Le Sous-sol de la Terreur. Ce sont trois films très inégaux. Il y a des moments ratés et puis des moments absolument brillants. Il y a toujours un fond philosophique sur les rapports entre les gens. Il ne faut pas les regarder pour leur qualité d'exécution. Mais il y a toujours du sens, du charme, quelque chose d'unique dans ces films. Il cherchait à déranger. C'était sa force de cinéaste."Propos recueillis par Sylvestre Picard (@sylvestrepicard)