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Prix de la mise en scène à Cannes, Baccalauréat prouve la capacité de Cristian Mungiu à susciter le débat.

La fille de Romeo doit obtenir son Bac pour bénéficier de la bourse qui lui tend les bras et qui l’enverra faire ses études supérieures en Angleterre. Oui, mais voilà : la brillante Eliza est agressée quelques jours avant les épreuves et risque de se louper. Que fait Romeo ? Il tente de soudoyer quelques personnes bien placées pour faciliter les choses au risque d’y perdre son âme…
La corruption généralisée en Roumanie justifie-t-elle qu’un honnête homme y succombe à son tour, même en cas de force majeure ? C’est la question passionnante que pose le nouveau Cristian Mungiu, qui n’est pas pour autant un film à thèse. Des éléments de thriller et de drame familial traverse ce Baccalauréat complexe, qui n’apporte aucune réponse facile. Rencontre avec un cinéaste travaillé par l’exigence et le doute.

Etes-vous de nouveau parti d’un fait divers pour écrire le film ?
J’avais envie d’aborder plusieurs sujets : la quarantaine, la corruption, l’éducation… Je ne savais pas comment mixer tout ça. En lisant des articles de faits divers que j’avais compilés, j’en ai trouvé qui brassaient tous ces thèmes. Il y en avait un en particulier qui racontait comment un parent avait essayé de changer la note de sa fille pour qu’elle aille en Angleterre. Les motivations n’étaient pas les mêmes mais j’avais ma base. J’avais aussi ce cas à Bucarest d’une femme agressée en plein centre-ville sans que personne n’intervienne. Je l’ai rencontrée et, à la lumière de ce qu’elle m’a raconté et de tout le matériel que j’avais, j’ai écrit mon film.

Combien de temps vous prend l’écriture et vous écartez-vous beaucoup du scénario lors du tournage, puis du montage ?
La réflexion en amont est beaucoup plus longue, elle peut me prendre des années, le temps d’imaginer l’énergie et la puissance d’évocation de l’histoire. Le scénario est plus rapide à faire. Pour Baccalauréat, j’ai dû commencer à écrire mi-novembre et en février, j’avais une version qui correspond à peu près au résultat final. Pour des raisons de planning, j’ai continué à affiner pendant le tournage qui a débuté en juin 2015. J’ai notamment travaillé sur la fin qui me semblait déséquilibrée. Sinon, je revois aussi beaucoup les dialogues sur le plateau. On n’a pas toujours besoin de toutes les répliques qu’on a écrites, elles peuvent être remplacées par des attitudes, notamment. J’essaie toujours d’avoir au final les dialogues les plus banals possibles afin de ne pas être trop explicatif. Pour finir, je ne découvre pas le film au montage. Il est toujours très proche de mon intention originelle. De toute façon, quand on tourne en plan-séquence comme moi, c’est très difficile de revenir dessus au montage.

Le choix des acteurs modifie-t-il votre perception de l’histoire ou les pliez-vous à votre vision ?
J’ai plutôt tendance, au moment du casting, à chercher des gens proches des personnages que j’ai écrits. Je ne veux pas d’acteurs qui fassent trop d’efforts. Un comédien a sa propre personnalité, son rythme… Regardez, Adrian Titieni qui interprète le personnage principal, on l’imagine mal jouer un aventurier. Il aime bien manger, il a un côté bourgeois, c’est lui, il est comme ça ! (rires)

Quand on voit vos films ou ceux d’Andrey Zvyagintsev (Leviathan), qui montrent des sociétés rongées par la corruption, on a l’impression qu’à l’Est, rien de nouveau…
Ce n’est pas aussi simple. Cela fait 26 ans que le Mur de Berlin est tombé. Ce n’est rien à l’échelle du temps. Les progrès dont nos sociétés ont bénéficié ne sont pas perceptibles par la plupart des gens qui ne vivent pas les choses de manière « historique », avec du recul. La période communiste est encore très ancrée dans les esprits. C’est elle qui favorise la corruption et la compromission qui sont des réflexes mécaniques de survie dont nous mettrons du temps à nous débarrasser. Cela passe d’abord par des remises en cause personnelles.

A quel point projetez-vous vos propres angoisses sur le personnage principal ? On sent que le père est plus angoissé que sa fille, qui est juste choquée par l’agression dont elle a été victime.
Les gens de ma génération qui ont choisi de rester en Roumanie et qui ont eu des enfants sont très préoccupés par leur éducation. On ne prend pas les mêmes décisions selon que son enfant choisit de rester en Roumanie ou de partir. D’un autre côté, cette décision lui appartient. Le message du film, s’il y en a un, c’est qu’il faut préparer les générations futures à se déterminer et ne pas le faire à leur place.

Vos films sont très moraux. Quelle est votre responsabilité morale, à vous, en faisant des films ?
J’espère que mes films sont moraux mais pas didactiques. J’ai toujours des doutes là-dessus ! J’ai été accusé dans la presse roumaine d’avoir un avis ambigu sur la corruption. C’est exactement ce que je voulais. Même si j’ai un avis sur la question, cela ne doit pas être l’objet du film. Un film doit rester une proposition complexe et équilibrée. L’important, c’est de mettre le spectateur en position de réfléchir sur son propre rapport au monde.

Vos films abordent des sujets de société plus ou moins graves. Seriez-vous tenté par la politique pour faire bouger les choses réellement ?
Je suis déjà très impliqué dans la politique culturelle de mon pays. Je viens de passer six mois sur la modification d’une loi, très difficile à faire voter, l’idée étant d’investir dans l’éducation et les infrastructures. Nous avons pratiquement perdu toutes les salles art et essai publiques au profit de multiplexes privés qui diffusent les films américains, très populaires. Nous n’avons pas préservé la diversité. Mon film sera beaucoup plus vu à l’étranger qu’en Roumanie par exemple.

Les trois films que vous avez présentés à Cannes sont repartis avec des prix. Cela signifie-t-il quelque chose pour vous et cela vous oblige-t-il à l’excellence en permanence ?
J’ai un grand respect pour la Palme d’Or qui m’a donné une visibilité que je n’aurais pas eu autrement. Je remarque cependant que les prix sont finalement plus importants pour les spectateurs que pour nous. Ils permettent d’établir la notoriété d’un film et son potentiel commercial. Je trouve juste dommage que les oeuvres non primées ne bénéficient pas du même éclairage. Cette année, il y avait beaucoup de films radicaux formidables qui n’étaient pas au palmarès. J’espère que le public aura la curiosité d’aller les voir et qu’il comprenne que faire partie de la sélection cannoise est déjà un exploit en soi. @chris_narbonne

Notre critique de Baccalauréat

Baccalauréat sort en salles ce 7 décembre. Bande-annonce :